PARIS: Attaques de groupes armés contre les populations, flambée des prix alimentaires, restrictions liées au Covid-19 : ces facteurs cumulés ont encore dégradé la sécurité alimentaire au Sahel et en Afrique de l'Ouest, déplore le Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA) pour la région.
Actuellement 23,7 millions de personnes sont en situation de crise alimentaire ou "pire", soit 7,4% de la population des quinze pays étudiés, estiment les experts du Réseau, réuni en visioconférence jusqu'à mercredi pour sa 37e conférence annuelle.
Ce nombre pourrait bondir cet été, au moment de la période de soudure entre les récoltes. Quelque 33,4 millions de personnes risquent d'avoir un besoin d'assistance alimentaire immédiate si des actions ne sont pas entreprises rapidement, selon eux. Cela représente 10,5% de la population de ces pays.
"En décembre 2020, nous avions déjà attiré l'attention des décideurs politiques sur une crise alimentaire et nutritionnelle multifactorielle sans précédent", rappelle Ibrahim Mayaki, président honoraire du Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO). "Nous sommes en 2021 et la situation continue à se dégrader...".
"Les tensions sécuritaires augmentent, les groupes terroristes s'attaquent de plus en plus aux populations civiles, brûlent les récoltes et pillent le bétail, poussant des milliers de personnes sur les routes de l'exode et mettant ainsi à rude épreuve les capacités de réponse alimentaire et humanitaire des États et de leurs partenaires", poursuit l'ancien Premier ministre du Niger.
L'insécurité a deux "épicentres", indique à l'AFP Laurent Bossard, directeur du Secrétariat du CSAO, basé au siège de l'OCDE à Paris. Le premier se situe dans la zone dite "des trois frontières" aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger, théâtre depuis plusieurs années d'actions sanglantes menées notamment par des groupes armés liés à Al-Qaïda et à l'État islamique (EI).
Transhumance perturbée
Le second se trouve dans la zone autour du lac Tchad, repaire du groupe djihadiste Boko Haram et de sa branche dissidente, le groupe État islamique en Afrique de l'Ouest (Iswap). Là aussi il s'agit d'une zone frontière entre le Nigeria, le Tchad, le Niger et le Cameroun.
Ces violences ont entraîné la mort de civils mais aussi la perturbation des moyens de subsistance et du commerce, note le RPCA. L'insécurité a également provoqué des mouvements de population avec près de 5 millions de personnes déplacées à l'intérieur de la région.
Pour ne rien arranger, plusieurs pays de la région, dont le Niger, le Mali, le Burkina Faso et le Nigeria, ont été affectés par d'importants déficits pluviométriques en fin de saison.
Cet été, le Nigeria pourrait compter à lui seul 18 millions de personnes en situation de crise alimentaire "ou pire". Le Niger pourrait en avoir 3,6 millions, le Burkina Faso 2,6 millions, le Mali 1,8 million, le Tchad 1,7 million, projettent les analystes du réseau.
Autre facteur aggravant de la crise alimentaire : la hausse des prix mondiaux des denrées, encore accentuée par la dépréciation des monnaies locales face au dollar, comme au Liberia et en Sierra Leone. Certaines populations vulnérables n'ont plus les moyens d'acheter assez en qualité ou en quantité.
Quant à la pandémie qui perdure, elle a eu "plusieurs effets négatifs additionnels", relève Laurent Bossard. Les restrictions sanitaires diverses (fermetures de marchés, de commerces, limitations de circulation) en 2020 ont accentué la pauvreté. La transhumance des troupeaux a été bloquée en raison des fermetures de frontières. Et les États, qui ont consenti des efforts pour aider leur population, ont accru leur endettement.
Créé il y a 37 ans, le RPCA rassemble les représentants des pays ouest-africains et sahéliens, des organisations régionales, des bailleurs de fonds dont les grandes agences de développement, les représentants de l'Union européenne, de la Banque mondiale, ainsi que les agences spécialisées de l'ONU et des ONG.