Sainte-Sophie : l'opportunisme idéologique n'a rien à faire avec l’islam

On ne peut pas se contenter d’avoir une lecture seulement politique de la décision d’Erdogan, comme je l’ai fait dans mon article précédent.  Car au regard de l’Islam, son comportement est en contradiction totale avec les préceptes islamiques à travers l’histoire: un Islam tolérant protégeant les lieux de culte des autres religions et les monuments historiques. Les premiers musulmans, sous la conduite du Prophète, durant leurs conquêtes, ont sauvegardé les icônes religieuses et culturelles des autres civilisations. 

L’Islam n’a jamais adopté de position négative à l’égard des vestiges archéologiques. Bien au contraire, ils ont été considérés comme source d’inspiration au sein du Saint Coran et de la Sunna du Prophète. De même, les premiers musulmans ont préservé les monuments culturels et patrimoniaux des autres religions. On peut dire que la distinction entre les vestiges archéologiques  et leur valeur historique, et l'idolâtrie était évidente dans la perception islamique de ces vestiges. Aux premiers temps de l'islam, la position était de détruire les idoles dans le but ultime dans le but d’adorer Dieu et seulement Dieu. Néanmoins, les vestiges des civilisations précédentes n’étaient pas que des lieux de culte, mais reflétaient aussi la science et les connaissances des autres. Les compagnons du Prophète et ceux qui ont continué les conquêtes ont même bénéficié des sciences et de la connaissance des arts des anciens relatifs à la construction et l’ingénierie. 

D’autre part, préserver les vestiges et monuments des autres civilisations et religions non islamiques est une question de sagesse et de bon sens qui permet aussi de les encourager à rejoindre volontairement l’Islam. « Il n’y a pas de contrainte en religion », ainsi Dieu a interdit tout préjudice à l’encontre de ces lieux, sa volonté était de les préserver. Comme indiqué dans le Coran, « les gens ne voyagent-ils pas à travers la terre et n’ont-ils pas le droit de voir quelle était la fin de ceux qui les ont précédés ? Ils étaient plus nombreux que ceux-ci et supérieurs en force par les traces [qu’ils ont laissées] sur Terre. Pourtant, tout ce qu’ils ont accompli n’a été d’aucun profit pour eux ». Dans ce verset, avancer sur la terre fait référence à l’interrogation et au raisonnement. Les deux versets sont également liés à ce qui a été déclaré dans le verset 80 « et vous y avez des profits et afin que vous atteigniez sur eux une chose nécessaire qui vous tenait à cœur. C’est sur eux et sur les vaisseaux que vous êtes transportés. »

La préservation des vestiges et des monuments historiques permet aux autres de découvrir  les mérites de l’Islam: « N'injuriez pas ceux qu'ils vénèrent, en dehors d'Allah, car par agressivité, ils injurieraient Allah, dans leur ignorance. » Il ne fait aucun doute que la destruction des vestiges ou la transformation des monuments historiques dans les pays multiconfessionnels et appartenant à des religions différentes ne sont pas des simples insultes temporaires, mais auront des conséquences graves sur le long terme. La destruction des monuments ou la reconversion des églises afin de leur porter atteinte est condamnable, car Dieu Tout-Puissant n’a pas ordonné l'éradication des signes qu’il a lui-même instauré pour prouver son existence aux gens, et c’est un élément important de la tolérance de l'islam.

Les monuments propres aux nations, y compris les églises et les lieux de culte pour les non-musulmans, ont été respectés, et préservés tout au long de l'histoire islamique, avant que la vision tolérante de l’Islam soit dénaturée au profit d’une rhétorique extrémiste. La définition de l’archéologie dans le livre « La clé du bonheur » est la suivante : c’est une science dans laquelle on étudie les paroles des savants: les compagnons du Prophète, leurs disciples et prédécesseurs, ainsi que leurs actions sur le temporel et le spirituel. C’est la définition que les donnent les premiers musulmans de l'archéologie. 

Le principe de préservation des monuments, des églises et des temples d’autres religions édicté par les érudits et les juristes islamiques s’inspire des objectifs de la charia tels que le Coran les a définis, mais aussi de « l’exercice pratique » des premiers conquérants musulmans, qui n’ont pas agressé les églises et les temples des autres avant l'émergence de la marée ottomane, puis de celle des groupes extrémistes terroristes.

L'Islam a ordonné à ses fidèles de laisser les gens pratiquer la religion de leur choix, et ne les a pas forcés à se convertir à l'islam. Il leur a permis de pratiquer leurs rituels religieux dans leurs lieux de culte, dont les musulmans ont assuré la sécurité et la protection. Toute sorte d’agression contre ces lieux de cultes a été interdite.

Selon la noble Sunna du Prophète, le Messager de Dieu  - que la paix soit avec lui et sa famille - a écrit à l’évêque de Bani Al-Harith bin Ka’b et aux évêques de Najran et à leurs prêtres, disciples et moines: « Tout ce qui leur appartient, restera à eux, et les droits et l’autorité des évêques, des prêtres et des moines resteront inchangés. Inchangés aussi resteront leurs conseils et toute acte de réconciliation entrepris par eux. »

Le fait est que la loi islamique assurait la sécurité des « Gens du Livre » dans l'exercice de leur culte, et ce qui exige également que les églises et les lieux de culte soient maintenus intacts sans être démolis ou vandalisés, et de les restituer en cas de destruction ou de vandalisme. Cela exige également que soit autorisée la construction d’églises et de lieux de culte en cas de besoin. Donner cette autorisation est complémentaire comme le dit l'Imam Abou Al-Fateh Bin Daqeeq Al-Eid dans « Explication de ‘Umdat Al-Ahkam ».

Il est inconcevable de reconvertir des églises, alors que l’Islam permet aux Dhimmis de rester fidèles à leur religion et de pratiquer leurs rituels religieux en construisant les lieux de culte quand le besoin se présente ! Tant que les musulmans ont accepté la citoyenneté des non-musulmans, et la vie avec eux, en leur laissant la liberté religieuse et en préservant leurs lieux de culte et tout ce qu’ils considèrent comme sacré, alors ils doivent s’efforcer de leur fournir les lieux de culte et s’assurer qu’ils puissent pratiquer leurs rituels en toute sécurité.

Le Prophète - que la paix soit sur lui - avait accordé aux chrétiens de Najran le droit de prier dans son honorable mosquée. La mosquée est la maison de Dieu dans la religion musulmane, et il y a lieu de préserver les lieux de culte d’autres religions de toute agression ou transformation, tant que les musulmans leur ont donné le droit d’y pratiquer leurs rituels religieux.

Afin de mieux comprendre les positions de l'islam, il faut se référer aux pratiques des musulmans, en particulier ceux des premiers âges, qui servent de référence. Les pratiques des musulmans tout au long de leur histoire honorable, prouvent leur noble éthique et la pureté de leur civilisation; depuis les l’époque du Prophète, de ses compagnons et leurs disciples.

La manipulation d’Erdogan n'est pas nouvelle. C’est une tentative de provoquer d’autres nations qui a déjà un précédent dans l’histoire islamique. En effet, une affaire similaire s’est produite avec les Byzantins, comme l’a déclaré l’historien Muhammad Kurd Ali dans son livre « Les plans du Levant » (6/10-12, la Bibliothèque d'Al-Nuri, Damas) : « La justification de la dénaturation de l’église Sainte Sophie lors de la conquête ottomane de Constantinople était que les Byzantins persécutaient les musulmans. Les dirigeants ottomans n’ont rien trouvé de mieux pour soulager le mal dont souffrait les sujets musulmans que de provoquer les chrétiens chez eux, suscitant le courroux des rois des chrétiens, qui ont vu leurs églises, chères au cœur de leurs enfants être bafouées, Bref, c’est comme ce qui se passait aujourd’hui s’était passé  hier ! »

Youssef El-Deeni est chercheur en Sciences politiques.

Twitter: @aldayni

NDLR: Les opinions exprimées dans la présente publication sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com