HONG KONG : Trois années de manifestations pro-démocratie suivies par la pandémie de coronavirus ont porté un coup dur aux commerçants de Hong Kong qui dépendaient toujours plus de l'argent des touristes de Chine continentale, mais la baisse du coût des baux commerciaux a créé de nouvelles opportunités.
Sheung Shui, premier quartier après le poste frontière venant de Chine continentale, profitait autrefois des recettes générées par les touristes du continent venant s'approvisionner en produits hors taxes pour les revendre chez eux. C'est le concept dit du commerce parallèle.
"Les gens associent Sheung Shui au commerce parallèle et à la Chine continentale", explique Eugene Chan, 22 ans, qui habite ce quartier depuis son enfance.
Le jeune homme se souvient des trottoirs envahis d'acheteurs remplissant leurs valises de cosmétiques, de lait pour bébés ou de produits ménagers pour répondre à l'énorme demande de l'autre côté de la frontière.
En janvier 2019, soit juste avant le début des manifestations, un record de 5,5 millions de personnes étaient arrivées du continent à Hong Kong, qui compte 7,5 millions d'habitants.
« Rues dorées »
Dans le sillage des grands rassemblements pro-démocratie et de la fermeture des frontières liée au Covid-19, ce chiffre est tombé sous les 3.000.
"C'est une énorme baisse de la demande", souligne à l'AFP Simon Smith, un responsable de la société de conseil en immobilier Savills.
"Cet énorme volume de dépenses venu du continent, particulièrement axé sur le luxe, les montres, les bijoux, les marques avait vraiment propulsé les loyers vers des niveaux records", détaille-t-il.
Les quartiers commerçants populaires de Hong Kong s'enorgueillissaient auparavant de leurs "rues dorées" où les loyers des magasins étaient plus élevés que ceux de la Ve Avenue de New York.
Aujourd'hui, selon M. Smith, ces loyers ont subi une "correction substantielle". Ils ont retrouvé les niveaux de 2003, soit une baisse de plus de 75% par rapport aux sommets atteints en 2013.
Les analystes ont noté une réorientation vers une consommation plus locale, certains magasins des zones commerçantes les plus en vues étant notamment repris par des enseignes meilleur marché.
Dans le quartier d'affaires Central, où les baux commerciaux étaient parmi les plus élevés au monde, la marque de luxe MCM a été remplacée en 2020 par la chaîne d'articles de sport Decathlon. Pour un loyer mensuel de 800.000 dollars hongkongais (environ 90.540 euros), soit une réduction de 70%, selon les calculs des médias locaux.
« Petite communauté »
A Sheung Shui, des entrepreneurs comme Dream Law ont saisi l'occasion pour créer des entreprises s'adressant davantage aux habitants --en l'occurrence une épicerie.
"A l'apogée (du tourisme continental), 80 à 90% des boutiques à Sheung Shui faisaient du commerce parallèle", précise M. Law à l'AFP, expliquant que les commerces de proximité (quincailleries, librairies, cinémas, etc) avaient été évincés par les hausses de loyer.
"Nous avions l'impression que ce quartier ne nous appartenait pas", ajoute-t-il.
La situation économique dans les villes frontalières comme Sheung Shui a entraîné des manifestations à partir de 2012 et a largement contribué aux tensions croissantes entre la Chine et Hong Kong au cours de la dernière décennie.
Lorsque la pandémie a frappé, M. Law a profité des loyers très bas pour lancer BeWater Mart, qui se concentre sur les produits "fabriqués à Hong Kong".
Son magasin, tout comme un café et un studio de poterie à proximité, font partie des nouvelles entreprises tentant de satisfaire la demande locale.
Mais pour Eugene Chan, la fermeture de la frontière n'est qu'une "pause" et il s'inquiète de la reprise du commerce transfrontalier.
Hong Kong, qui a suivi l'exemple de la Chine en adoptant une politique stricte de "zéro Covid", envisage actuellement une réouverture limitée de cette frontière avec le continent.
Des sondages ont montré que de nombreux Hongkongais étaient impatients de pouvoir de nouveau la franchir pour les affaires, le tourisme et les réunions de famille.
Selon M. Smith, la proposition du gouvernement de Hong Kong d'instaurer un quota quotidien, qui serait d'environ 1.000 personnes, n'aura pas d'"impact significatif" pour relancer les dépenses touristiques au point de les ramener aux niveaux pré-pandémie.
En attendant, M. Chan s'efforce de profiter du présent: "L'atmosphère n'est pas aussi étouffante ou trépidante, au contraire, on se sent comme une petite communauté".