LONDRES: "Expérimentation dangereuse" ou outil pour réduire les inégalités en matière de santé, la perspective de prescrire médicalement en Angleterre la cigarette électronique pour les fumeurs qui veulent arrêter le tabac est loin de faire l'unanimité.
Fin octobre, le gouvernement britannique a modifié le processus d'approbation par le régulateur britannique des produits de santé, la MHRA, ce qui pourrait faire de l'Angleterre le premier pays à prescrire ces appareil au crépitement caractéristique comme un dispositif médical.
Les fabricants pouvaient déjà "en théorie" demander une telle classification, souligne Linda Bauld, professeure de santé publique à l'université d'Edimbourg, "mais ça ne s'est pas produit".
En cause, la complexité et le coût de la procédure, qui ont conduit le ministère de la Santé à apporter des modifications pour "activement encourager" les industriels, explique à l'AFP l'universitaire.
Tout en admettant que les cigarettes électroniques "contiennent de la nicotine et ne sont pas sans risque", le ministère de la Santé, se fondant sur des études britanniques et américaines, souligne qu'elles sont moins nocives que le tabac.
Celui-ci représente la principale cause de décès prématurés évitables, avec près de 64 000 morts en Angleterre en 2019. Et si le nombre de fumeurs est au plus bas au Royaume-Uni, l'Angleterre en compte encore 6,1 millions.
Prix dissuasif
Selon Linda Bauld, 30% des fumeurs n'ont pas essayé de passer à la cigarette électronique, "et quand vous leur demandez pourquoi, leur principale préoccupation est autour de la sécurité".
Ainsi, un dispositif médicalement approuvé serait de nature à rassurer. Voire même un peu trop ? "C'est un argument possible, ça pourrait être une préoccupation", admet-elle.
Un autre facteur dissuasif, le prix de la vapoteuse, en général 50 à 60 livres sterling (58 à 70 euros). Prescrit par le service public de santé, le NHS, le dispositif deviendrait nettement plus accessible. Et le nombre de fumeurs étant plus important dans les catégories les plus défavorisées de la population, la cigarette électronique médicalement prescrite pourrait ainsi contribuer à réduire les inégalités sanitaires, souligne-t-elle.
Le Pr Peter Hajek, de la Queen Mary University de Londres, voit globalement dans l'annonce gouvernementale une "bonne nouvelle" et souligne qu'une "bonne proportion de fumeurs qui commencent à utiliser des cigarettes électronique arrêtent complètement de fumer".
Il n'y a "pas de doute", soutient-il, que passer du tabac à la vapoteuse permet d'éviter "presque tous les risques".
La situation est loin d'être si claire, estime quant à lui son confrère Jonathan Grigg, professeur de médecine pédiatrique respiratoire et environnementale dans la même université.
"Les effets à long terme sont inconnus", souligne le professeur Grigg, président de l'European respiratory society, opposée à la recommandation de la cigarette électronique pour arrêter de fumer.
«Méthodes trompeuses»
Les autorités sanitaires britanniques voient d'un bon oeil la cigarette électronique, poursuit-il, soulignant le caractère isolé de la politique de Londres.
L'exemple le plus approchant est celui de l'Australie, où les ventes d'appareil et recharges sont interdites à moins de disposer d'une ordonnance.
La vapoteuse prescrite ne devrait intervenir qu'en "dernier ressort", souligne-t-il, jugeant "incroyable que le NHS", le service public de santé, "paie quoi que ce soit à l'industrie du tabac" derrière ces appareils, compte tenu de leurs "méthodes trompeuses" dans le passé. Pour lui, "c'est une expérimentation dangereuse".
Très critique envers la politique sanitaire du gouvernement, Martin McKee, professeur de Santé publique européenne à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, serait "surpris" que l'assouplissement des critères d'approbation change la donne.
Et toute prescription d'une cigarette électronique devrait selon lui s'inscrire dans le cadre d'un suivi comportemental sur plusieurs semaines, "c'est la seule manière dont il a été montré que ça fonctionnait lors d'essais".
Fin juillet, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en garde contre la cigarette électronique et appelé à une meilleure réglementation.
Selon l'agence onusienne, 32 pays interdisent la vente de ces inhalateurs électroniques de nicotine et 79 ont adopté au moins une mesure pour en limiter l'usage comme l'interdiction de la publicité. En revanche 84 pays n'ont pas de garde-fous contre leur prolifération.