LONDRES : La prestigieuse université de Cambridge (Angleterre) demande à partir de mercredi devant un tribunal ecclésiastique l'autorisation de retirer une plaque en hommage à un donateur lié la traite des esclaves, une affaire qui illustre la récente introspection du Royaume-Uni sur son passé colonial.
Dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, les appels se sont multipliés pour retirer les statues et les monuments de personnages historiques liés à l'esclavage et au racisme.
A Cambridge, le Jesus College souhaite retirer une plaque de marbre fixé sur un mur de sa chapelle et rendant hommage à Tobias Rustat, qui s'était impliqué financièrement dans la traite des esclaves au XVIIe siècle et fut l'un des plus importants donateurs de cette faculté.
Rustat, courtisan du roi Charles II, avait investi dans la Royal African Company, qui a déplacé près de 150 000 esclaves, et a participé à la gestion de cette entreprise.
Le Jesus College souligne qu'il "a eu une implication financière et administrative dans le commerce d'êtres humains réduits en esclavage pendant une période importante".
La faculté souhaite déplacer cette plaque sur laquelle figure un portrait de Rustat pour l'exposer dans une salle d'archives avec des précisions historiques.
Les universitaires ont voté en faveur de cette décision mais comme l'objet se trouve dans un édifice religieux, il revient à un juge nommé par l'Église d'Angleterre de se prononcer sur la question, à l'issue d'audiences devant un tribunal ecclésiastique. Celles-ci devraient durer trois à quatre jours et se tiendront dans la chapelle même du Jesus College.
Une rare audience
Dirigé par Sonita Alleyne, première femme noire nommée à la tête d'une faculté des prestigieuses universités d'Oxford et de Cambridge, le Jesus College avait rendu en octobre 2021 au Nigeria une sculpture de coq en bronze pillée il y a un siècle, devenant ainsi la première institution britannique à restituer un objet volé pendant la colonisation.
Aujourd'hui, certains anciens élèves et descendants de Rustat s'opposent au retrait de la plaque, arguant que ses dons ne provenaient pas d'argent tiré de l'esclavage.
Pour résoudre ce différend, l'Église d'Angleterre a convoqué une rare audience dans un tribunal consistoire, un type de tribunal ecclésiastique qui se penche généralement sur des affaires liées à des bâtiments d'église.
Des experts témoigneront devant le tribunal, qui sera présidé par un juge connu sous le nom de vice-chancelier, David Hodge.
Les avocats du Jesus College défendront le retrait de la plaque, tandis que le conseil d'un groupe d'anciens élèves expliquera pourquoi ils souhaitent son maintien.
Du côté des critiques, des défenseurs du patrimoine soulignent qu'il s'agit de l'œuvre de Grinling Gibbons, un sculpteur renommé. Historic England estime que l'enlever "nuirait à l'importance de la chapelle du Jesus College" et suggère à la place d'ajouter des explications sur Rustat ou de déplacer la plaque à un autre endroit de la chapelle.
Pour le tabloïd le Daily Mail, Tobias Rustat est une victime de la "cancel culture" (culture de l'effacement) et le Jesus College, qui a accepté d'importants dons de la Chine, est hypocrite.
Tobias Rustat avait donné environ 3.230 livres sterling (environ 500 000 livres sterling au cours actuel soit 600 000 euros) au Jesus College, principalement pour financer des bourses d'études pour les orphelins.
Comme le marchand d'esclaves Edward Colston, dont la statue à Bristol (ouest de l'Angleterre) a été déboulonnée en juin 2020 par des militants antiracistes, Rustat était une figure de proue de la Royal Africa Company au XVIIe siècle.
Rustat avait lui même commandé la création de la plaque lui rendant hommage plusieurs années avant sa mort à 87 ans. Il est enterré dans la chapelle du Jesus College.
La plaque ne fait aucune mention de l'esclavage, que la Grande-Bretagne a interdit en 1833. Rustat est aussi représenté par une statue près d'une bibliothèque de l'université Cambridge qui a déclaré avoir effectué des "enquêtes préliminaires" sur sa suppression.