KABOUL, Afghanistan : Le cœur brisé, les larmes aux yeux après avoir tant espéré, des milliers de filles en Afghanistan sont rentrées chez elles mercredi, après avoir passé seulement quelques heures dans leurs collèges et lycées enfin rouverts, puis subitement refermés par les talibans.
L'annonce a eu lieu alors que de nombreuses élèves étaient déjà revenues en cours dans le secondaire, pour la première fois depuis août dernier quand les fondamentalistes islamistes ont pris le pouvoir et fortement restreint les droits des femmes à l'éducation et au travail.
Le ministère de l'Éducation n'a fourni aucune explication claire, alors même que les responsables avaient organisé une cérémonie dans la capitale pour marquer le début de la nouvelle année scolaire.
«En Afghanistan, surtout dans les villages, les mentalités ne sont pas prêtes», a déclaré à la presse le porte-parole Aziz Ahmad Rayan. «Nous avons certaines restrictions culturelles (...) mais les principaux porte-paroles de l'Émirat islamique offriront de meilleures clarifications», a-t-il ajouté.
Selon une source talibane, la décision serait intervenue après une réunion mardi soir de hauts responsables à Kandahar (Sud), berceau et centre de pouvoir de fait du mouvement islamiste fondamentaliste.
La date de mercredi pour le retour des filles dans le secondaire avait été annoncée des semaines plus tôt par le ministère de l'Éducation, son porte-parole soulignant alors que les talibans avaient la «responsabilité de fournir une éducation et des structures éducatives» aux élèves.
Les talibans avaient insisté sur le fait de vouloir prendre le temps afin de s'assurer que les filles âgées de 12 à 19 ans seraient bien séparées des garçons -- même si cette séparation existe déjà dans la plupart des écoles -- et que les établissements fonctionneraient selon les principes islamiques.
Elèves dépitées
A Kaboul, au lycée Zarghona, des filles dépitées ont refermé leurs livres et repris leurs sacs, en larmes, après l'interruption des cours par les enseignantes.
«J'ai vu mes élèves pleurer et hésiter à quitter le cours. C'est très douloureux de voir vos élèves pleurer», se désolait Palwasha, enseignante à l'école de filles Omara Khan, également dans la capitale.
La Haute-Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet, a dit dans un communiqué «partager la profonde frustration et la déception des lycéennes et des étudiantes afghanes».
Arguant que «l'éducation est un droit fondamental», la directrice générale de l'Unesco Audrey Azoulay a quant à elle dénoncé un «revers majeur» et exhorté les talibans à autoriser «sans délai» les jeunes filles à retourner à l'école.
Les Etats-Unis ont condamné la décision. «C'est une trahison des engagements publics donnés par les dirigeants talibans au peuple afghan et à la communauté internationale», a affirmé le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price.
Malala Yousafzai, lauréate pakistanaise du prix Nobel de la Paix, qui a survécu à une tentative d'assassinat des talibans pakistanais à l'âge de 15 ans et milite de longue date pour l'éducation des filles, a également exprimé sa consternation.
Les talibans «continueront à trouver des excuses pour empêcher les filles d'apprendre -- parce qu'ils ont peur des filles éduquées et des femmes autonomes», a-t-elle tweeté.
Avec cette décision, les talibans renforcent les inquiétudes des observateurs qui craignaient que les nouveaux maîtres du pays n'interdisent à nouveau l'école pour les filles, comme ils l'avaient fait lors de leur premier règne, de 1996 à 2001.
«Ce changement de dernière minute semble être motivé par des différences idéologiques au sein du mouvement (...) sur la façon dont les filles retournant à l'école seront perçues par leurs partisans», analyse Andrew Watkins, spécialiste de l'Afghanistan au sein de l'Institut américain pour la paix.
Mercredi, des élèves d'un lycée de Kaboul ont brièvement manifesté après avoir dû quitter leur établissement, selon des témoins et des militantes féministes. «Elles sont parties quand les talibans sont arrivés et leur ont dit de rentrer chez elles. C'était une manifestation pacifique», a déclaré un commerçant.
Avant le revirement, des filles interrogées à l'ouverture des écoles se disaient «heureuses» de revenir en classe et remerciaient même les fondamentalistes.
En sept mois de gouvernance, les talibans ont imposé une multitude de restrictions aux femmes. Elles sont exclues de nombreux emplois publics, contrôlées sur la façon de s'habiller et interdites de voyager seules en dehors de leur ville.
Les islamistes ont aussi arrêté et détenu plusieurs militantes qui avaient manifesté pour les droits des femmes.