MOSSOUL : Le confinement a sûrement protégé de nombreux habitants de Mossoul, mais il a aussi causé de gros dégâts : il a aggravé les troubles des jeunes souffrant de troubles mentaux qui peinent déjà à recoller les morceaux de leur courte vie dans le Nord de l'Irak repris aux jihadistes.
Durant quatre mois, les centres de santé mentale de la troisième ville d'Irak sont restés fermés, pour tenter d'endiguer une épidémie qui a déjà touché 330.000 Irakiens et tué 8.000 autres.
Des milliers d'enfants et de jeunes adultes ont perdu leur espace de socialisation, leurs cours d'orthophonie et leur rééducation physique –- essentiels pour lutter contre des troubles comme l'autisme, une maladie qui n'a toujours ni traitement ni explications véritables.
"C'est un désastre : certains cas se sont aggravés, d'autres ont fait des rechutes", raconte à l'AFP Ilham Khattab, spécialiste de l'autisme à Mossoul, carrefour commercial historique du Moyen-Orient qui fut de 2014 à 2017 la "capitale" du groupe État islamique (EI) en Irak.
Dans un pays où depuis des décennies les infrastructures de santé sont délabrées, la guerre contre les jihadistes n'a fait qu'aggraver la situation : aujourd'hui, un seul hôpital est opérationnel pour plus de deux millions d'habitants.
Le centre Fakhri Dabbagh, établissement public de santé mentale, tente lui de rester debout pour les 170 enfants qu'il traite pour symptômes autistiques et pathologies mentales, le seul à le faire gratuitement.
Sans des stimulations de leurs capacités motrices et mentales, "leur développement personnel et psychologique se détériorera", prévient le docteur Mohammed al-Qaïssi, qui dirige le centre.
Ni équipement ni formation
Nisrine Hamdi, 63 ans, qui assure l'accompagnement psychologique des enfants, évoque à l'AFP le manque de matériel, l'absence de formation et la débrouille au quotidien.
"On ne peut plus accueillir de nouveaux patients. On n'a même pas de véhicules pour amener les enfants qui ont du mal à se déplacer", affirme-t-elle.
Pour ceux qui ont un peu plus de moyens, des cliniques privées s'attaquent aussi à la question de la santé mentale, taboue et pourtant majeure dans un pays ravagé depuis 40 ans par les guerres.
L'institut privé du docteur Ahmed Soufi propose, pour cent dollars, des sessions d'un mois.
Pour ce praticien de 35 ans, "avant l'EI, on avait environ 4.000 malades dans la province. Ce nombre a atteint 6.000 sous l'EI et maintenant, il avoisine 10.000".
Et, dans le cas de l'autisme, le confinement -- décrété par le gouvernement pour tenter d'endiguer la pandémie mondiale ou par des familles apeurées à l'idée de croiser des jihadistes dehors -- aggrave sévèrement les symptômes.
Faute d'activité en extérieur, le téléphone, la télévision ou l'ordinateur sont des pis-allers souvent appréciés de parents enfermés dans de petites maisons parfois pas entièrement reconstruites.
Or, trop de temps devant des écrans renforce la possibilité de développer des symptômes de l'autisme chez l'enfant, selon de nombreuses études.
Oum Laith en a fait la douloureuse expérience avec ses quatre enfants aujourd'hui tous inscrits au centre Fakhri Dabbagh. "L'isolement devant la télévision et les téléphones a aggravé leur cas", dit-elle à l'AFP.
Tabou
Si Oum Laith s'est tournée vers les soignants, rares sont les parents qui acceptent de vivre avec le stigmate social de la maladie mentale.
"C'est notre principal problème : une fois un enfant diagnostiqué, de nombreux parents refusent de l'accepter", affirme à l'AFP Rahmat al-Zouheir, psychologue à Mossoul. "Et cela joue sur le temps que nous mettons à pouvoir entamer des traitements".
Save the Children a malgré tout accueilli 15.000 enfants à Mossoul entre 2019 et 2020. Et "les besoins ont explosé avec la Covid-19", affirme sa porte-parole Amal Taïf.
Mais même après le confinement, les familles doivent s'en remettre à "des travailleurs sociaux ou des psychologues qui n'ont pas d'expertise sur l'enfance ou des pédiatres sans connaissance en santé mentale", poursuit Mme Taïf.
Résultat, des enfants sont déclarés autistes sans l'être alors que d'autres ne sont jamais diagnostiqués.
Quant à ceux qui obtiennent le bon diagnostic, leur ville ne réunit aucun des éléments nécessaires à une bonne prise en charge: sécurité, éducation et alimentation stable.
Des objectifs impossibles à atteindre dans un pays où eau et électricité sont des denrées rares et imprévisibles.