LAUSANNE : Geste inédit à l'impact incertain, le boycott diplomatique des Jeux d'hiver de Pékin marque un jalon dans les noces du sport et de la politique: même quand les conflits flambent en coulisses, ils épargnent la compétition.
Sans surprise, après une année 2021 animée par des tensions géopolitiques durant l'Euro de football, les prochains JO (4-20 février 2022) n'échapperont pas aux crispations croissantes entre la Chine et une partie des puissances occidentales.
Si le sort de la joueuse de tennis Peng Shuai alarme le monde sportif depuis novembre, c'est pour condamner les violations des droits humains dans la province du Xinjiang que les Etats-Unis, suivis de l'Australie, du Royaume-Uni et du Canada, ont décidé cette semaine de n'envoyer aucun représentant officiel à Pékin.
Savamment calibrée après des mois d'hésitations, cette protestation "vise avant tout l'opinion interne, en particulier aux Etats-Unis où elle avait des partisans dans les deux camps", souligne auprès de l'AFP Jean-Loup Chappelet, spécialiste de l'olympisme à l'Université de Lausanne.
Sur le plan international, "la réponse paraît assez légère face à une accusation de génocide, si elle ne s'inscrit pas dans une liste d'autres propositions à venir", observe de son côté Carole Gomez, directrice de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Le choix d'Obama
Que ce boycott atténué déclenche ou non des représailles chinoises, il marque une nouvelle étape dans l'usage politique des tribunes olympiques, devenues depuis trente ans un lieu de diplomatie parallèle.
"C'est une tradition inventée lors des JO-1992 de Barcelone, parce que les Espagnols avaient proposé d'inviter des chefs d'Etat, réunis en sommet à Madrid juste avant la cérémonie d'ouverture", raconte Jean-Loup Chappelet.
Malgré les polémiques qui avaient précédé les JO-2008 de Pékin, cette édition avait attiré "une quarantaine" de dirigeants, dont George W. Bush, pour la dernière apparition en date d'un président américain aux Jeux.
Le tournant contestataire arrive dans les années 2010, "sur fond de crise des grands événements sportifs", selon Carole Gomez, les scandales de corruption au CIO ou à la Fifa écornant une image jusque-là favorable.
Aux JO d'hiver de Sotchi en 2014, Barack Obama ne se déplace pas mais confie la tête de la délégation américaine à deux sportifs homosexuels et militants, la hockeyeuse Caitlin Cahow et le patineur Brian Boitano, pour protester contre les lois homophobes russes.
Quatre ans plus tard à Pyeongchang, le vice-président américain Mike Pence dénonce "l'offensive de charme" nord-coréenne juste avant de se rendre à la cérémonie d'ouverture, jetant un froid sur ces "Jeux de la réconciliation" entre les deux Corées.
Quid des sponsors ?
L'intégration du sport dans la panoplie diplomatique n'a pourtant pas déclenché de nouveaux "boycotts intégraux" similaires à ceux des JO-1980 de Moscou (par les Etats-Unis et leurs alliés) et des JO-1984 de Los Angeles (par le camp soviétique).
"Les athlètes de la Team USA ont notre soutien total", a assuré la Maison Blanche, au grand soulagement du comité olympique américain et du CIO, qui militaient depuis des mois contre tout boycott sportif.
Libres de concourir, les skieurs, hockeyeurs ou patineurs se retrouveront aussi les seuls ambassadeurs des pays protestataires, et ont peu de chances d'échapper aux questions politiques.
"Ils peuvent utiliser" les nouveaux espaces d'expression ouverts début juillet par le CIO, en zone mixte ou en conférence de presse, "avec le risque que ça leur retombe dessus", estime Carole Gomez.
Absents jusque-là des débats, les principaux sponsors du CIO "risquent également d'être interpellés par des associations de consommateurs ou des ONG comme Amnesty International", ajoute Jean-Loup Chappelet.
"De même que Toyota avait renoncé à communiquer au Japon sur les JO de Tokyo, peu populaires en raison de la pandémie", rappelle-t-il, "il faudra surveiller quelle publicité Coca-Cola choisit de faire des Jeux de Pékin".
Le quotidien allemand Frankfurter Allegemeine Zeitung affirmait d'ailleurs jeudi que l'assureur Allianz, qui a intégré en 2018 le sponsoring international des Jeux, envisage de réduire "considérablement" sa communication autour des JO-2022.
"Être visible, précisément en ce moment, n'a guère de sens", indique au journal un responsable sous le sceau de l'anonymat, alors que le groupe se refuse à tout commentaire.