PARIS : Les haut-fourneaux, cimenteries et usines chimiques françaises lanceront au cours des 18 prochains mois leurs premiers efforts pour réduire leur consommation d'énergies fossiles, pétrole ou gaz, tout en poursuivant leurs investissements industriels, afin d'abaisser l'empreinte carbone globale du pays, explique la ministre déléguée à l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, dans un entretien post-COP26 avec l'AFP.
QUESTION: L'usine française Ascoval qui produit de l'acier décarboné grâce à l'électricité, a failli délocaliser sa production en Allemagne où il peut être produit moins cher grâce au charbon. La France est-elle prise au piège de la décarbonation?
REPONSE: "On s'est retrouvé ponctuellement confronté à une situation où une production d'acier à base de charbon était plus compétitive qu'une production d'acier à base d'électricité décarbonée. Et ça c'est inacceptable.
On voit que si on n'a pas une parfaite cohérence entre tous les instruments, le prix de l'électricité, des énergies concurrentes et de la tonne carbone, on peut avoir des hiatus.
Nos amis allemands reconnaissent que la décision de court terme qui aurait conduit à rebasculer une partie de la production d'Ascoval sur un site allemand au charbon est complètement contre-intuitive par rapport aux grandes ambitions de décarbonation de l'économie et à la lutte contre le réchauffement climatique. Car c'est de cela dont il est question, sauver la planète et l'espèce humaine.
C'est notre responsabilité politique de faire en sorte de trouver les mécanismes d'accompagnement des entreprises pour qu'elles ne quittent pas l'orientation de décarboner leur processus industriel. Et Saarstahl (propriétaire allemand d'Ascoval, NDR) est complètement en ligne avec nous."
QUESTION: Que fait l'Etat pour encourager la baisse de l'utilisation des énergies fossiles dans l'industrie lourde?
REPONSE: "Nous avons mis en place une feuille de route qui dit précisément comment faire pour que chacun des trois secteurs les plus émetteurs - métallurgie, ciment, chimie- puisse être au rendez-vous de la réduction de 35% des émissions de l'industrie en 2030, et pour la neutralité carbone en 2050 (...)
La France est leader des pays européens en terme de précision sur sa feuille de route carbone industrielle et son avancement sur le projet. Ni l'Italie ni l'Espagne, ni l'Allemagne, ni la Pologne n'ont fait ce travail-là.
Dans les trois secteurs les plus émetteurs, on va diminuer les émissions de trois manières:
- Par l'efficacité énergétique, on fait en sorte de mieux utiliser l'électricité dans les usines;
- En arrêtant d'utiliser du gaz naturel pour faire de la chaleur, et c'est là où on va avoir besoin d'hydrogène décarboné;
- Par des technologies qui ne sont pas encore matures, de rupture, notamment la capture de carbone pour utilisation ou stockage.
Décarbonation de l'industrie: 141 sites aidés
PARIS : Depuis le lancement du plan de relance en 2020, 141 sites industriels français ont reçu des aides publiques pour faciliter la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, dont 42 annoncés vendredi par la ministre déléguée à l'Industrie Agnès Pannier-Runacher.
La décarbonation de l'industrie s'opère essentiellement en substituant une source d'énergie n'entrainant pas d'émission de gaz à effets de serre aux hydrocarbures, ou en produisant de la chaleur à partir de biomasse au lieu de gaz.
Au total, depuis l'an dernier, 758 millions d'euros du plan de relance ont été consacrés à ce jour à la décarbonation de 141 sites industriels, pour aider à diminuer leur impact climatique tout en contribuant à leur compétitivité.
La concrétisation de ces 141 projets permettra "une réduction globale d'environ 2,8 millions de tonnes équivalent CO2 par an des émissions de l'industrie française", selon le ministère de l'Industrie.
En 2020, l'industrie française a émis l'équivalent de 79 millions de tonnes de CO2, soit un peu moins de 20% de la totalité des émissions françaises.
La feuille de route de décarbonation mise en place par les industriels en lien avec l'Etat doit permettre de réduire de 35% leurs émissions d'ici 2030, et de parvenir à la neutralité carbone en 2050.
Parmi les 42 nouveaux bénéficiaires, figurent des groupes sidérurgiques comme ArcelorMittal à Fos-sur-Mer, Tata Steel à Maubeuge, des usines chimiques comme Kem One à Martigues ou Sanofi Chimie à Aramon, énergétiques (Esso raffinage à Port-Jérome sur Seine, ou Total raffinage à Gonfreville), pharmaceutiques (Sanofi à Saint-Aubin les Elbeuf), des cimentiers (Calcia à Airvault ou Vicat à Montalieu), des scieries (Chauvin Frères à Mignovillard ou scieries du Limousin à Moissannes), du papier (Saica Papier à Nogent-Sur-Seine) ou de l'agroalimentaire (Nestlé à Boué, Roquette à Merville, Tereos à Bucy-le-Long et à Attin ou Labeyrie à Saint-Geours-de-Marenne et à Came).
Sur les 42 nouveaux bénéficiaires, 28 ont été sélectionnés dans l'appel à projet "efficacité énergétique et décarbonation des procédés" et 14 dans un dispositif intitulé "biomasse", les deux pilotés par l'ADEME, l'agence de la transition écologique.
Dans le plan de relance, 1,2 milliard d'euros sont consacrés à la décarbonation des sites industriels. Nous avons déjà retenu 99 sites et j'ai annoncé vendredi 42 nouveaux lauréats, ce qui fait qu'au total 141 projets de décarbonation sur des sites industriels précis sont accompagnés par l'Etat, avec un objectif à mi-2022 de 3,6 millions de tonnes équivalent carbone (de moins). C'est ce que nous devons faire en 18 mois dans notre stratégie de réduction carbone dans l'économie. C'est la première marche, pour 5% des émissions de GES de l'industrie."
QUESTION: Que représentent donc les émissions de gaz à effet de serre de l'industrie en France? Quels sont les sites les plus émetteurs ?
REPONSE: "L'ensemble de l'industrie émet l'équivalent de 79 millions de tonnes de CO2 par an, soit un peu moins de 20% de la totalité des émissions françaises. Hors énergie, les trois secteurs qui représentent un peu plus de 70% des émissions sont l'acier, le ciment, et la chimie lourde.
Sur une carte de France, vous allez trouver une concentration des sites émetteurs à Dunkerque (Nord), au Havre (Seine Maritime) et à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône)(...) avec aussi des émissions sur les plateformes de chimie lourde de Feyzin (Rhône) et des Roches-Roussillon (Isère)."
QUESTION: Pourquoi ne pas réduire la production de ces industries comme le suggèrent certains écologistes?
REPONSE: "A partir du moment où on a besoin d'acier, de ciment et de chimie pour produire des voitures, des logements ou des médicaments, comment fait-on pour se fournir? On importe? Or les importations proviennent de pays qui sont beaucoup plus émetteurs de gaz à effet de serre que nous, sur les mêmes procédés.
Entre 1995 et 2015, la France a réduit l'empreinte carbone de son industrie de 40% (...) mais comme nous importons beaucoup plus parce que nous avons délocalisé, notre empreinte carbone globale a augmenté de 17%! Et dans le même temps, comme nous avons délocalisé, nous avons aussi perdu un million d'emplois industriels nets".