DUBAΪ : Lors du printemps 1893, le diplomate et archéologue allemand Max von Oppenheim se lance dans une expédition qui le mène de Damas jusqu’à Bassorah. Ce voyage le fait traverser le désert syrien et le conduit vers le Sud, de la Mésopotamie jusqu'au golfe Persique. Au total, il a parcouru plus de 1 200 kilomètres.
Pendant son périple, Oppenheim garde une trace méticuleuse de tout ce qu'il voit. Il prend des photographies, cartographie le paysage, recueille du matériel sur les Bédouins et rédige des portraits biographiques des personnes qu'il rencontre. Il dira plus tard: «Au cours de cette expédition, j'ai appris à aimer la vie sauvage et sans contrainte des fils du désert.»
Le récit que fait Oppenheim de son voyage conduira à la publication de Vom Mittelmeer zum Persischen Golf («De la Méditerranée au golfe Persique»), deux volumes qui retracent ses voyages à travers le Hauran (région située dans le sud de la Syrie et au nord de la Jordanie), le désert syrien et l'Irak d'aujourd'hui. La valeur historique de ce document est remarquable. La première édition de l’ouvrage a été publiée entre 1899 et 1900 par Dietrich Reimer (Ernst Vohsen). Elle reste, quelque cent vingt années plus tard, une source essentielle pour comprendre la région.

«Le contenu remarquablement complet et détaillé du livre et sa rareté en font un ouvrage fascinant et recherché», explique Duncan McCoshan, catalogueur chez Peter Harrington, le célèbre marchand de livres rares de Londres. «Ce sont des volumes remarquablement réalisés qui, pour une publication commerciale, sont particulièrement soignés.»
En plus de deux grandes cartes dépliantes «vraiment impressionnantes» réalisées par le cartographe allemand Richard Kiepert, l'ouvrage contient une série de photographies époustouflantes. Environ un tiers d’entre elles sont l’œuvre du célèbre photographe allemand Hermann Burchardt, bien qu'il ne soit pas crédité. Au cours de sa carrière, Oppenheim a souvent pris des clichés lui-même, mais il a également voyagé avec une équipe de professionnels, parmi lesquels le pionnier du cinéma britannique, Robert Paul, ainsi que le photographe allemand Waldemar Titzenthaler.
Des exemplaires de ces deux volumes ont été apportés à la Foire internationale du livre de Charjah par Peter Harrington au début du mois. Ils ont été imprimés à une époque où les éditeurs expérimentaient diverses techniques de reliure, d'illustration et de décoration, explique McCoshan. «Les résultats de ces innovations sont parfois spectaculaires, notamment lorsque le livre a survécu dans un état impeccable. Cependant, un bon nombre de ces améliorations ont eu pour conséquence une usure du livre au niveau du lettrage et des procédés décoratifs; les multiples planches reliées ont tendance à affaiblir la reliure et à se desserrer.»

«C’est plus particulièrement le cas avec les ouvrages de référence comme celui-là. Ils ont fait l'objet d'une utilisation assez importante sur une période prolongée. En outre, les superbes cartes très détaillées sont mises dans des pochettes, elles ont pour vocation d’être retirées, mises à plat et étudiées de près. Elles peuvent être empruntées, et jamais rendues – c'est loin d'être inhabituel. Les trouver propres, serrées et complètes est quelque chose d’exceptionnel.»
Malgré la valeur de son travail, Oppenheim était une figure controversée. Il a d'abord suivi une formation d'avocat, a occupé divers postes consulaires et diplomatiques, puis il est devenu archéologue. On peut dire que sa plus grande réalisation archéologique réside dans la découverte et l'excavation du site néolithique de Tell Halaf, dans le nord-est de la Syrie.
Derrière ce personnage public se cache toutefois «une figure plutôt sombre» qui s'est déplacée dans la région comme «un aventurier qui servait l'ambition impériale allemande».

Comme l'explique McCoshan, Oppenheim a utilisé «l'archéologie et l'anthropologie comme une couverture pour tenter de saper le prestige britannique, tout comme Lawrence d'Arabie l’a fait». Il était donc connu des services secrets britanniques comme «l'espion du Kaiser».
«Il était considéré par les puissances alliées de la Première Guerre mondiale comme l’instigateur et l’organisateur principal du djihad, dont l'intention était de déstabiliser la région et d'attirer des troupes britanniques et françaises», explique McCoshan, qui a appris l’existence d’Oppenheim à travers les œuvres de l'auteur et historien britannique Peter Hopkirk. «Nous le savons parce que, dans la région, les services de renseignement britanniques ont toujours été très méfiants à l'égard de ses activités.»

En 1899, Oppenheim entreprend un autre voyage, cette fois du Caire à Damas, via Alep, et au nord de la Mésopotamie. Apparemment, il s’agissait d’une expédition destinée à déterminer les itinéraires possibles du chemin de fer Berlin-Bagdad, dont la Deutsche Bank était un important promoteur. Sa mission secrète consiste alors dans la diffusion de la propagande antibritannique et dans la sape du prestige britannique. C'est au cours de ce voyage qu'il a découvert Tell Halaf.
«Le livre d'Oppenheim souligne l'importance géopolitique de la région et il nous permet de mieux comprendre ce qu’elle fut au tournant du XXe siècle», explique McCoshan. Il a réalisé son ouvrage «grâce à des recherches minutieuses, des enquêtes et la sympathie manifeste qu’il éprouvait pour les peuples de la région, en particulier les Bédouins».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com