BONDY, France: "Les gens nous disent +c'est super ce que vous faites+. Mais cette admiration, ce n'est pas ça qui nous nourrit!". Dans une association d'aide aux femmes victimes de violences conjugales, près de Paris, des travailleuses sociales évoquent leur lassitude face à un métier qu'elles aiment, mais peu considéré et mal rémunéré.
"On nous relate des choses tellement horribles, ça finit par avoir un impact sur nos vies personnelles. C'est usant, émotionnellement", témoigne Sarah, qui depuis dix ans épaule au quotidien des femmes victimes au sein de l'association "SOS femmes 93", à Bondy (Seine-Saint-Denis).
"J'aime ce que je fais, je suis une militante des droits des femmes depuis des années. Mais à 51 ans je gagne 1.700 euros net par mois, et je me sens si mal considérée!", ajoute la travailleuse sociale. Comme des milliers de ses collègues du secteur médico-social, elle a fait grève début février pour dénoncer les salaires insuffisants, les conditions de travail difficiles et le manque d'attractivité de ces métiers.
Chez "SOS femmes 93" - association membre de la fédération FNSF qui gère la ligne d'appel 3919 -, une quarantaine de salariés se consacrent à l'accompagnement global, la mise en sécurité et l'hébergement de femmes victimes de violences conjugales.
Marjorie, Juliette, Marlène ou Myriam, qui comme Sarah refusent de donner leur nom de famille, animent des groupes de parole - où les femmes sont amenées à "déconstruire les mécanismes de l'emprise" - ou accompagnent les victimes dans leurs démarches au commissariat ou à la Caisse d'allocations familiales.
« Métier de cœur »
Elles s'efforcent de trouver des hébergements provisoires à des femmes qui ont tout laissé derrière elles en fuyant le domicile conjugal, et veillent à chaque détail, jusqu'à laver elles-mêmes les draps des chambres entre deux occupantes.
L'une dit son effroi quand un petit garçon, témoin d'une tentative de féminicide, lui a dit que "papa a fait pique-pique à maman", tout en mimant des coups de couteau. Une autre raconte avoir dû fournir un faux "alibi" à une femme pour lui permettre d'échapper à la surveillance de son conjoint violent et pouvoir ainsi venir dans les locaux de l'association.
Toutes soulignent "manquer de temps pour souffler", et être contraintes de "prioriser" pour parer au plus pressé. Les places d'hébergement, estiment ces salariées militantes, doivent nécessairement aller de pair avec un vrai accompagnement humain. Or, à cause des trop nombreux postes vacants, "chacun bricole dans son coin, et tout le monde craque", résume Sarah.
"C'est un métier de cœur et de passion. On sait pourquoi on va bosser le matin", souligne Marjorie. "Mais jusqu'à quel prix? On a tous les jours des demandes qu'on ne peut pas satisfaire, faute de places d'hébergement. Et on est si mal payées!"
Budgets très contraints
"J'ai un Bac+3, cinq ans d'ancienneté et je gagne environ 1.500 euros net", détaille Juliette. "A Paris ou en banlieue, avec un salaire pareil, c'est difficile de se loger décemment, en tout cas sans le salaire d'un conjoint".
"Comment bien accompagner des femmes plongées dans la précarité si nous sommes précaires, nous aussi?" renchérit Myriam.
Avec des rémunérations si peu attractives, les difficultés de recrutement sont énormes, soupire Brigitte Broux, la directrice de "SOS Femmes": sur 40 postes, 7,5 sont non pourvus, certains depuis plus de deux ans.
"On parle davantage de violences conjugales et de féminicides, et c'est tant mieux. Mais les moyens n'ont pas suivi. Les pouvoirs publics nous confient une mission sociale essentielle et la financent, mais insuffisamment: nos budgets sont très contraints", déplore-t-elle.
Dans l'ensemble des secteurs social et médico-social, quelque 1,9 million de salariés travaillent ainsi au service de personnes fragilisées ou handicapées, ou de mineurs en danger. "Actuellement, 65.000 postes sont non pourvus mais ça risque d'empirer car nous aurons 150.000 départs en retraite d'ici trois ans", s'alarme Paul de Marnix, directeur de communication de Nexem, l'une des principales organisations professionnelles du secteur.
Pour remédier à ces difficultés persistantes, le Premier ministre Jean Castex a promis en novembre d'organiser une "conférence des métiers de l'accompagnement social et médico-social". Initialement prévue avant l5 janvier, puis repoussée, elle doit finalement avoir lieu le 18 février.