AJACCIO : L'heure était au recueillement mardi dans l'île de Beauté, sur fond d'appels au calme, notamment du chef de l'Etat, au lendemain de la mort d'Yvan Colonna, militant indépendantiste condamné pour l'assassinat du préfet Erignac.
A Ajaccio, plusieurs centaines de jeunes, 250 selon les autorités, ont manifesté dans le calme mardi matin, en partant de leur lycée pour aller déposer des bougies et chanter devant la cathédrale. Sur la banderole de tête du cortège, qu'ils ont ensuite accrochée aux grilles de la préfecture, un seul message: "Yvan martiriu di à causa corsa".
A travers la ville, les nombreux "Gloria à tè !" (NDLR: "gloire à toi") apparus dans la nuit sur les murs donnaient le ton de l'émotion suscitée par le décès, après trois semaines de coma du détenu corse le plus connu de France. Violemment agressé par un codétenu, le 2 mars, à la maison centrale d'Arles (Bouches-du-Rhône), Yvan Colonna purgeait une peine de prison à perpétuité pour l'assassinat du préfet Claude Erignac, en 1998, à Ajaccio. Des faits qu'il a toujours niés.
Pour Gilles Simeoni, président autonomiste du Conseil exécutif de Corse, sur Twitter, la mort d'Yvan Colonna "est une injustice et une tragédie, qui vont marquer l’histoire contemporaine de la Corse".
La collectivité de Corse a mis ses drapeaux en berne "pour exprimer la tristesse collective ressentie (...) après la mort tragique d'Yvan Colonna" et l'Assemblée de Corse a annulé sa cession de jeudi pour respecter "le deuil de ses proches" en expliquant dans un communiqué que la Corse avait perdu "un fils patriote et soucieux de sa terre".
"La Corse traverse une crise identitaire, et avec Yvan Colonna, elle a trouvé son incarnation, son martyr", confirme Dominique, 60 ans: "Je redoute qu'après le deuil, ça éclate", poursuit cette Corse, revenue s'installer il y a une vingtaine d'années dans l'île, interrogée par l'AFP dans les rues d'Ajaccio.
"On veut montrer notre soutien à la famille", a expliqué Chjara Secondi, 17 ans, en espérant l'absence de violences jusqu'aux funérailles, dont la date n'a pas encore été annoncée.
Pour France Battini, professeure d'anglais au lycée Fesch, présente à la manifestation pour s'assurer qu'elle se déroule dans le calme, il y a "un peu d'inquiétude quant à ce que seront les conséquences" de ce décès.
La peur des «pinzutti»
Une inquiétude partagée par Johanne, continentale de 53 ans installée en Corse depuis 16 ans: "On est plusieurs pinzutti (NDLR: terme corse pour désigner les continentaux) à se demander si on va rester", a-t-elle confié à l'AFP, regrettant le climat ambiant et craignant "de devenir une pestiférée".
En fin d'après-midi, d'autres rassemblements on eu lieu à Ajaccio, Bastia, Porto-Vecchio, Bonifacio ou Corte, où la faculté a été momentanément bloquée mardi matin par trois syndicats étudiants nationalistes.
A Ajaccio dans la soirée, quelques 300 personnes se sont réunies devant la cathédrale où un prêtre a dit une prière, une main posée sur un portrait d'Yvan Colonna avant que des chanteurs n'entonnent le "Dio vi salvi Régina", l'hymne corse. Une messe a ensuite été dite dans l'église.
Dans ce contexte tendu, le président-candidat Emmanuel Macron a rappelé sur France Bleu que "le plus important est que le calme se maintienne", assurant que des "conséquences" seraient "tirées" de ce drame. Un appel "au calme" partagé par Valérie Pécresse (LR) et l'écologiste Yannick Jadot, quand Eric Zemmour et Marine Le Pen eux ont critiqué le rôle de l'Etat dans cette affaire.
L'agression d'Yvan Colonna par un codétenu radicalisé avait suscité la colère dans l'île, de nombreux Corses estimant qu'elle n'aurait pas eu lieu si le militant avait été transféré dans une prison insulaire, comme il le demandait de longue date.
Pour tenter d'apaiser la situation, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, avait passé trois jours sur l'île la semaine dernière, levant le tabou de discussions sur une possible autonomie de l'île.
"Toute la lumière sera faite", a insisté le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal mardi. Les conclusions de l'enquête administrative seront rendues publiques "début avril", a précisé mardi à l'AFP un conseiller de l'exécutif.
Dans un autre geste d'apaisement, le Premier ministre Jean Castex a annoncé mardi le rapprochement "d'ici la mi-avril" dans la prison corse de Borgo des deux autres membres du "commando Erignac", Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Ils purgent actuellement leur peine à perpétuité à Poissy, en région parisienne.