PARIS : Des gravures authentiques, un dictionnaire français-malgache, de vieilles éditions introuvables… Les curieux du monde entier chinent sur les étals des bouquinistes des quais de Seine depuis des siècles. Mais la crise sanitaire menace cette institution parisienne.
"On a un cadre de travail extraordinaire", se réjouit encore, après trente années passées sur le quai de Conti, Jérôme Callais, le président de l'association culturelle des bouquinistes de Paris.
Comme lui, ils sont encore 220 à dénicher des livres anciens pour les proposer à leurs clients. "Bouquiniste, c'est souvent notre dernier métier", poursuit M. Callais, "on en a fait d'autres avant, mais lorsque l'on commence, on ne peut plus s'arrêter".
Un constat partagé par Jean-Pierre Mathias, 74 ans, installé face à la statue de Condorcet depuis trente ans: "mes boîtes ont cent ans, elles s'ouvrent toujours, elles me permettent de rester en bonne santé et un bouquiniste ne s'arrête que lorsqu'il ne peut plus les ouvrir".
Même délibérément optimiste, le vendeur ne cache pas que la profession traverse une crise: "certains de mes collègues n'ouvrent plus beaucoup, un peu démissionnaires face à la conjoncture actuelle".
Spécialisé dans la psychologie, il avait pris l'habitude d'accueillir de nombreux étudiants. "Il n'y a plus de librairie de psycho à Paris, j'occupe le créneau". "Ils sont un petit peu moins nombreux, quand même", concède-t-il, "entre le télétravail et le budget restreint, c'est plus difficile pour eux aussi".
En ce mois de janvier, les quais et leurs bouquinistes font grise mine et ce n'est pas qu'une question de saison ni de météo.
Face au Louvre, seules deux boîtes sont ouvertes quai de Conti, aucune rive droite. Fragilisés successivement par les grandes manifestations sociales des "gilets jaunes" et leurs débordements puis par la pandémie de Covid-19 qui les a contraints à fermer pendant les deux premiers confinements, les bouquinistes souffrent.
"On fait beaucoup de figuration, il faut s'accrocher pour ouvrir" alors que les touristes se font rares à Paris, assure Jérôme Calais. "Un quart seulement de notre clientèle vient d'Île-de-France" (région parisienne).
«Unique au monde»
En ce mois de janvier, 18 emplacements sont vacants sur les quais. La mairie de Paris a ouvert un appel à candidatures jusqu'au 18 février.
"Nous recherchons des spécialistes du livre pour faire perdurer la plus grande librairie à ciel ouvert du monde", explique Olivia Polski, l'adjointe à la maire socialiste de Paris Anne Hidalgo, en charge notamment du commerce.
Pour l'heure seules "25 candidatures" ont été recensées par la mairie lorsqu'une soixantaine étaient déposées les années précédentes pour autant de boîtes vacantes. "Mais il reste encore un mois", rassure aussitôt Mme Polski.
Pour redonner un coup de fouet à leur activité, les bouquinistes ont déposé, avec le soutien de la Ville de Paris, leur candidature pour obtenir leur inscription au patrimoine immatériel mondial de l'Unesco.
"Nous sommes un symbole majeur de Paris, unique au monde, depuis 450 ans que nous occupons le terrain", plaide Jérôme Callais.
Malgré le froid, les rares boîtes ouvertes attirent curieux et amateurs comme Jean-Michel Manassero, un retraité qui flâne devant celle de Jean-Pierre Mathias.
"On essaye de se rencontrer, d'échanger, de discuter, c'est agréable", confie ce passionné de livres, qui admet se fournir parfois sur internet. "Ici, c'est différent, on est attiré par un livre étrange, particulier. Ils ont tous une histoire, quelque fois ils sont annotés par les personnes qui les ont lus précédemment".
Lui aussi a constaté la baisse d'activité des bouquinistes. "C'est de plus en plus rare de les voir ouverts", déplore Jean-Michel Manassero.
"Ce serait bien regrettable qu'ils disparaissent, dit-il, parce qu'ils font partie de la vie parisienne, c'est une animation agréable et typique des quais". Et utile. Tout sourire, il repart aujourd'hui avec un ouvrage improbable à la couverture abîmée: "Comment on devient médium".