PARIS : «Nous sommes militants!» Arep, l'agence d'architecture de la SNCF, veut mettre la réponse à l'urgence climatique au cœur de ses réalisations, affirme dans un entretien son président Raphaël Ménard. Quitte à perdre des contrats.
«Arep s'est défini une nouvelle mission: inventer un futur post-carbone», résume l'architecte-en-chef des gares françaises.
Au-delà de la nécessaire décarbonation des transports, pour laquelle la SNCF est bien placée, l'effort doit en effet être élargi aux bâtiments accueillant les voyageurs, et, partant, à toute la construction et à l'urbanisme, affirme-t-il.
Or, la première agence d'architecture de France s'intéresse à tous ces sujets. Et son champ d'action dépasse le domaine ferroviaire national, puisqu'un tiers de son activité est réalisé ailleurs: des «rues des écoles» apaisées à Paris aux plans d'urbanisme décarbonés d'Annecy et du Luxembourg et au mobilier urbain des JO de 2024, en passant par des gares et bureaux en Chine.
«Nous avons deux responsabilités», indique M. Ménard: «limiter l'impact de nos activités et de nos excès sur la planète, et adapter nos réalisations à la nouvelle donne climatique, puisque le coup est déjà parti».
En bref, la ville de 2050 -l'échéance fixée pour atteindre la neutralité carbone- doit être conçue dès aujourd'hui.
Un mot revient souvent: «frugalité».
Avec d'abord la nécessité d'«interroger la bonne dimension que doit avoir un aménagement, un bâtiment, un mobilier, et vraiment questionner l'usage».
«Quand on parvient à convaincre que non, peut-être que tel bâtiment ne devrait pas faire 1.200 m2 mais 1.100 m2, on a déjà gagné une partie de l'équation à la fois financière et écologique», estime M. Ménard.
Une discussion pas si simple, ledit bâtiment étant souvent pour l'élu donneur d'ordre «son doudou à lui», affirme-t-il en souriant.
«Et après, si on est aussi concepteur du projet, on essaiera encore d'amoindrir l'impact pour toucher la terre le plus légèrement possible», poursuit le responsable.
- «Ouvrir les chakras» -
«On creuse notre sillon avec la démarche EMC2B chaque fois qu'on intervient dans un projet», explique-t-il.
Clin d'oeil à Albert Einstein: EMC2B pour énergie, matière, carbone, climat et diversité, cinq critères pour lesquels Arep a désigné une grille de lecture de toutes ses réalisations.
«Il y a beaucoup, beaucoup de boulot à faire» sur la question des matériaux, note en particulier M. Ménard, s'inquiétant notamment de la raréfaction du sable et du cuivre.
Sur le mur vitré de son bureau, une affiche détaille l'impact des composants des bâtiments. Un guide de l'éco-conception maison figure en bonne place sur sa table, encombrée de croquis et de publications.
Et Arep n'entend pas construire n'importe quoi. «On est sélectifs sur les sujets sur lesquels on décide d'aller», remarque son patron.
«On ne cherche pas à tout crin à remplir notre carnet de commandes pour des choses qui ne sont pas en phase avec nos convictions», ajoute-t-il, reconnaissant volontiers que le soutien de sa maison-mère SNCF Gares & Connexions rend les choses plus faciles.
Il veut néanmoins «participer au débat public, poser sur la table un certain nombre de sujets, d'enjeux, d'impensés qui peuvent interroger».
«L'invention du monde post-carbone, on ne va pas la faire tout seuls», clame-t-il. «On a besoin d'ouvrir les chakras de tout le monde!»
Le militantisme pour promouvoir l'architecture écolo a conduit Arep a sortir une revue nommée Post --pour post-carbone, évidemment--, qu'il n'est, assure-t-il, ni un publireportage à la gloire de son agence, «ni un guide des Castors juniors» qui dirait comment bâtir le monde de demain.
Le but du jeu est selon lui de «bousculer les imaginaires» avec de nombreuses contributions extérieures.
Raphaël Ménard voudrait déjà que les architectes ne soient plus rémunérés au pourcentage des travaux réalisés, ce qui incite à ajouter des éléments inutiles et donc à augmenter l'empreinte carbone des bâtiments.
«Il ne faut pas que les questions environnementales tombent par moments dans la caricature», souligne-t-il. Pas d'éoliennes partout, donc, ni de ruches ajoutées comme autant de gadgets...
Parmi les sujets qui l'intéressent, il cite la nécessité d'éclaircir les toits de Paris pour moins capter la chaleur. «On a très envie de requalifier les quais» des gares, en ajoutant si possible de la verdure et des panneaux solaires, dit-il aussi.