KIEV : Des bombardements meurtriers ont frappé lundi l'Ukraine, où l'offensive russe s'est élargie à l'ensemble du pays, alors qu'un nouveau round de pourparlers russo-ukrainiens a été prolongé jusqu'à mardi, sans résultat pour le moment.
Une frappe contre un immeuble résidentiel a causé mardi la mort d'au moins deux personnes à Kiev, ont indiqué les secours qui signalaient des tirs dans plusieurs endroits de la capitale ukrainienne, que l'armée russe cherche à encercler.
Sur Facebook, les services d'urgence ont indiqué qu'une "frappe" avait visé un bâtiment de 15 étages dans le quartier de Sviatochine, dans l'ouest de Kiev, causant l'incendie de tout l'immeuble.
Au 19e jour de l'invasion de l'Ukraine lancée par le président russe Vladimir Poutine, le Kremlin a évoqué "la possibilité de prendre sous contrôle total (les) grandes villes qui sont déjà encerclées". Ce qui impliquerait un assaut militaire majeur, vu la farouche résistance ukrainienne.
Ces derniers jours, les combats se sont intensifiés autour de Kiev, presque entièrement encerclée, qui s'est vidée de plus de la moitié de ses trois millions d'habitants.
Dès l'aube lundi, un bâtiment de huit étages d'un quartier nord de la capitale, Obolon, a été touché, vraisemblablement "par un tir d'artillerie" russe qui a fait un mort et 12 blessés, selon les services d'urgence ukrainiens. Plus tard, un autre bombardement a touché un autre quartier, faisant un autre mort.
A la périphérie nord-ouest de Kiev, théâtre de violents combats depuis plusieurs jours, un premier journaliste étranger, l'Américain Brent Renaud, est mort dimanche, atteint à la nuque par une balle d'origine incertaine.
La capitale est "une ville en état de siège", selon un conseiller du président ukrainien.
A Donetsk, les séparatistes prorusses soutenus par Moscou, qui tiennent ce centre industriel de l'est de l'Ukraine depuis 2014, ont affirmé qu'une frappe de l'armée ukrainienne avait visé le centre-ville, faisant au moins 16 morts selon le "ministère" local de la Santé, et 23 morts selon Moscou. Les séparatistes ont publié des photos montrant des corps ensanglantés gisant dans une rue, au milieu de débris.
L'armée ukrainienne a fermement démenti avoir tiré sur Donetsk. "Il s'agit définitivement d'un missile russe ou d'un autre type de munition", a déclaré le porte-parole de l'armée ukrainienne Leonid Matioukine.
Dans la région voisine de Lougansk, où les séparatistes prorusses ont également fondé une "république populaire" depuis 2014, toute la partie qui restait sous contrôle ukrainien jusqu'à l'invasion russe lancée le 24 février est désormais "sous les bombardements", a indiqué son chef militaire ukrainien, Serguïi Gaïdai.
Il a accusé les Russes de frapper "habitations, hôpitaux, écoles, réseaux d'eau, de gaz et d'électricité", ainsi que les trains évacuant vers l'ouest quelque 2.000 civils par jour.
Ukraine: la centrale de Tchernobyl de nouveau coupée du réseau électrique
L'Ukraine a accusé lundi l'armée russe d'avoir à nouveau coupé l'alimentation électrique du site nucléaire de Tchernobyl et d'avoir fait exploser des munitions près d'un réacteur de Zaporojie, les deux centrales étant sous contrôle de Moscou.
Les autorités ukrainiennes avaient indiqué la veille avoir rétabli l'alimentation électrique de l'ancienne centrale de Tchernobyl, qui a toujours besoin d'énergie pour assurer la sécurité optimale des assemblages combustibles stockés sur place.
Concrètement, Ukrenergo affirme que ses techniciens avaient réparé une ligne à haute tension alimentant le site de Tchernobyl et la ville de Slavoutitch. Cette ligne ayant à nouveau été endommagée, selon cette source, d'autres employés vont devoir retourner sur place pour "réparer ces nouveaux dégâts".
"Une alimentation en énergie stable permettra d'éviter une répétition de la catastrophe de Tchernobyl", a soutenu Ukrenergo.
Pour l'heure, Moscou n'a pas répondu à cette accusation. Après l'annonce de la première coupure de courant par Kiev, la Russie avait dénoncé une "provocation" ukrainienne.
Aide humanitaire bloquée
Plus à l'ouest, dans une autre grande ville industrielle, Dnipro, où se réfugiaient jusqu'ici les civils arrivant de Kharkiv ou Zaporojie, les sirènes d'alerte ont retenti lundi pendant cinq heures d'affilée, pour la première fois depuis le 24 février.
La ville n'a finalement pas été touchée, mais "il n'y a plus aucun endroit sûr", a témoigné Yilena, 38 ans, arrivée de Zaporojie début mars.
La Russie resserre aussi son étau dans le Sud. Ses forces navales ont "établi un blocus à distance de la côte ukrainienne de la mer Noire", selon le ministère britannique de la Défense.
La situation reste dramatique dans le port stratégique de Marioupol (sud-est), assiégé par les Russes.
Pour la première fois depuis des jours, un convoi de 210 voitures a cependant pu quitter la ville lundi en direction de Zaporojie, mais s'est arrêté à Berdiansk, selon Ismail Hacioglu, président de l'association de la mosquée Suleiman de Marioupol.
Un autre convoi, d'aide humanitaire celui-là, qui cherche depuis des jours à entrer dans la ville, a à nouveau été bloqué lundi par les soldats russes, également à Berdiansk, à 85 km de Marioupol, selon les autorités ukrainiennes.
Quelque 400.000 habitants de Marioupol vivent terrés dans des caves, privés d'eau, d'électricité, de chauffage et de nourriture. Plus de 2.187 civils ont péri à Marioupol depuis le 24 février, selon la municipalité.
La guerre gagne aussi l'ouest du pays, jusqu'ici plutôt calme. Des bombardements avaient déjà fait 35 morts dimanche sur la base militaire de Yavoriv, proche de la Pologne, pays membre de l'Otan et de l'Union européenne, et proche de Lviv, ville refuge de milliers de déplacés.
Lundi, neuf personnes ont été tuées et neuf blessées par une frappe contre une tour de télévision près de Rivne (nord-ouest), où les secours continuaient de fouiller les décombres à la recherche d'autres victimes, selon les autorités locales.
Les dirigeants ukrainiens ne cessent d'appeler l'Otan à instaurer une zone d'exclusion aérienne au-dessus du pays, mais l'Alliance refuse, de crainte d'être entraînée dans la guerre. Le président américain Joe Biden a prévenu que l'Otan affrontant la Russie "serait la Troisième Guerre mondiale".
Au total, plus de 2,8 millions de personnes ont fui l'Ukraine depuis le début de l'invasion russe, selon le dernier décompte publié lundi par l'ONU, qui recense aussi environ 2 million de déplacés à l'intérieur du pays.
Rencontre Poutine-Zelensky?
C'est dans ce contexte qu'ont repris lundi, par visioconférence, des pourparlers entre délégations russe et ukrainienne.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui n'y participe pas directement, les a qualifiés de "difficiles", espérant parvenir à "une paix honnête avec des garanties de sécurité" pour l'Ukraine.
En fin d'après-midi, le chef des négociateurs ukrainiens Mykhaïlo Podoliak annonçait une "pause technique" et une reprise des pourparlers mardi.
Après trois tours de discussions en présentiel au Bélarus, puis une rencontre jeudi en Turquie des chefs de la diplomatie russe et ukrainien, les deux parties s'étaient montrées dernièrement plus optimistes.
Vendredi, Vladimir Poutine avait évoqué des "avancées", puis Volodymyr Zelensky samedi une approche nouvelle, "fondamentalement différente", de Moscou dans les négociations.
Pour le chef de l'Etat ukrainien, sa délégation a "une tâche claire: tout faire pour assurer une rencontre des présidents."
Signe que les marchés veulent croire à une percée: les prix du pétrole ont reculé sur les marchés lundi, le baril de brut WTI repassant brièvement sous la barre des 100 dollars pour finir à 103,01 dollars, après avoir dépassé les 130 dollars la semaine dernière.
«Rien n'a changé» pour la Station spatiale internationale, réaffirme la Nasa
La Nasa a réaffirmé lundi que la collaboration entre les Etats-Unis et la Russie sur la Station spatiale internationale se poursuivait normalement malgré les tensions extrêmes liées à la guerre en Ukraine, soulignant qu'un astronaute américain rentrerait bien comme prévu sur Terre à la fin du mois à bord d'un vaisseau russe.
L'engin atterrira au Kazakhstan et ramènera également les cosmonautes russes Pyotr Dubrov et Anton Shkaplerov.
Malgré les tensions extrêmes entre Washington et Moscou, les deux pays doivent continuer à collaborer afin d'assurer le fonctionnement de l'ISS.
"Rien n'a changé ces trois dernières semaines", a affirmé Joel Montalbano. "Les centres de contrôle continuent à opérer sans problème."
"A l'heure actuelle, il n'y a aucune indication que nos partenaires russes veuillent faire les choses différemment. Donc nous prévoyons de continuer les opérations comme nous le faisons aujourd'hui", a-t-il dit.
L'ISS héberge actuellement deux Russes, quatre Américains et un Allemand.
Devant les membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à Strasbourg (France), le Premier ministre ukrainien Denys Chmygal a demandé lundi "l'expulsion immédiate" de la Russie de cette organisation paneuropéenne de défense des droits humains, ce qui serait une première dans son histoire.
Et à La Haye, la Cour internationale de justice (CIJ) a indiqué qu'elle rendrait son verdict mercredi dans la procédure lancée par Kiev, qui demande au plus haut tribunal de l'ONU d'ordonner à Moscou d'arrêter son invasion.
En attendant l'issue des négociations, le risque d'un élargissement du conflit est dans tous les esprits.
Le conseiller à la sécurité nationale du président américain, Jake Sullivan, a rencontré lundi à Rome Yang Jiechi, le plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la diplomatie.
La discussion "intense" et "très franche", qui n'a en rien fait baisser la tension, a duré sept heures, a indiqué la Maison Blanche, qui juge "profondément préoccupante" la position "d'alignement de la Chine avec la Russie" dans le conflit.
De hauts fonctionnaires américains ont déclaré à des médias américains que la Russie avait demandé une aide économique et militaire à la Chine pour ce conflit dont Moscou semble avoir sous-estimé la difficulté. Pékin a accusé Washington de mentir sur le rôle chinois dans cette guerre.
Bien que prévus de longue date, des exercices de l'Otan, "Cold Response 2022", impliquant 30.000 soldats, 200 avions et une cinquantaine de navires de 27 pays, ont démarré lundi dans l'Arctique en Norvège, qui testeront avec une urgence nouvelle la capacité de ses membres à porter secours à l'un d'eux.
Nouvelles sanctions
Pour l'instant, outre les livraisons d'armement à l'Ukraine, les Occidentaux utilisent surtout l'arme économique contre la Russie.
L'Union européenne a décidé de sanctionner de nouveaux oligarques russes, notamment le milliardaire Roman Abramovitch, propriétaire du club anglais de football de Chelsea, ont indiqué des diplomates à l'AFP.
Auparavant, 862 personnes et 53 entités russes figuraient déjà sur cette liste noire, qui interdit l'entrée sur le territoire de l'UE et permet la saisie de leurs avoirs.
Alors que les sanctions précédentes ont déjà gelé quelque 300 milliards de dollars de réserves russes à l'étranger, Moscou a accusé l'Occident de vouloir provoquer un défaut de paiement "artificiel" de la Russie.
La Russie pourrait avoir du mal à honorer plusieurs échéances de paiement de dettes en devises étrangères courant mars-avril, ravivant le souvenir de son humiliant défaut de 1998.
Le bras-de-fer économique russo-occidental a des effets très concrets sur la population russe: dernier en date, le réseau social Instagram, propriété du groupe américain Meta, est devenu inaccessible en Russie lundi.
Une manifestante contre l'offensive en Ukraine interrompt le journal télévisé russe
La scène s'est produite pendant le principal programme d'information du soir de la plus puissante chaîne télévisée du pays, Pervy Kanal, baptisé "Vremia" ("le temps"), un rendez-vous quotidien suivi par des millions de Russes depuis l'époque soviétique.
Alors que la célèbre présentatrice Ekaterina Andreïeva est en train de parler, Mme Ovsiannikova surgit derrière elle avec une pancarte sur laquelle on peut lire "Non à la guerre. Ne croyez pas la propagande. On vous ment, ici".
"Les Russes sont contre la guerre", peut-on encore lire sur la pancarte sur laquelle le drapeau de l'Ukraine et celui de la Russie sont dessinés.
Selon l'agence de presse Tass, la jeune femme pourrait être poursuivie pour avoir "discrédité l'utilisation des forces armées russes".
Dans une vidéo enregistrée préalablement et publiée par OVD-Info, Mme Ovsiannikova explique que son père étant ukrainien et sa mère russe, elle n'arrive pas à voir les deux pays comme ennemis.
Moscou, qui accuse Meta de propager des appels à la violence contre les Russes en lien avec le conflit en Ukraine, a ajouté le réseau à sa liste de sites en "accès restreint", comme Facebook, Twitter et plusieurs médias critiques du Kremlin.