BRUXELLES : La Commission européenne a dévoilé mercredi un premier rapport sur le respect de l'Etat de droit dans l'UE particulièrement critique à l'encontre de la Hongrie et la Pologne, dans un contexte de vives tensions avec Budapest qui l'a aussitôt éreinté.
« Ce rapport nous permet d'entamer une nouvelle étape dans la protection de l'Etat de droit », a estimé le commissaire européen à la Justice Didier Reynders, soulignant qu'il était basé sur une « méthodologie commune et objective ».
Cette « cartographie » porte sur la situation au sein de chacun des 27 de l'indépendance de la justice, la lutte contre la corruption, le pluralisme et la liberté de la presse, l'équilibre des pouvoirs et le rôle de la société civile.
« J'ai toujours été de ceux qui pensaient (...) que nous devions examiner tous les États membres sur un pied d'égalité », a ajouté le Belge, qui a piloté l'initiative.
La Hongrie et la Pologne accusent régulièrement Bruxelles de pratiquer un « deux poids, deux mesures » à leur égard.
C'est un « élément de plus dans notre boîte à outils sur l'Etat de droit, un nouveau mécanisme préventif » pour « identifier tôt les problèmes », a souligné la vice-présidente de la Commission Vera Jourova.
La réponse hongroise n'a pas tardé: le rapport est « absurde » et « faux », a fustigé la ministre de la Justice Judit Varga, critiquant les « défauts » de sa méthodologie et ses « sources déséquilibrées ».
Le bilan a été présenté au lendemain d'une attaque du Premier ministre hongrois Viktor Orban contre Mme Jourova, qui avait qualifié la Hongrie de « démocratie malade ».
Le dirigeant souverainiste a écrit à la présidente de l'exécutif européen, Ursula von der Leyen, pour lui réclamer la tête de la commissaire tchèque et annoncé que son gouvernement rompait tout contact avec elle.
Le sujet promet aussi d'être l'un des dossiers chauds du sommet européen de jeudi et vendredi: Pologne et Hongrie menacent de bloquer le plan de relance européen, refusant tout lien entre le versement des fonds et le respect des valeurs de l'UE.
Les deux pays ont voté mercredi contre un compromis allemand pour introduire ce principe de « conditionnalité » dans le budget pluriannuel européen. La question doit désormais être négociée entre Etats et les eurodéputés, qui eux exigent un dispositif véritablement dissuasif.
« Vives inquiétudes »
S'il ne contient pas « d'informations nouvelles » de l'aveu même de Didier Reynders, le rapport fait état de « vives inquiétudes » sur les conséquences des réformes de la justice sur l'indépendance des magistrats, en particulier en Hongrie et en Pologne.
Des craintes qui ont notamment mené au déclenchement de la procédure dite de « l'article 7 » à l'encontre de ces pays pour risque de violation des valeurs de l'UE.
Cette procédure, lancée par la Commission contre la Pologne en décembre 2017 et par le Parlement contre la Hongrie en septembre 2018, peut en théorie déboucher sur des sanctions jusqu'à la privation du pays de son droit de vote au Conseil européen, mais s'avère difficile à mettre en œuvre. La Pologne a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour de justice de l'UE pour atteinte à l'indépendance des juges.
Cet état des lieux, qui deviendra annuel, s'inquiète également de l'indépendance du système judiciaire en Bulgarie, Roumanie, Croatie et Slovaquie.
Il met aussi en cause l'efficacité des enquêtes, poursuites et jugements concernant les affaires de corruption en Hongrie, Bulgarie, Croatie, Slovaquie, République tchèque et Malte.
La Bulgarie, théâtre de manifestations quotidiennes contre la corruption depuis deux mois et demi, fait l'objet depuis son adhésion à l'UE en 2007 d'une surveillance renforcée de Bruxelles en matière de réforme de la justice et de lutte contre la corruption, tout comme sa voisine, la Roumanie.
Le rapport pointe des menaces à l'indépendance politique des médias en Hongrie, Pologne, Bulgarie et Malte, et des attaques contre des journalistes en Bulgarie, Croatie, Hongrie, Slovénie et Espagne.
Il souligne enfin les « graves difficultés » rencontrées par les ONG en Bulgarie, Hongrie et Pologne, en raison de « lois limitant l'accès aux financements étrangers » ou de « campagnes de dénigrement ».
Mais « un rapport sans fortes recommandations et sanctions pour l'accompagner n'arrêtera pas les régimes autoritaires et populistes de saper la démocratie dans leurs pays », a averti Linda Ravo, de l'ONG Liberties.
En réponse à Bruxelles, la Hongrie et la Pologne ont annoncé dès lundi la création d'un Institut pour lutter contre « la répression idéologique libérale » de l'UE.