PARIS : L'attentat en 1994 contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, sur lequel l'enquête française a été définitivement close par la justice mardi, est considéré comme l'élément déclencheur du génocide des Tutsi.
La Cour de cassation a définitivement validé mardi le non-lieu prononcé en 2018 par des juges d'instruction parisiens dans l'enquête sur cet attentat, mettant un point final à ce dossier qui a empoisonné les relations franco-rwandaises pendant plus de vingt ans.
Le soir du 6 avril 1994, un Falcon 50 transportant le président Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira est abattu en phase d'atterrissage à Kigali par au moins un missile.
Habyarimana, un Hutu, revenait d'un sommet en Tanzanie consacré aux crises rwandaise et burundaise et au processus de négociations engagé avec la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR, à majorité tutsi) menée par Paul Kagame, l'actuel président du pays.
Le représentant du Rwanda à l'ONU déclare que les deux présidents "ont été assassinés par les ennemis de la paix". Le ministère rwandais de la Défense affirme que l'avion a été "abattu par des éléments non identifiés".
Le lendemain de l'attentat, le Premier ministre hutu modéré Agathe Uwilingiyimana, dix Casques bleus belges de la Minuar chargés de sa protection et plusieurs ministres de l'opposition sont tués.
Commencent alors des massacres à grande échelle. Les milices hutu Interahamwe et les Forces armées rwandaises (FAR) massacrent méthodiquement les Tutsi, de même que les opposants hutu au parti d'Habyarimana. Dans tout le pays, hommes, femmes et enfants tutsi sont exterminés à coups de machettes.
La population, encouragée par les autorités et des médias, dont la tristement célèbre Radio-télévision libre des Mille collines (RTLM), prend largement part aux massacres, viols et pillages.
La justice française clôt définitivement le dossier de l'attentat déclencheur du génocide au Rwanda
La Cour de cassation a définitivement clos mardi le dossier de l'attentat qui a déclenché le génocide de 1994 au Rwanda, en validant le non-lieu prononcé en 2018 dans cette enquête qui a empoisonné les relations franco-rwandaises pendant plus de vingt ans.
Dans un arrêt consulté par l'AFP, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français a rejeté les pourvois déposés par les familles de victimes de l'attentat contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana.
Celles-ci entendaient contester, sur des points de droit, l'abandon des poursuites contre plusieurs membres de l'entourage du président rwandais actuel Paul Kagame, confirmé en 2020 par la cour d'appel de Paris.
Le 6 avril 1994, l'avion transportant le président rwandais de l'époque Juvénal Habyarimana, un Hutu, et le président burundais Cyprien Ntaryamira avait été abattu en phase d'atterrissage vers Kigali par au moins un missile.
L'attentat est considéré comme le point de départ du génocide qui fit plus de 800.000 morts selon l'ONU, principalement dans la minorité tutsi.
Qui fut l'auteur du tir fatal sur le Falcon 50 présidentiel ?
Les enquêteurs français, saisis en 1998 après la plainte des familles de l'équipage, de nationalité française, ont longtemps privilégié la responsabilité des rebelles tutsi menés par Paul Kagame. Puis ils se sont orientés un temps - sans davantage aboutir - vers l'implication d'extrémistes hutu, soucieux de se débarrasser d'un président trop modéré à leurs yeux.
Le 21 décembre 2018, les juges d'instruction avaient finalement décidé d'abandonner les poursuites contre neuf membres ou anciens membres de l'entourage de Paul Kagame, qui avaient suscité de fortes tensions dans les relations entre Paris et Kigali.
Affaire non élucidée
"En l'absence d'éléments matériels indiscutables", l'accusation reposait sur des témoignages "largement contradictoires ou non vérifiables", avaient-ils estimé.
Les magistrats avaient souligné par ailleurs le "climat délétère" de l'enquête, émaillée d'assassinats, de disparitions de témoins et de manipulations, et ordonné un non-lieu.
Dans sa décision de mardi, la Cour de cassation a estimé que la cour d'appel de Paris, qui avait confirmé la décision des juges en juillet 2020, avait "exposé, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, que l'information était complète et qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis les crimes reprochés, ni toute autre infraction".
Les avocats de la défense, Me Léon-Lef Forster et Me Bernard Maingain, saluent dans un communiqué une "victoire judiciaire définitive des militaires rwandais injustement accusés par Monsieur (Jean-Louis) Bruguière", le juge d'instruction qui avait signé des mandats d'arrêt à leur encontre et qui avait en 2006 recommandé des poursuites contre le président Kagame devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
"Au terme de cette procédure à relent politique manifeste, la défense espère que le combat mené sur le front judiciaire contribuera aussi à rendre justice au million de victimes du génocide des Tutsi", ont-ils déclaré, dénonçant de "multiples manipulations et falsifications" lors de l'enquête "d'une coalition d'intérêts hétéroclites motivés par des considérations étrangères à la recherche de la vérité judiciaire".
Pour le chercheur François Graner, membre de l'association Survie, engagée contre la Françafrique, "c'est la fin d'une instruction bâclée, d'une enquête à charge".
"Pour les relations entre les deux pays, une nouvelle page s'ouvre, ça libère l'horizon diplomatique qui s'était déjà bien dégagé" depuis le rapport de la commission d'historiens Duclert, a-t-il observé, ajoutant que cet attentat faisait "partie des grandes affaires non élucidées".
"Cette décision déçoit évidemment les parties civiles rwandaises, mais en réalité le mal est fait depuis longtemps", a réagi pour sa part Me Philippe Meilhac, avocat d'Agathe Habyarimana, la veuve de l'ancien président rwandais.
"Elles ne sont toutefois pas résignées car elles savent très bien que ce dossier a été sacrifié pour des raisons purement diplomatiques", a-t-il souligné. "La procédure pourra probablement reprendre quand la situation politico-diplomatique évoluera".
Entre avril et juillet 1994, le génocide fait environ 800.000 morts, selon l'ONU.
Le 27 mars 1998, une enquête judiciaire est ouverte en France, après une plainte de la famille d'un pilote français tué dans l'attentat.
En novembre 2006, le juge Jean-Louis Bruguière, en charge de l'enquête, recommande des poursuites contre le président Kagame devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda pour sa "participation présumée" à l'attentat et signe des mandats d'arrêt visant ses proches.
Dans la foulée, Kigali coupe les ponts avec Paris, et se lance dans une contre-enquête qui accuse des extrémistes des FAR de l'attentat et met en cause la France pour son soutien au "régime génocidaire" d'Habyarimana.
Les relations diplomatiques reprennent trois ans plus tard. Entre-temps, le juge Bruguière a été remplacé par le juge Marc Trévidic.
Le 10 janvier 2012, un rapport d'expertise français sur l'attentat conclut que l'avion a été abattu par des missiles tirés du camp militaire de Kanombe, alors aux mains de la garde présidentielle de Habyarimana.
Le 20 décembre 2017, à Paris, les juges antiterroristes Jean-Marc Herbaut et Nathalie Poux, qui ont repris le dossier, signifient la fin de l'enquête.
Le 21 décembre 2018, les juges d'instruction rendent une ordonnance de non-lieu faute de "charges suffisantes" à l'encontre de neuf membres ou anciens membres de l'entourage de Paul Kagame.
Le 3 juillet 2020, la cour d'appel de Paris confirme le non-lieu. Les avocats de la famille Habyarimana et de celles de l'équipage français de l'avion se pourvoient en cassation. Ces pourvois ont été rejetés ce mardi.