KIEV: Un haut responsable de l'ONU tentera dimanche à Moscou d'obtenir un "cessez-le-feu humanitaire" en Ukraine, où de possibles exactions sur des civils ont été rapportées dans la région dévastée de Kiev, reprise aux Russes par les Ukrainiens, et une série d'explosions entendues dans le port stratégique d'Odessa.
Les forces russes se retirent de villes-clés situées près de la capitale et de Tcherniguiv, dans le nord de l'Ukraine, pour se redéployer vers l'Est et le Sud dans le but de "garder le contrôle" des territoires qu'elles y occupent déjà, a confirmé l'Ukraine.
Plus d'un mois après le lancement de l'invasion russe, les localités d'"Irpin, Boutcha, Gostomel et toute la région de Kiev ont été libérées de l'envahisseur", a affirmé samedi la vice-ministre ukrainienne de la Défense, Ganna Maliar.
Mais les Russes, en se repliant "d'eux-mêmes" ou après des combats, laissent derrière eux "un désastre total et de nombreux dangers", a dénoncé le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, sur Facebook. "Les bombardements peuvent se poursuivre", a-t-il mis en garde, accusant aussi les militaires russes de "miner les territoires qu'ils quittent, des maisons, des munitions et même des cadavres".
Ukraine: frappes sur Odessa, une raffinerie détruite selon Moscou
Une série de frappes a atteint dimanche matin Odessa, principal port de l'Ukraine, sur la mer Noire, dans le sud-ouest du pays, ont constaté des journalistes de l'AFP, la Russie disant avoir détruit une raffinerie et des dépôts de carburants.
"Ce matin, des missiles maritimes et terrestres de haute précision ont détruit une raffinerie et trois sites de stockage de carburants et de lubrifiants près de la ville d'Odessa", a indiqué à Moscou le ministère russe de la Défense dans son point quotidien.
Ces sites fournissaient du carburant aux forces ukrainiennes dans la direction de la ville de Mykolaïv, plus à l'est, a-t-il précisé.
À la suite de ces explosions, survenues vers 06H00 (03H00 GMT), plusieurs énormes colonnes de fumée noire et des flammes s'élevaient au-dessus d'une zone industrielle, a constaté l'AFP à Odessa.
Il s'agit d'une attaque de roquettes qui n'a pas fait de victime, a affirmé dans un communiqué un officier du commandement régional Sud, Vladislav Nazarov.
Cette attaque intervient alors que le ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Dendias, est attendu "très bientôt" à Odessa, ont annoncé ses services dimanche matin.
"Le ministre arrivera très bientôt à Odessa. Il apporte de l'aide humanitaire, qui sera remise aux autorités de la ville", et compte discuter avec eux de "la création d'un mécanisme permanent de distribution d'aide humanitaire", selon le ministère.
À Odessa, M. Dendias rencontrera également des membres de la communauté grecque de la ville et prévoit de rouvrir le consulat grec.
«Mains attachées»
A Boutcha, une ville proche de Kiev, les corps d'une vingtaine d'hommes, dont l'un présente une large blessure à la tête, gisent dans une rue, éparpillés sur plusieurs centaines de mètres, a constaté un journaliste de l'AFP.
"Toutes ces personnes ont été abattues, tuées d'une balle à l'arrière de la tête", a assuré à l'AFP Anatoly Fedorouk, le maire de cette ville que les soldats ukrainiens ont repris aux russes, et où près de 300 personnes ont été enterrées "dans des fosses communes".
"Dans certaines rues, on voit 15 à 20 cadavres sur le sol" mais "je ne peux pas dire combien il y en a encore dans des cours, derrière les palissades", a poursuivi le maire. Plusieurs personnes retrouvées mortes ont les mains attachées par une bande de tissu blanche, utilisée pour montrer qu'elles n'avaient pas d'armes, a encore raconté M. Fedorouk.
La ministre britannique des Affaires étrangères Liz Truss s'est dite, sur Twitter, "horrifiée par les atrocités à Boutcha et d'autres villes".
Boutcha et la ville voisine d'Irpin, rendues méconnaissables par les bombardements, ont été le théâtre de certains des combats les plus féroces depuis que la Russie a attaqué l'Ukraine le 24 février, quand les soldats russes tentaient alors d'encercler Kiev.
Toujours près de la capitale, le corps d'un photographe ukrainien chevronné, Maks Levine, a été retrouvé tué par balle après le retrait de troupes russes, ont annoncé samedi les autorités ukrainiennes. Pour le parquet ukrainien, il a été victime de tirs de soldats russes.
Le négociateur russe salue une approche "plus réaliste" de l'Ukraine d'un statut neutre
Le négociateur en chef russe dans les pourparlers de paix avec l'Ukraine, Vladimir Medinski, a fait l'éloge dimanche d'une position "plus réaliste" de Kiev prêt, sous conditions, à accepter un statut neutre du pays, réclamé par Moscou.
"La partie ukrainienne a adopté une approche plus réaliste des questions liées au statut neutre et dénucléarisé de l'Ukraine", a écrit M. Medinski sur la messagerie Telegram, tout en précisant qu'un projet d'accord approprié n'était pas encore prêt à être soumis aux présidents des deux pays.
Le négociateur en chef ukrainien, David Arakhamia, a affirmé samedi que Moscou avait accepté "oralement" toutes les positions ukrainiennes, "sauf en ce qui concerne la question de la Crimée".
"J'ai une objection à faire. En réalité (...), tous ces accords obtenus à Istanbul ne sont rien d'autre que ce que la Russie réclame depuis 2014", a réagi M. Medinski, en précisant qu'il s'agissait notamment du statut neutre et dénucléarisé de l'Ukraine et du non-déploiement de bases militaires étrangères sur son territoire.
Si David Arakhamia "qualifie tout cela de position ukrainienne, laissons-le faire cela", a ajouté Vladimir Medinski.
Si M. Arakhamia a laissé entendre samedi que les discussions visant à mettre fin aux hostilités avaient considérablement avancé, M. Medinski a assuré ne "pas partager cet optimisme".
"Les +experts+ diplomatiques et militaires ukrainiens ont beaucoup de retard pour confirmer même les accords déjà obtenus au niveau politique", a-t-il affirmé.
Moscou doit répondre à une série de propositions ukrainiennes en vue d'un accord. Kiev propose la neutralité de l'Ukraine et de renoncer à adhérer à l'Otan, à condition que sa sécurité soit garantie par d'autres pays face à la Russie.
Elle propose aussi des négociations pour résoudre le statut du Donbass ukrainien et de la Crimée.
Ces propositions, qualifiées de premier progrès par M. Medinski en début de semaine, ont été faites lors de pourparlers en face-à-face à Istanbul.
Accord «oral» de la Russie
Alors que la guerre a fait, a minima, des milliers de morts et contraint à l'exil plus de 4,1 millions d'Ukrainiens, un dirigeant onusien se rend à Moscou dimanche afin d'essayer d'obtenir un "cessez-le-feu humanitaire".
Jusqu'à présent, la Russie refusait toute visite d'un haut responsable de l'ONU ayant l'Ukraine pour sujet principal.
Le secrétaire général adjoint de l'ONU pour les Affaires humanitaires, le Britannique Martin Griffiths, "sera à Moscou dimanche et après il ira à Kiev", avait annoncé vendredi le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, en rappelant qu'il lui avait donné pour mission de "rechercher un cessez-le-feu humanitaire en Ukraine".
Parallèlement, le négociateur en chef ukrainien dans les pourparlers de paix avec la Russie, David Arakhamia, a affirmé samedi que Moscou avait accepté "oralement" les principales propositions ukrainiennes, à l'exception de celles concernant la Crimée, ajoutant que Kiev attendait une confirmation écrite.
S'exprimant dans une émission télévisée, il a laissé entendre que les discussions visant à mettre fin aux hostilités avaient considérablement avancé.
Vendredi, la Russie, accusant l'Ukraine d'avoir mené une frappe par hélicoptères sur son sol, avait pourtant agité la menace d'un durcissement des négociations.
Les efforts des troupes russes pour consolider leurs positions dans le Sud et l'Est de l'Ukraine se sont heurtés jusqu'ici à la résistance des Ukrainiens à Marioupol, où quelque 160 000 personnes seraient toujours bloquées et dont au moins 5 000 habitants ont été tués, selon les autorités locales.
Pour Moscou, contrôler Marioupol permettrait d'assurer une continuité territoriale de la Crimée jusqu'aux deux républiques séparatistes prorusses du Donbass, Donetsk et Lougansk.
Onze maires et dirigeants locaux «enlevés» par les Russes en Ukraine
Onze maires et dirigeants d'administrations locales d'Ukraine sont toujours en captivité après avoir été enlevés par les troupes russes, a annoncé dimanche la vice-Première ministre ukrainienne, Iryna Verechtchouk.
"A ce jour, onze chefs de communautés locales des régions de Kiev, Kherson, Kharkiv, Zaporojie, Mykolaïv et Donetsk sont en captivité", a-t-elle déclaré dans un message vidéo publié sur son compte Telegram.
"Nous en informons le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l'ONU, toutes les organisations possible comme pour les autres civils disparus", a-t-elle ajouté en demandant "à tous de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour leur retour".
Elle a par ailleurs annoncé que la responsable du village de Motyjine, à l'ouest de Kiev, "a été tuée en captivité" par les troupes russes. L'enlèvement d'Olga Soukhenko et son mari, également retrouvé mort samedi, avait été annoncé le 26 mars par le parquet ukrainien.
Les annonces d'enlèvements de plusieurs maires de localités ukrainiennes, dans les territoires occupés par l'armée russe depuis le début de son invasion le 24 février, ont provoqué les condamnations de l'Union européenne. L'un d'eux, le maire de Melitopol (Sud), avait été libéré en échange de plusieurs soldats russes.
«Odessa attaquée depuis les airs»
Impossibles pendant des semaines, des évacuations ont commencé à petite échelle. Samedi, quelque "1 263 personnes" ont voyagé de Marioupol et Berdiansk à Zaporojie par leurs propres moyens, et une dizaine de bus en convoi sont partis de Berdiansk, avec à leur bord 300 habitants de Marioupol, a annoncé en soirée la vice-Première ministre Iryna Verechtchouk sur Telegram. D'autres évacuations ont eu lieu dans l'Est du pays.
A Odessa, principal port ukrainien, qui offre l'accès à la mer Noire dans le Sud-Ouest, une série d'explosions ont été entendues dimanche matin, provoquant au moins trois colonnes de fumée noire et des flammes visibles, , apparemment dans une zone industrielle, a constaté l'AFP.
Une employée d'hôtel du centre-ville a dit avoir entendu un avion, mais un militaire près du lieu d'une des frappes a affirmé qu'il s'agissait d'une roquette ou d'un missile.
"Odessa a été attaquée depuis les airs. Des incendies ont été signalés dans certaines zones. Une partie des missiles a été abattue par la défense aérienne. Il est recommandé de fermer les fenêtres", a écrit Anton Guerachtchenko, conseiller du ministre de l'Intérieur ukrainien, sur son compte Telegram.
Les forces russes continuent par ailleurs "de bloquer partiellement la ville de Kharkiv", la deuxième ville d'Ukraine, située dans l'Est, où des zones industrielles et résidentielles sont la cible de tirs d'artillerie, selon l'état-major de l'armée ukrainienne, qui note toutefois une diminution de leur intensité.
La Russie prévoit également "de créer des bataillons formés de résidents +volontaires+ des territoires temporairement occupés de l'Ukraine et de mercenaires", relève la même source.
Fin du gaz russe chez les Baltes
Pression supplémentaire sur Moscou, les Etats baltes ont cessé d'importer du gaz naturel russe qui "n'est plus acheminé vers la Lettonie, l'Estonie et la Lituanie depuis le 1er avril", a indiqué samedi le dirigeant de l'entreprise de stockage lettone Conexus Baltic Grid. Les pays baltes sont désormais desservis par des réserves de gaz stockées sous terre en Lettonie.
"A partir de ce mois-ci, plus de gaz russe en Lituanie", a tweeté le président lituanien Gitanas Nauseda, en appelant le reste de l'Union européenne à suivre l'exemple balte.
Selon Eurostat, en 2020, la Russie comptait pour 93% des importations estoniennes de gaz naturel, 100% des importations lettones et 41,8% des importations lituaniennes.
Les Etats-Unis ont interdit l'importation de pétrole et de gaz russes après l'invasion de l'Ukraine, mais pas l'UE qui s'approvisionnait en Russie à hauteur de 40% environ en 2021.