LOS ANGELES : Militante extrémiste et conspirationniste pour les uns, martyre patriote pour les autres: Ashli Babbitt, abattue par un policier lors de l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021, symbolise à elle seule la profonde ligne de fracture politique qui divise les Etats-Unis.
"La moitié du pays l'aime et l'autre moitié la déteste", a résumé sa propre mère.
Pour de nombreux experts, le parcours de cette ancienne combattante, morte avec autour du cou un drapeau à l'effigie de Donald Trump mais qui avait par le passé voté pour Barack Obama, illustre en outre la radicalisation de nombreux partisans du milliardaire conservateur ces dernières années.
Le 6 janvier 2021, des milliers de fans de M. Trump, encore président en exercice, s'étaient rassemblés aux abords de la Maison Blanche pour écouter leur idole.
Puis plusieurs centaines d'entre eux, hurlant comme ce dernier à la fraude lors de la présidentielle de novembre, avaient forcé l'entrée du Capitole pendant que les parlementaires certifiaient la victoire du démocrate Joe Biden.
Ashli Babbitt se trouvait au premier rang de la foule en colère qui se pressait ce jour-là aux portes de l'hémicycle où des élus s'étaient barricadés, protégés par une poignée de policiers.
Sur des images filmées par un des intrus avec son téléphone, on peut voir cette femme de 35 ans tenter de passer par une vitre brisée dans la porte. "Allez! Allez!", encourage-t-elle ceux qui la hissent avant de passer la tête dans l'ouverture. C'est à ce moment précis qu'un policier chargé de la sécurité du Capitole ouvrira le feu, la touchant mortellement à l'épaule.
Les médias américains n'ont eu de cesse depuis lors de chercher à comprendre comment Ashli Babbit, engagée dans l'armée de l'air à l'âge de 17 ans pour défendre son pays, a pu en arriver à prendre d'assaut ce haut lieu de la démocratie américaine.
Casquette rouge et QAnon
Mme Babbitt est née en 1985 dans une famille modeste du sud de la Californie, dans la banlieue de San Diego, où l'on ne se mêlait pas spécialement de politique selon l'un de ses quatre frères cadets, Roger Witthoeft.
Elle était retournée s'établir près de sa ville natale, non loin de la frontière mexicaine, après avoir définitivement quitté les rangs de l'armée en 2016. Elle avait repris avec son époux une petite société spécialisée dans l'entretien des piscines, qui connaissait des difficultés financières.
Ashli Babbitt avait voté pour Barack Obama mais ses vues politiques avaient pris récemment une tout autre tournure, comme en témoignait la pancarte fixée sur la porte de son entreprise.
En pleine épidémie de Covid-19, on pouvait y lire: "zone autonome sans masque, mieux connue sous le nom d'Amérique", un rejet du masque caractéristique des partisans de Donald Trump, traditionnellement rétifs à toute ingérence des autorités dans leur vie privée.
En 2018, dans des vidéos qu'elle diffusait sur les réseaux sociaux, Ashli Babbitt enrageait littéralement contre les sans-abris et les migrants sans-papiers, fustigeant les élus démocrates qui "refusent d'admettre qu'on a besoin d'un mur" à la frontière mexicaine.
Pour son frère Roger, Ashli était juste "une Californienne normale". "Ce qui l'énervait, ce sont les choses qui nous énervent tous", a-t-il dit à la presse.
Groupie de Trump, la jeune femme ne se contentait plus durant les derniers mois de sa vie d'arborer l'emblématique casquette rouge "Make America Great Again" et d'assister à des meetings. Sur Twitter, où elle se présentait comme "libertarienne", elle relayait aussi frénétiquement des théories conspirationnistes diffusées par le mouvement QAnon, dénonçant par exemple des élites démocrates prétendument pédophiles et satanistes.
La veille de l'invasion du Capitole, Ashli Babbitt avait écrit: "Rien ne nous arrêtera (...) la tempête est là et elle descend sur (Washington) DC dans moins de 24 heures... Des ténèbres vers la lumière!" Cette image est couramment utilisée par les adeptes de QANon pour désigner la lutte du bien contre le mal.
Il n'en fallait pas plus pour qu'Ashli Babbitt soit qualifiée par certains ultra-conservateurs de "combattante de la liberté" tombée au champ d'honneur, une tentative d'en faire une sorte de Jeanne d'Arc du 6 janvier.