KIEV: La guerre entre dans Kiev: un centre commercial de la capitale ukrainienne a été ravagé par un bombardement meurtrier russe, Moscou affirmant avoir ciblé une cache d'armes, tandis que l'Union européenne a qualifié lundi la dévastation de la ville assiégée de Marioupol de "crime de guerre majeur".
A Washington, le président Joe Biden a lui dit craindre d'éventuelles cyberattaques russes en réponse aux sanctions occidentales.
Au 26e jour de l'invasion de l'Ukraine décidée par le président russe Vladimir Poutine, les bombardements se sont poursuivis sur nombre de villes: Kiev, Kharkiv, Marioupol, Odessa, Mykolaïv...
A Kiev, un nouveau couvre-feu est entré en vigueur lundi à 20H00 (18H00 GMT) jusqu'à mercredi 07H00.
Depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine, le 24 février, "65 habitants pacifiques de Kiev, dont quatre enfants, sont morts" et environ 300 personnes, dont 16 enfants, ont été blessées dans "les bombardements des militaires russes", a déclaré lundi le maire de la capitale, Vitali Klitschko.
Tard dimanche soir, une puissante frappe russe, vraisemblablement un missile, a détruit l'immense centre commercial "Retroville", dans le nord-ouest de Kiev, secouant toute la ville.
Selon Moscou, le centre commercial "inopérant" servait de dépôt d'armements. "Une batterie de lance-roquettes multiples et une base de stockage de leurs munitions a été détruite avec des armes de précision à longue portée", a déclaré le ministère russe de la Défense.
L'AFP a vu, sous leur linceul de plastique, six cadavres sortis des décombres. Il s'agissait d'hommes vêtus d'effets militaires, laissant à penser que des soldats dormaient sans doute là. Les restes d'un énorme bloc moteur, fiché dans le sol, et des morceaux de carcasses d'acier vert caractéristiques font inévitablement penser à des engins blindés.
"Mon appartement a vacillé sous le souffle de l'explosion, j'ai cru que l'immeuble allait tomber", s'étonne encore Vladimir, 76 ans.
De l'avis de tous sur le site, il s'agit de l'attaque la plus violente contre Kiev depuis le début de la guerre.
L'explosion a détruit les vitres de tout le quartier et endommagé une dizaine d'immeubles. Débris, véhicules anéantis et ferrailles tordues jonchaient la scène sur des centaines de mètres, a constaté l'AFP.
D'un immeuble de 10 étages carbonisé, il ne reste que la structure en béton - "les bureaux du centre commercial, heureusement il n'y avait personne", explique un riverain.
Manifestation dispersée à Kherson
A Marioupol, grande ville portuaire du sud, majoritairement russophone, assiégée et bombardée depuis des semaines par les Russes, quelque 350 000 habitants restent bloqués dans des ruines jonchées de cadavres, manquant de tout.
Moscou avait demandé dimanche aux défenseurs de la ville de "déposer les armes", mais l'Ukraine "ne peut accepter aucun ultimatum de la Russie", a rétorqué lundi le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Il a par ailleurs affirmé que tout "compromis" dans les négociations avec la Russie serait soumis à référendum en Ukraine. En soirée, il a aussi insisté sur la nécessité d'une "rencontre", "sous quelque forme que ce soit", avec son homologue russe.
"Je crois que, sans cette rencontre, il est impossible de comprendre pleinement ce à quoi ils (les Russes) sont prêts pour arrêter la guerre", a déclaré M. Zelensky dans un entretien avec Suspilne, un média public régional ukrainien.
Marioupol, cible stratégique pour les Russes, constitue un pont terrestre entre leurs forces en Crimée, au sud-ouest, et les territoires qu'ils contrôlent au nord et à l'est.
Selon l'administration militaire de la région de Donetsk, l'un de ces territoires de l'est, "plus de 80% des infrastructures de la ville sont endommagées ou détruites". La situation humanitaire y est "extrêmement grave", selon l'ONU, avec "une pénurie critique et potentiellement mortelle de nourriture, d'eau et de médicaments".
Pour le chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, "ce qui se passe à Marioupol est un crime de guerre majeur". "Les bombardements indiscriminés dévastent la ville et tuent tout le monde", a-t-il dénoncé.
Ce lundi, M. Biden et les dirigeants français Emmanuel Macron, britannique Boris Johnson, allemand Olaf Scholtz et italien Mario Draghi se sont entretenus par vidéoconférence notamment de la "situation humanitaire critique à Marioupol, et l'urgence d’obtenir un accès sans entrave de l'aide humanitaire", a indiqué la présidence française.
Le président Zelensky a lui accusé la Russie de "tout simplement détruire" la ville. "Ils la réduisent en cendres, mais nous leur survivrons", a-t-il assuré, dans une vidéo publiée lundi soir.
Lundi, 3 007 personnes évacuées de Marioupol sont arrivées à Zaporojie, à environ 200 km au nord-ouest, selon la présidence ukrainienne.
Dans la ville occupée de Kherson, dans le sud de l'Ukraine, une manifestation a elle été dispersée par des tirs d'armes automatiques et de gaz lacrymogène, qui ont fait au moins un blessé, selon des vidéos de deux médias locaux.
La France achemine 55 tonnes d'aide humanitaire vers l'Ukraine
Cette aide d'urgence, d'une valeur de 2,4 millions d'euros, a été envoyée par avion cargo A330 depuis Paris vers Varsovie, a précisé le ministère dans un communiqué.
"En lien avec les autorités polonaises, ces matériels seront remis aux autorités ukrainiennes sans délai", est-il précisé.
Le matériel médical - 10 tonnes au total - comprend notamment dix générateurs d’oxygène destinés aux services de réanimation ainsi que neuf tonnes de médicaments.
La France a aussi envoyé 31 groupes électrogènes, dont six de forte capacité, "destinés à renforcer la sécurité électrique de structures de santé ukrainiennes".
Huit tonnes de matériel informatique et de communication - smartphones, ordinateurs, routeurs ainsi que 60 km de fibre optique - doivent aussi contribuer à assurer la continuité des liaisons et communications.
«Ennemi très supérieur numériquement»
Le ministre ukrainien de la Défense Oleksii Reznikov a admis que "la situation est très difficile" face à "un ennemi très supérieur numériquement et la menace d'une invasion terrestre de l'armée" du Bélarus, allié de Moscou, a-t-il ajouté.
L'armée ukrainienne a affirmé lundi que les Russes avaient perdu 15 000 soldats, tandis que M. Zelensky annonçait 1 300 militaires ukrainiens tués le 12 mars - des chiffres impossibles à vérifier. Des sources du renseignement américain citées par le New York Times avancent plus de 7 000 Russes tués.
Cherchant à mobiliser toujours plus la communauté internationale, M. Zelensky a appelé lundi l'UE à cesser tout commerce avec la Russie, notamment concernant "les ressources énergétiques". "Sans commerce avec vous, sans vos entreprises et vos banques, la Russie n'aura plus d'argent pour cette guerre", a-t-il lancé.
Les Européens, très dépendants des hydrocarbures russes, ont jusqu'ici exclu de sanctionner ce secteur, très important pour l'économie de la Russie.
Et le Kremlin a averti qu'un embargo européen sur le pétrole russe frapperait "tout le monde".
Les cours du pétrole ont bondi de plus de 7% lundi, le Brent européen et le WTI américain repassant tous deux le seuil des 110 dollars le baril, stimulés par la perspective d'un possible embargo européen.
Réunis à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l'UE ont décidé de doubler leur soutien financier pour les achats d'armements envoyés à Kiev, après l'épuisement d'une première enveloppe de 500 millions d'euros.
"Aucun train de sanctions ne sera décidé cette semaine", a déclaré M. Borrell. "Mais des orientations seront données jeudi et vendredi lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement et elle seront suivies par des décisions concrètes", a-t-il expliqué.
Craignant des représailles face aux sanctions, Joe Biden a lui appelé les entreprises américaines à se protéger, "se fondant sur des données en constante évolution des services de renseignement, selon lesquelles l'Etat russe envisage différentes pistes de cyberattaques potentielles".
Pourraient être visées selon la Maison Blanche des infrastructures essentielles, majoritairement opérées et détenues par le secteur privé américain.
Réfugiés d'Ukraine : Europol avertit du risque de trafic d'êtres humains
"Le nombre de victimes potentielles arrivant d'Ukraine est susceptible d'attirer à la fois les agresseurs individuels et opportunistes se faisant passer pour des bénévoles ainsi que des réseaux criminels spécialisés dans le trafic d'êtres humains", a averti l'agence européenne de police dans un communiqué.
Les zones les plus préoccupantes sont selon Europol les zones frontalières, les centres d'accueil et d'hébergement ainsi que les centres de transport tels que les gares ferroviaires et routières.
L'Europe de l'Est a été une région d'origine clef pour des victimes de trafic d'être humains exploitées dans toute l'UE. C'est aussi une région d'origine de membres de nombreux réseaux criminels, a rappelé Europol.
La plupart des personnes qui fuient l'Ukraine sont des femmes, des enfants et des personnes vulnérables exposés au risque d'exploitation sexuelle et de travail ainsi que la criminalité forcée et la mendicité, ou d'autres activités criminelles.
Activité diplomatique
Une intense activité diplomatique attend cette semaine le président américain, qui participera jeudi à Bruxelles à un sommet extraordinaire de l'Otan, une réunion du G7 et un sommet de l'UE. Il se rendra vendredi et samedi en Pologne, principal pays d'arrivée des réfugiés ukrainiens.
Près de 3,5 millions de personnes - essentiellement des femmes et des enfants - ont fui l'Ukraine depuis le 24 février, selon le décompte de l'ONU publié lundi.
A Moscou, le ministère russe des Affaires étrangères a lui estimé que le président Biden avait conduit les relations russo-américaines "au bord de la rupture" par ses déclarations "indignes" visant Vladimir Poutine, qu'il a qualifié de "criminel de guerre". L'ambassadeur américain a été convoqué lundi.
Victimes collatérale de la guerre en Ukraine: les négociations russo-japonaises sur le sort de quatre petites îles de l'archipel des Kouriles. Moscou a annoncé lundi abandonner les pourparlers, arguant de la "position inamicale" de Tokyo face au conflit en Ukraine.
En Russie, où les autorités visent un contrôle total de l'information en ligne, ce sont les géants américains des réseaux sociaux Facebook et Instagram qui ont été interdits lundi pour "extrémisme".
Le régulateur russe des médias a aussi bloqué l'accès au site de la chaîne française Euronews.