BORDEAUX : "Aujourd'hui, c'est possible": les experts du laboratoire du Pr Doutremepuich à Bordeaux peuvent traquer la "vérité biologique" jusque dans une allumette grâce aux "progrès exponentiels" de l'analyse ADN qui font renouer avec l'espoir de résoudre de vieilles énigmes comme la disparition de Marion Wagon.
Un stylo, un couteau mais aussi un banc public, une voiture... Dans ce laboratoire discret qui s'ouvre à l'AFP, des "objets de la vie quotidienne" défilent sous les yeux et microscopes des biologistes à la recherche de sang, sperme, poils et cellules de contact potentiellement porteurs de traces ADN.
"On doit dire si Monsieur Dupond est sur telle tache de sang, c'est une vérité biologique", résume le professeur Christian Doutremepuich, qui a créé ce laboratoire privé il y a 25 ans, en plein essor de l'analyse génétique dans l'enquête criminelle. La France compte une dizaine de structures privées et publiques de ce type.
Le laboratoire d'hématologie médicale-légale s'est taillé une réputation dans l'analyse de scellés anciens issus d'affaires non résolues, des "cold-cases" souvent médiatisés. Sauf pour le professeur: "je ne lis pas les journaux, c'est une question d'impartialité".
Dans la pile de dossiers, à côté du lot quotidien d'analyses requises parfois en urgence par les enquêteurs, figurent de vieilles énigmes comme l'affaire Grégory et d'autres histoires criminelles où l'ADN a pu "matcher" dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg).
Pascal Jardin, le meurtrier de Christelle Blétry, l’une des "disparues de l'A6", violée et assassinée en 1996, a ainsi été rattrapé vingt ans après, confondu par une trace de sperme retrouvée sur un pantalon par le laboratoire grâce à la technique de microdissection laser.
Avec les "progrès exponentiels" de la science, le nombre de cellules nécessaires pour établir un profil fiable a beaucoup diminué -une seule peut suffire - même sur des scellés anciens s'ils sont bien préservés de la chaleur et de l'humidité.
Pour parvenir à cet infiniment petit, le laboratoire a adapté une méthode inspirée de l'oncologie, la microdissection laser, il y a une dizaine d'années. Le principe: isoler par un faisceau laser des profils génétiques sur des scellés pauvres en cellules, "des liens, des munitions, une boucle d'oreille". "Dans une affaire de joggeuse tuée puis brûlée, on a retrouvé un ADN sur une allumette qui ne s'était pas enflammée", illustre Alice Piters, une des quatre expertes du laboratoire.
«Age de pierre»
Avec cette technique, rechercher des traces en "milieu hostile" - voiture calcinée, objet enterré, ou tissu lavé en machine, est du domaine du "possible". "Il y a toujours quelque part des cellules qui restent", souligne sa collègue experte Audrey Esponda.
D'autres méthodes ont récemment permis d'exhumer des traces sur des scellés déjà expertisés par le passé. Le laboratoire a notamment analysé un matelas ayant appartenu au tueur en série Michel Fourniret, selon la technique exhaustive du quadrillage "centimètre par centimètre".
Grâce à cette méthode plus fine, le laboratoire de Bordeaux a retrouvé en 2020 un ADN partiel d'Estelle Mouzin, disparue en 2003, et une dizaine de traces inconnues sur ce matelas. De quoi relancer l'espoir dans des affaires non résolues, notamment la disparition en 1996 de Marion Wagon, à l'âge de 10 ans. Des analyses sont "en cours" à Bordeaux.
"Si l'ADN incrimine, il disculpe surtout", précise le Pr Doutremepuich dont l'une des expertises avait contribué à innocenter un homme suspecté du meurtre de la jeune Britannique Caroline Dickinson en 1996.
Vingt-cinq ans plus tard, il est possible d'obtenir la couleur des yeux, de la peau et des cheveux à partir d'un simple ADN.
Encore peu utilisée, cette analyse des "caractères morphologiques apparents" a été mise au point pour la première fois par le laboratoire dans une affaire de viols en série à Lyon en 2013. Elle se présente surtout comme une "aide à l'enquête pour cibler une catégorie de personnes quand un ADN d'une scène de crime ne matche pas avec le Fnaeg", explique Alice Piters.
Pour le laboratoire, c'est la première marche avant le portrait-robot génétique. "Demain, des analyses dessineront le visage d'une personne avec son âge biologique", prédit le professeur. "On est encore à l'âge de pierre".