MOSCOU: Les Occidentaux et Moscou ont évoqué lundi une chance d'issue diplomatique pour écarter le risque d'une guerre en Ukraine, les Etats-Unis estimant que Vladimir Poutine n'avait pas pris sa "décision finale" sur le déclenchement d'une invasion.
Dans un contexte de tensions accrues, Washington a toutefois tempéré cet espoir en affirmant que Moscou avait encore renforcé pendant le week-end ses capacités militaires aux frontières de l'Ukraine, où plus de 100.000 soldats sont massés depuis des semaines.
"Une action militaire pourrait intervenir n'importe quand", a dit le porte-parole du Pentagone, John Kirby. Son homologue au département d'Etat, Ned Price, a lui souligné que les Etats-Unis ne constataient "aucun signe concret de désescalade" à la frontière russo-ukrainienne.
Face à l'"accélération spectaculaire" du déploiement de forces russes, les Etats-Unis ont décidé de déplacer leur ambassade en Ukraine de Kiev à Lviv, dans l'ouest du pays.
"Il reste une opportunité cruciale pour la diplomatie", ont toutefois souligné le Premier ministre britannique Boris Johnson et le président américain Joe Biden qui se sont entretenus lundi par téléphone.
La Russie a aussi jugé possible lundi un règlement diplomatique de la crise russo-occidentale et annoncé la fin de certaines manœuvres militaires.
"Il y a toujours une chance", a déclaré le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, répondant à une question de Vladimir Poutine, selon des images diffusées à la télévision.
Washington compte offrir jusqu'à 1 milliard de dollars de garanties de crédit à Kiev
Les Etats-Unis envisagent d'offrir des garanties de crédit à l'Ukraine à hauteur de 1 milliard de dollars, a indiqué lundi la porte-parole adjointe de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre.
"C'est quelque chose que nous envisageons dans le cadre du soutien macroéconomique supplémentaire" à l'Ukraine, a-t-elle dit.
L'économie ukrainienne, minée par une corruption endémique et déjà l'une des plus pauvres d'Europe, souffre considérablement de l'exacerbation des tensions autour d'une possible invasion russe.
S'adressant par téléphone à plusieurs hauts responsables du Congrès, Jake Sullivan, conseiller à la sécurité de Joe Biden avait lundi matin fait savoir que les Etats-Unis allaient offrir de se porter garants des prêts à l'Ukraine, à hauteur d'un milliard de dollars, a indiqué à l'AFP une source participant à l'appel.
M. Sullivan a répété dimanche que les Russes pourraient attaquer l'Ukraine dès "cette semaine".
En plus d'une aide économique et humanitaire, les Etats-Unis ont déjà fourni 650 millions de dollars d'aide sécuritaire à Kiev l'an dernier.
"Nos possibilités sont loin d'être épuisées", a poursuivi le ministre, proposant même de "prolonger et d'élargir" le dialogue, des remarques bien moins offensives que celles qui ont émané de Moscou ces dernières semaines. "Bien", lui a laconiquement répondu le président russe.
Il n'y a "pas d'alternative à la diplomatie", a de son côté insisté le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres.
Des médias ont évoqué la date de mercredi comme jour potentiel d'une invasion russe. Une hypothèse qu'a semblé balayer le président ukrainien Volodymyr Zelensky, avec une dose de sarcasme.
"On nous dit que le 16 février sera le jour de l'attaque. Nous allons en faire une journée de l'unité", a déclaré le chef de l'Etat dans une adresse à la nation, appelant les Ukrainiens à accrocher le drapeau national bleu et jaune ce jour-là.
Ces déclarations interviennent alors que le chancelier allemand Olaf Scholz est à Kiev, avant un déplacement à Moscou mardi. M. Scholz a exhorté la Russie à saisir les "offres de dialogue" pour désamorcer la crise.
Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a estimé que "tous les éléments" étaient réunis pour une offensive militaire "forte" de la Russie. "Rien n'indique aujourd'hui" que le président Poutine ait pris une décision, a-t-il ajouté.
Mais, selon l'ambassadeur russe auprès de l'UE, Vladimir Tchijov, son pays "n'envahira pas l'Ukraine sauf si on nous provoque".
Comme pour donner l'impression d'un d'apaisement, le ministre russe de la Défense a également annoncé lundi la fin de certaines manœuvres militaires, alors que les exercices aux frontières russo-ukrainiennes et au Bélarus nourrissent les craintes d'une escalade.
"Des exercices ont lieu, une partie est terminée, une autre partie est en train de se terminer. D'autres se font encore étant donné (leur) taille", a dit Sergueï Choïgou à M. Poutine.
Le Canada accorde un prêt à l'Ukraine et envoie des armes
Le Canada va envoyer des armes à l'Ukraine et lui a accordé un nouveau prêt de 500 millions de dollars canadiens (347 millions d'euros), a annoncé lundi le Premier ministre Justin Trudeau.
C'est la première fois que le Canada envoie des équipements militaires létaux et des munitions à l'Ukraine. Cela représentera une livraison de 7,8 millions de dollars canadiens, a précisé Justin Trudeau.
"Le but de ce soutien du Canada et de nos autres partenaires est de dissuader la Russie de poursuivre son agression contre l'Ukraine", a déclaré le Premier ministre lors d'une conférence de presse largement consacrée à la crise des convois anti-mesures sanitaires qui secoue le Canada depuis plus de deux semaines.
Fin janvier, le Canada avait déjà accordé un prêt de 120 millions de dollars canadiens au gouvernement ukrainien pour soutenir l'économie du pays.
Tranchées creusées
La Russie, qui a déjà annexé la Crimée en 2014 et soutient des séparatistes prorusses dans l'Est de l'Ukraine, a constamment nié toute intention agressive.
Elle se dit à l'inverse menacée par l'expansion des moyens de l'Otan en Europe de l'Est et réclame des "garanties de sécurité", notamment l'assurance que l'Ukraine n'adhérera jamais à l'Otan.
Au risque d'irriter le Kremlin, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a réitéré lundi que Kiev voulait rejoindre l'Otan afin de "garantir sa sécurité".
Les Occidentaux ont jugé les demandes russes inacceptables, mais ont proposé un dialogue accru sur d'autres sujets, comme la limitation des armements.
Lundi, M. Lavrov a jugé "constructives" certaines des propositions américaines.
En attendant d'hypothétiques progrès sur le front diplomatique, dans le sud-est de l'Ukraine, à proximité de la ligne de front avec des séparatistes prorusses, la population se mobilise dans la perspective d'une attaque.
"Nous creusons des tranchées dans lesquelles les soldats ukrainiens pourront facilement sauter et se défendre", explique ainsi à l'AFP Mikhaïlo Anopa, 15 ans.
Menaces de sanctions
A Kiev, aucun signe de panique n'était visible. Mais Iouri Fedinski, un musicien de 46 ans, a choisi de quitter l'Est ukrainien pour les Etats-Unis avec sa femme enceinte et ses quatre enfants.
"Nous les emmenons apprendre l'anglais dans une école américaine (...), une alternative à ce que Poutine voudrait pour l'Ukraine", a-t-il dit à l'AFP à l'aéroport de Kiev.
Lors de son déplacement dans la capitale ukrainienne, M. Scholz a mis en garde Moscou.
En cas d'attaque, a-t-il assuré, "nous prendrons des mesures de grande envergure qui auront des répercussions importantes sur les possibilités d'évolution économique de la Russie". "C'est ce que je soulignerai demain à Moscou".
De son côté, M. Zelensky a estimé que le gazoduc controversé russo-allemand Nord Stream 2, qui permet de contourner le territoire ukrainien pour livrer du gaz russe à l'Europe, était une "arme géopolitique".