PARIS : "Il y a moins de monde dans la rue", mais "la colère est bien présente", assure Jérôme Rodrigues. Les Gilets jaunes fêtent mercredi leur troisième anniversaire dans une relative discrétion, même si les germes du mouvement n'ont pas disparu.
Devenu au fil du temps une vigie de cette révolte populaire, M. Rodrigues dit recevoir des "messages sur les réseaux sociaux, de gens qui ne sont pas contents".
Il participe de loin en loin à des manifestations, des pique-niques, observe l'évolution d'initiatives telles que le Syndicat des Gilets jaunes ou la désignation d'un candidat à la présidentielle par des associations de Gilets jaunes, Fabrice Grimal. Mais force est de constater que tout cela reste confidentiel.
Les Gilets jaunes peuvent-ils renaître ? "Les causes objectives structurelles qui ont suscité le mouvement sont toujours là, et sont probablement exacerbées par l'augmentation du coût de l'énergie", observe auprès de l'AFP le politologue Christian Le Bart, auteur en 2020 d'une "Petite sociologie des Gilets jaunes".
"Le terreau est toujours inflammable", note le sondeur Jérôme Fourquet, qui a décrit dans son dernier livre ("La France sous nos yeux") un phénomène de "décrochage du bas de la classe moyenne" qui a alimenté le mouvement des Gilets jaunes et "n'a pas disparu".
Et pour le sociologue Pierre Blavier, qui a observé à la loupe le porte-monnaie des occupants des ronds-points pour son livre "Gilets jaunes, la révolte des budgets contraints", les enjeux socio-économiques sur lesquels il a travaillé "sont encore largement présents": "augmentation des prix", fiscalité proportionnelle perçue comme injuste, mesures contre ce qu'il appelle "les mondes de la route" - passage à 80km/h, multiplication des contrôles de vitesse ou d'alcoolémie, restriction de circulation pour les véhicules diesel...
Mais de l'avis de tous, "ce n'est pas parce qu'on est dans un contexte de difficultés socio-économiques qu'un mouvement social apparaît". "Il n'y a pas de lien", dit M. Blavier.
«Logique abstentionniste»
Auteur en 2019 de "In Girum: Les leçons politiques des ronds-points", le politiste Laurent Jeanpierre ne croit guère en un regain du mouvement. En cause selon lui, la pandémie et les "mesures de réduction des libertés publiques" qui l'ont accompagnée en France comme ailleurs. "Ce n'est vraiment pas propice à la réactivation de liens qui par ailleurs n'étaient pas extrêmement forts", estime-t-il.
Autre motif, la difficulté du mouvement à se structurer, "avec en outre des divergences très fortes entre leaders". Et ces derniers, à l'image de beaucoup de membres anonymes, "sont épuisés", ne bénéficiant pas de l'appui d'une organisation pérenne avec des "permanents".
Les Gilets jaunes "sont des gens qui ont sacrifié beaucoup dans le mouvement, surtout qu'il a duré plus de six mois. Ce sont des gens qui sont rincés, économiquement, rincés professionnellement, il y a eu beaucoup de divorces", énumère M. Jeanpierre.
Conséquence, nombre de figures du mouvement on pris du recul, à l'instar d'Eric Drouet, de François Boulo ou de "Fly Rider".
M. Blavier évoque de son côté le rôle dans la démobilisation des Gilets jaunes de la "réponse policière et judiciaire, qui a quand même été très importante".
Enfin, la période électorale qui s'ouvre n'est sans doute pas la plus propice à la reprise des manifestations. "Est-ce qu'ils vont sortir du bois ? Ce n'est pas forcément évident. Peut-être se disent-ils qu'il y a une élection présidentielle dans six mois, et que c'est le moment où on réglera les comptes et de se faire entendre", suggérait M. Fourquet sur BFM le 21 octobre.
Difficile de prédire ce que feront les Gilets jaunes dans les urnes, et s'ils s'y rendront. Si l'antimacronisme a été un puissant ferment du mouvement, ce dernier se caractérise d'abord par sa défiance vis-à-vis des institutions.
"La logique de leur mouvement, c'est une logique abstentionniste. D'ailleurs je note que tout le monde parle des Gilets jaunes (...) Mais on ne peut pas dire que les partis aient fait un effort majeur pour leur parler", souligne M. Jeanpierre.