PARIS : Après un long silence, le principal accusé des attentats du 13 novembre, Salah Abdeslam, s'est expliqué devant la cour cette semaine lors de son premier interrogatoire sur les faits.
Cinq mois après le coup d'envoi d'une audience "historique", la cour d'assises spéciale de Paris a commencé à donner la parole à la quasi-totalité des 14 accusés sur le fond du dossier.
Une foule se pressait pour assister à l'interrogatoire de l'accusé "numéro un" Salah Abdeslam, mutique pendant les cinq ans d'enquête, puis éruptif et provocateur au début du procès.
Le seul membre encore en vie des commandos qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis, ménage le suspense dès qu'il se lève dans le box, dit qu'il "hésite" encore à parler.
Il se lance pourtant dans une "déclaration spontanée" sur le sens d'une peine de prison pour ceux qui ont fait "marche arrière", laissant entendre une première fois qu'il a renoncé à tuer, en n'actionnant pas le soir des attentats sa ceinture d'explosifs - défectueuse pour les enquêteurs. Ce qu'il redira plus clairement après plusieurs heures d'interrogatoire.
« Diabolisé »
Avec ses déclarations sur "le fond du fond", il devance aussi de quelques semaines le calendrier de l'audience, la cour ne prévoyant de le questionner sur les ultimes préparatifs des attentats et la soirée fatidique qu'à partir de la mi-mars.
Il glisse que son frère aîné et admiré, Brahim Abdeslam, futur tueur des terrasses parisiennes, va lui "demander des choses" et qu'il va "faire ces choses-là". Avant de réfréner les ardeurs de la cour qui veut en savoir plus: "Si Dieu le veut, on pourra voir ça plus tard".
Pendant plus de sept heures, celui qui s'estime "diabolisé" affiche un discours ambivalent : d'un côté, aucun reniement de son adhésion à l'organisation État islamique qu'il "aime" ; de l'autre, son assurance qu'il n'est "pas un danger pour la société" et son espoir de s'occuper de ses parents après la prison, alors qu'il encourt la perpétuité.
La veille, dans un langage soutenu et réfléchi, son coaccusé Sofien Ayari avait lui détaillé les "raisons politiques" plus que religieuses derrière son engagement en Syrie au sein de l'EI, qui l'a ensuite missionné en Europe.
Une décision peut-être "impulsive" après les bombardements sur des civils, mais qu'il "assume". "Cela ne veut pas dire que c'était le choix juste", ajoute l'ex-étudiant tunisien, 28 ans aujourd'hui.
Sofien Ayari était aussi resté silencieux durant l'enquête et ne comptait pas s'exprimer au procès non plus. Pourquoi alors "ce besoin de parler ?", lui demande l'un de ses avocats, Ilyacine Maallaoui.
L'accusé évoque les cinq semaines d'auditions de parties civiles à l'automne et, notamment, le témoignage de cette mère qui "ressemblait" à la sienne, qui l'a particulièrement "touché".
« Jouer le jeu »
"Elle a dit qu'elle nous imaginait comme des petits anges et se demandait comment on était arrivé ici", souligne Sofien Ayari. "Cette femme qui a perdu sa fille, la seule chose qu'elle me demande, c'est de comprendre ce qui se passait dans ma tête. Je me suis dit que je lui devais ça, même si ça ne lui rendra pas sa fille".
Prenant la parole au nom de plusieurs parties civiles, Me Gérard Chemla dit leur "soulagement qu'il se soit exprimé", même si c'est "sa vérité". Elles "considèrent ça comme une marque de respect".
Au début de ces interrogatoires, le Belgo-Marocain Mohamed Bakkali avait lui, au contraire, exprimé le besoin de garder le silence "pour continuer à survivre". Un autre accusé, le Suédois Osama Krayem, avait déjà exercé son droit à se taire.
Après les auditions des parties civiles "difficiles à encaisser", "je n'ai plus la force de me battre ni de m'expliquer", a argumenté Mohamed Bakkali.
Celui qui a obtenu une licence en sociologie a mis en avant sa précédente condamnation, à 25 ans de réclusion et dont il a fait appel, dans le dossier de l'attentat déjoué du Thalys.
"J'ai eu beau jouer le jeu, ça n'a rien changé. (...) Quoi que je fasse c'est toujours la même chose, tout est considéré comme de la ruse".
Osama Krayem, qui refuse de comparaître à l'audience depuis novembre, à l'origine pour protester contre l'absence physique à la barre des enquêteurs belges, a expliqué avoir "perdu espoir" au fur et à mesure des débats.
"Je pense que personne n'est ici pour essayer de comprendre ce qu'il s'est passé et avoir des réponses", avait-il dit dans une lettre à la cour. "Je ressens que nous faisons tous semblant et que ce procès est une illusion".