PARIS : A moins de trois mois de la présidentielle, les ennuis de Jean-Michel Blanquer, plongé dans la tourmente d'un "Ibizagate", reviennent parasiter la campagne de la majorité au moment où le presque candidat Emmanuel Macron ouvre le débat sur l'avenir de l'Europe.
"Une image désastreuse" qui fait "désordre": les vacances, juste avant la rentrée scolaire, du ministre de l'Education à Ibiza, révélées par Mediapart ont donné mardi à l'opposition l'occasion d'un nouveau réquisitoire contre M. Blanquer, déjà fragilisé.
Cinq jours seulement après la mobilisation massive des enseignants, l'affaire tombe mal pour la majorité à l'approche de la présidentielle, d'autant qu'elle a fait de l'éducation l'un des principaux marqueurs de son quinquennat.
Se rendre, en pleine crise sanitaire et au moment d'annoncer un nouveau protocole controversé dans les écoles, sur une île réputée pour son caractère festif, "ce n'est pas le truc le plus malin du monde, alors qu'il a l'un des plus gros bilans en cinq ans", soupire un membre du gouvernement.
"C'est, ajoute cette source, comme le homard de Rugy: on n'est pas dans le légal/pas légal, mais dans le moral/pas moral".
Selon une source au sein de l'exécutif confirmant une information de Politico, Nicolas Revel, le directeur de cabinet du Premier ministre Jean Castex, avait d'ailleurs déconseillé à M. Blanquer de se rendre aux Baléares au vu du contexte.
L'épisode pourrait-il sceller le sort de M. Blanquer, alors qu'une nouvelle grève se profile à l'horizon ? "Tout dépend de la manif de jeudi, la mobilisation qui va donner le la", a répondu mardi à l'AFP une source au sein de l'exécutif, disant en outre ne pas noter "un soutien appuyé du gouvernement" à M. Blanquer, pourtant proche de Brigitte Macron.
Selon le politologue Bruno Cautrès, difficile toutefois de changer de ministre à trois mois de la présidentielle. "Ils n'ont pas le choix, ils vont le soutenir", dit-il à l'AFP.
Macron visé
A gauche, les appels à la démission ont repris de plus belle, à commencer par LFI et le candidat écologiste Yannick Jadot qui dénonce le "mépris" et l'"irresponsabilité" du ministre.
La candidate PS Anne Hidalgo préfère, elle, s'attaquer directement à Emmanuel Macron, "qui est responsable de cette situation (...). J'espère que les Français en tireront les conséquences au moment de l'élection présidentielle", a-t-elle assuré sur LCI.
A droite, comme la semaine dernière, pas d'appel à la démission. Mais "cela renvoie une image désastreuse au moment même où les parents et enseignants se débattent avec un protocole inapplicable", a commenté la députée LR Annie Genevard.
La candidate du Rassemblement national Marine Le Pen a, elle, brocardé "la désinvolture" du ministre.
Sur CNews, la défense du porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a été pour le moins sobre : "Il y a une règle qui est fixée pour le gouvernement s'agissant des vacances: il faut être joignable en permanence, à sa tâche. Je n'ai aucune raison de penser que ce n'était pas le cas de M. Blanquer."
Blanquer, pilier du quinquennat Macron dans la tourmente
PARIS : A 80 jours de la présidentielle, la nouvelle salve de critiques contre Jean-Michel Blanquer fragilise un pilier du quinquennat, chargé qui plus est de l’éducation, sujet phare d’Emmanuel Macron, analyse le politologue Bruno Cautrès
Question : Les attaques contre Jean-Michel Blanquer affaiblissent-elles Emmanuel Macron ?
Bruno Cautrès : A certaines périodes, les personnalités politiques traversent une accumulation de petites difficultés qui finissent par faire boule de neige. Les vacances à Ibiza en rajoutent une goutte. Jean-Michel Blanquer subit cet effet de spirale, avec la gestion de la pandémie à l'école, les manifestations d'enseignants et un nouvel appel à manifester, ses prises de position contre le mouvement "woke" (terme qui désigne entre autres la prise de conscience des injustices, notamment liées à la couleur de peau ou au genre, NDLR) .... Mais il a toujours été très soutenu par le chef de l'Etat et l'exécutif, ainsi que par les marcheurs. Il porte un thème fondamental pour Emmanuel Macron. L'éducation et l'Europe sont les deux matrices de la Macronie.
Q. Et Jean-Michel Blanquer est là depuis le début...
B. C. Oui et c'est un proche de Brigitte Macron, elle-même ex-enseignante. Les positions nettes, répétées et tranchées de Jean-Michel Blanquer, qu'il s'agisse de la défense des savoirs fondamentaux à l'école ou d'y restaurer l'autorité ont toujours été soutenues par Emmanuel Macron et ne pouvaient que plaire à Emmanuel Macron. Sans oublier ses attaques contre le mouvement "woke". Mais il est aussi critiqué au nom d'un manque d'efficacité, autre valeur chère au chef de l'Etat. Pour la Macronie, l'idée est qu'on réunisse les gens de bonne volonté et on gère les problèmes. Or sur l'école et le Covid, on a le sentiment de directives contradictoires et de revirements.
Q.Pourrait-il être forcé à partir ?
R. Je n'imagine pas, à trois mois de la présidentielle, un changement de ministre de l’Education au milieu du gué, alors qu'il faut s'atteler à la crise à l'école. Un nouveau ministre devrait prendre ses marques, voudrait agir différemment de son prédécesseur pour exister et le temps que tout se mette en place nous serions déjà au 10 avril, premier tour de la présidentielle. Et dans cette période où la question de l'école et du Covid reste très sensible et constitue pour les parents, les élèves et les enseignants un objet de forte inquiétude. On ne peut pas changer de ministre au milieu de tout cela. Ils n'ont pas le choix, ils vont le soutenir.
« Jumeaux Macron-Pécresse »
Cette nouvelle polémique intervient à la veille du discours qu'Emmanuel Macron doit prononcer mercredi devant le Parlement européen de Strasbourg.
Voulu à l'Elysée comme l'un des temps forts de la présidence française semestrielle de l'UE, mais aussi de la future campagne du chef de l'Etat en vue de sa réélection, le discours donne aussi l'occasion à ses opposants de se positionner sur ce sujet clivant.
Un seul candidat sera dans l'hémicycle strasbourgeois, Yannick Jadot, député européen depuis 2019. Sur France 2, il a déjà estimé que M. Macron avait "desservi l’ambition européenne sur le climat".
D'autres rivaux d'Emmanuel Macron en profitent pour présenter dès mardi eux aussi leur vision de l'UE.
"Défendre l’idée de souveraineté européenne comme le font les jumeaux Macron-Pécresse me paraît totalement incompatible avec la fonction présidentielle", a accusé Marine Le Pen dans une conférence de presse, pour qui la présidentielle permettra de "trancher entre deux visions de l'Europe", celle des "européistes", et la sienne "d'une alliance européenne des nations".
Jean-Luc Mélenchon se rend lui à Strasbourg où se trouve déjà M. Macron. Dans un entretien accordé au Monde, le candidat LFI a assuré que "la sortie des traités n'est plus si loin", soulignant qu'il entend désobéir à certaines obligations européennes via la clause d'"opt-out"(désengagement), l'utilisation d'un mécanisme autorisé par l'UE pour se soustraire à certaines obligations européennes.