Avec ses services de santé obsolètes, la région Mena peu armée face à la Covid-19

Une jeune fille réagit au moment où un professionnel de la santé effectue un prélèvement nasal dans une clinique à l’occasion d’un dépistage de Covid-19 dans la ville de Gaza. (AFP/File Photo)
Une jeune fille réagit au moment où un professionnel de la santé effectue un prélèvement nasal dans une clinique à l’occasion d’un dépistage de Covid-19 dans la ville de Gaza. (AFP/File Photo)
Short Url
Publié le Mardi 09 novembre 2021

Avec ses services de santé obsolètes, la région Mena peu armée face à la Covid-19

Une jeune fille réagit au moment où un professionnel de la santé effectue un prélèvement nasal dans une clinique à l’occasion d’un dépistage de Covid-19 dans la ville de Gaza. (AFP/File Photo)
  • Le rapport de la Banque Mondiale constate que les autorités se sont montrées trop optimistes dans leur autoévaluation du niveau de vigilance de leurs systèmes de santé
  • Sur les seize pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, treize présentent en 2021 des niveaux de vie inférieurs à ceux qui ont été observés avant la pandémie

DUBAÏ: La Banque mondiale vient de publier un rapport dans lequel elle souligne le caractère fragile et disparate du redressement observé dans les pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord au lendemain de la pandémie de Covid-19. Cette situation est imputable à la fois au sous-financement chronique des services de santé publique et à la persistance des tendances socio-économiques.

Ce rapport s'intitule Overconfident: How economic and health fault lines left the Middle East and North Africa ill-prepared to face COVID-19Excès de confiance : comment les failles économiques et sanitaires ont empêché le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord d’affronter la Covid-19»). Il met en évidence les pressions que subissaient les systèmes de santé de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avant même que la pandémie n'éclate.

L'étude constate en effet que le secteur public pléthorique et la dette nationale excessive ont freiné les investissements dans les services sociaux tels que la santé – un symptôme que le rapport qualifie de «myopie fiscale». Cette situation a eu pour effet de contraindre les particuliers à couvrir eux-mêmes une partie des coûts liés à la santé.

Les faibles dépenses publiques allouées aux soins de santé préventifs constituent un autre indicateur de la précarité de la santé publique et contribuent à accroître les taux de maladies transmissibles et non transmissibles.

Le rapport constate que les services de santé publique de la région sont peu préparés à absorber le choc de la pandémie et que les autorités se montrent trop optimistes dans leur autoévaluation du niveau de vigilance de leurs systèmes de santé. L'enquête parle d’«excès de confiance».

Pour les experts, le rapport de la Banque mondiale fait ressortir l'ampleur des inégalités sociales et économiques dans la région, imputables en grande partie aux mauvaises gouvernances et aux politiques biaisées. Ils appellent toutefois à ne pas généraliser ce problème, ce qui aurait pour conséquence d’occulter les écarts observés entre les pays.

Dans un entretien accordé à Arab News, le Dr Theodore Karasik, conseiller principal chez Gulf State Analytics, affirme: «La leçon à tirer est la suivante: il faut revoir les priorités des budgets gouvernementaux et des autres aides étrangères et mettre en place un système de santé plus performant.»

«Cependant, on observe que les expériences varient d'un pays à l'autre et que chaque État a tiré une leçon particulière de la pandémie», précise-t-il.

Les gouvernements des pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord ont répondu à la Covid-19 chacun à sa manière et en fonction des ressources et des infrastructures disponibles. Un grand nombre de ces pays ont collaboré avec les organismes internationaux ou coopéré avec des donateurs régionaux afin d’obtenir des vaccins et des équipements médicaux.

Grâce à leurs systèmes solides et à leur capacité de réagir, certains États ont pu répondre rapidement à la pandémie, notamment les pays exportateurs de pétrole du Conseil de coopération du Golfe (CCG). «Les mécanismes établis dans le Golfe servent de modèle de comparaison», affirme le Dr Karasik.

Saudi Arabia

«Ces modèles sont efficaces et on constate qu'ils sont appliqués dans d'autres pays. Les dirigeants adoptent donc les méthodes qui leur semblent les plus appropriées.»

Certains gouvernements du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord ont été lents à réagir à la flambée du virus dans le monde. Ils ont par la suite intégré des pratiques similaires à celles qu’utilisaient leurs homologues du CCG et ils ont compris que la lutte contre la pandémie constituait une priorité absolue.

À la lumière des grandes disparités socio-économiques qui existent dans la région – dont certains pays figurent dans la catégorie des États fragiles ou défaillants –, le fait de copier les méthodes du CCG ne constituaient pas une solution miracle. Les Émirats arabes unis (EAU) et le Liban, par exemple, ont déployé les vaccins de manières très différentes.

«Les disparités entre les environnements urbains et ruraux et la manière dont la violence peut entraver les soins de santé représentent un enjeu de taille, dont les gouvernements et les professionnels de la santé [doivent tenir compte]», confie le Dr Karasik à Arab News.

Les pertes cumulées en termes de produit intérieur brut (PIB) dans la région Mena s'élèveront à près de 200 milliards de dollars (1 dollar = 0,86 euro) d'ici à la fin de l’année 2021. Selon le rapport de la Banque mondiale, le PIB de cette région a subi une contraction de 3,8% en 2020 et la croissance prévue pour l'année en cours ne dépassera pas 2,8%.

Sur cette photo prise le 24 mai 2020, on voit un homme qui traverse une rue déserte à Rabat lors du confinement imposé au pays pour enrayer la propagation de Covid-19. (AFP/File Photo)
Sur cette photo prise le 24 mai 2020, on voit un homme qui traverse une rue déserte à Rabat lors du confinement imposé au pays pour enrayer la propagation de Covid-19. (AFP/File Photo)

 

Quelques chiffres

 

  • 3,8 %, la contraction du PIB de la région Mena en 2020.
  • 2,8 %, la croissance prévue pour la région en 2021.

(Source : Banque mondiale)

Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, estime que «la paralysie de l'économie dans la région, sur fond de pandémie, nous rappelle malheureusement à quel point le développement économique et la santé publique sont inextricablement liés».

«La triste réalité montre également que la crise a fait vaciller les systèmes de santé de la région Mena, qui étaient relativement développés jusque-là», ajoute-t-il.

En 2021, sur les seize pays de la région, treize présentent des niveaux de vie inférieurs à ceux qui ont été observés avant la crise, indique le rapport. Mais le taux de croissance du PIB par habitant, en 2021, varie d'un pays à l'autre. Il se situe entre -9,8% au Liban (qui traverse une période de récession prononcée) et 4% au Maroc.

Roberta Gatti est l'économiste en chef de la Banque mondiale pour la région Mena. Il explique que «l’on constate au cours des deux dernières années que la lutte contre la pandémie est indispensable pour sauver des vies, mais aussi pour accélérer la reprise économique, qui est désormais précaire et irrégulière dans la région Mena».

Pour le Dr Albadr al-Shateri, ancien professeur de sciences politiques au National Defense College (Collège de défense nationale, NDLR) d’Abou Dhabi, les événements survenus ces deux dernières années révèlent que la région Mena, mais aussi le monde dans son ensemble, sont peu préparés à affronter les pandémies.

«On n'accorde pas à la sécurité sanitaire la même priorité que celle qui est attribuée aux enjeux de sécurité traditionnels. Les gouvernements consacrent de gros investissements aux systèmes d'armes de toutes sortes, mais ils investissent moins dans la sécurité sanitaire», confie-t-il à Arab News.

Pour que la catastrophe de la Covid-19 ne se répète pas, le Dr Al-Shateri invite la communauté internationale, et notamment le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, à coordonner leurs efforts.

«Il est nécessaire de créer un centre chargé de contrôler les maladies dans la région, en coopération avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et d'autres organismes spécialisés. Les puissances mondiales et régionales se doivent de soutenir cette initiative», déclare-t-il.

Ce type de lutte contre les maladies infectieuses profitera à l'ensemble de la région Mena, selon le Dr Al-Shateri. Plus particulièrement, il faut que les pays développés et riches apportent leur aide aux nations moins fortunées. Par ailleurs, il est nécessaire de créer un forum régional chargé de combattre les maladies, ce qui renforcera la sécurité sanitaire.

employé Municipalité
Au Maroc, un employé de municipalité désinfecte l'extérieur d'une maison dans une rue fermée de la ville portuaire de Safi, dans le sud du pays, le 9 juin 2020. (AFP/File Photo)

Pour conclure, M. Al-Shateri avertit que «nous sommes menacés de pandémies de toutes sortes, et leurs conséquences seront catastrophiques pour la région et pour le monde. Le Moyen Orient et l'Afrique du Nord doivent rassembler leurs efforts pour enrayer les maladies au plus vite».

Les conclusions de la Banque mondiale n'ont guère surpris les experts dans la mesure où un grand nombre des défaillances fondamentales soulignées dans le rapport – faibles dépenses allouées à la santé publique, déficits considérables au niveau des infrastructures sanitaires, insuffisance des ressources humaines et des équipements – ne se limitent pas à la région Mena.

«Rien de nouveau dans tout cela», confie à Arab News le Dr Richard Sullivan, directeur du groupe de recherche sur les conflits et la santé au sein du King's College de Londres, qui est par ailleurs chercheur principal et président du programme R4HC-Mena.

«[Il convient de] développer une résilience aux épidémies et aux pandémies, de renforcer les systèmes de santé publique de base de manière intrinsèque et de dresser un tableau détaillé et hétérogène de la région», souligne-t-il.

Le Dr Adam Coutts, chercheur au Weatherhead Center for International Affairs, à Harvard, évoque la principale leçon à tirer de ces dix dernières années: la santé publique et le bien-être social dans des pays comme le Liban ne sont que des priorités secondaires pour les politiciens.

«On ne se trompe pas en affirmant qu'ils ne se soucient ni de la santé ni du bien-être de la population», lance le Dr Coutts.

Test Covid
Une tige reliée au prototype de robot télécommandé Cira-03 s'approche de la bouche d'un volontaire pour prélever un échantillon dans sa gorge. Cette opération est effectuée dans le cadre d'un projet autofinancé qui a pour but de permettre aux médecins de procéder à des tests de dépistage sur des patients suspectés d'être atteints du coronavirus (Covid-19) afin de restreindre l'exposition aux porteurs du virus, dans un hôpital privé de Tanta, dans le delta du Nil, en Égypte. (AFP/File Photo)

«En outre, depuis des dizaines d'années, les pays donateurs et les agences multinationales n'ont accordé à des pays comme le Liban, l'Irak et la Syrie qu'un maigre financement pour les services publics. Ainsi, des millions de personnes restent privées de soins de santé en raison de leurs coûts élevés», poursuit-il.

Il semblerait que les habitants de pays comme le Liban dépensent autant que l'Allemagne pour les soins médicaux en proportion du PIB. Une grande partie de cet argent est toutefois injecté dans les établissements de santé privés.

«Doter la région de systèmes de santé universels ne constitue qu'un slogan publicitaire. À ce jour, aucune mesure concrète n'a été prise, que ce soit au niveau de la volonté politique, des investissements ou encore des réformes concrètes», signale le Dr Coutts.

Il ajoute que la pandémie a révélé à quel point les infrastructures de certains pays de la région Mena étaient délabrées avant même la pandémie. Si ces pays pâtissent aujourd'hui de conflits et de crises humanitaires, la «corruption interne» remonte à plusieurs années.

«La crise nous apprend, par-dessus tout, que l'économie de la santé est un sujet essentiel qui mérite d'être abordé lorsqu'on examine la région et qu'on élabore des politiques de relance.»

syriens à l'hopital
Des Syriens suspectés d'être infectés par la Covid-19 sont soignés à l'hôpital Mouwasat, à Damas, la capitale, le 31 mars 2021. (AFP/File Photo)

Aux yeux du Dr Coutts, la Jordanie et les pays du CCG ont montré que l'État de droit, la stabilité et la Sécurité sociale sont des facteurs essentiels pour qu'une nation résiste à un choc comme celui qu’a provoqué la Covid-19.

La plupart des pays de la région Mena n'ont toutefois pas retrouvé le rythme d'avant la pandémie. Le Dr Coutts pense que le Liban, par exemple, ne pourra pas se relever dans les prochaines années car il se trouve dans une situation «trop dégradée et malade sur le plan politique».

Compte tenu de ces circonstances, il estime que les donateurs et les organismes multilatéraux sont tenus de conditionner l'aide à la réalisation de réformes sociales et économiques profondes, qui impliquent des politiques de protection sociale efficaces.

«Les politiciens des pays les moins avancés disent essayer de faire des changements, mais ce n'est pas le cas», constate le Dr Coutts.

«La seule solution, en de telles circonstances, consiste malheureusement à prendre des mesures punitives; sinon, la situation ne changera pas», conclut-il.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Nouveaux bombardements israéliens au Liban malgré des discussions «positives»

Israël a de nouveau bombardé jeudi le sud du Liban, disant viser des sites du Hezbollah pro-iranien qu'elle accuse de se réarmer, au lendemain des premières discussions directes depuis plusieurs décennies entre des représentants des deux pays. (AFP)
Israël a de nouveau bombardé jeudi le sud du Liban, disant viser des sites du Hezbollah pro-iranien qu'elle accuse de se réarmer, au lendemain des premières discussions directes depuis plusieurs décennies entre des représentants des deux pays. (AFP)
Short Url
  • Le président libanais Joseph Aoun, saluant les réactions "positives" à la réunion de mercredi, a annoncé que les discussions reprendraient le 19 décembre afin d'éloigner "le spectre d'une deuxième guerre" au Liban
  • "Il n'y a pas d'autre option que la négociation", a-t-il ajouté

JBAA: Israël a de nouveau bombardé jeudi le sud du Liban, disant viser des sites du Hezbollah pro-iranien qu'elle accuse de se réarmer, au lendemain des premières discussions directes depuis plusieurs décennies entre des représentants des deux pays.

L'armée israélienne, qui a multiplié ses frappes ces dernières semaines, a encore frappé jeudi le sud du Liban après avoir appelé des habitants de plusieurs villages à évacuer.

Les bombardements ont touché quatre localités, où des photographes de l'AFP ont vu de la fumée et des maisons en ruines.

Dans le village de Jbaa, Yassir Madir, responsable local, a assuré qu'il n'y avait "que des civils" dans la zone. "Quant aux dégâts, il n'y a plus une fenêtre à 300 mètres à la ronde. Tout le monde est sous le choc", a-t-il ajouté. 


« La Syrie n’est pas condamnée » : les leçons d’un an de transition, selon Hakim Khaldi

Short Url
  • Parmi les scènes les plus marquantes, Khaldi se souvient d’une vieille dame de Homs qui, voyant les portraits d’Assad retirés des bâtiments officiels, murmure : « On peut respirer ? Est-ce que c’est vrai ? »
  • Mais ce soulagement intense laisse rapidement place à une inquiétude plus sourde : celle du vide

PARIS: La Syrie post-Assad, carnets de bord, de Hakim Khaldi, humanitaire chez Médecins sans frontières, publié chez L’Harmattan, n’est pas seulement un récit de témoins, mais une immersion dans la réalité d’un pays brisé mais pas vaincu, où la chute d’un pouvoir omnipotent n’a pas suffi à étouffer l’exigence de dignité.
Ce qu’il raconte, c’est l’envers des discours diplomatiques, la géographie vécue d’une société projetée brutalement hors d’un demi-siècle d’autoritarisme dans un vide politique, économique et moral.

Les premiers jours après la chute du régime de Bachar Al-Assad ressemblent, selon Khaldi, à un moment de bascule irréel.

Dans ses carnets, comme dans ses réponses à Arab News en français, revient une même conviction : la chute d’un régime ne signifie pas la naissance immédiate d’un pays. La Syrie, aujourd’hui, est entre les deux, « en état de transformation ».

Les premiers jours après la chute du régime de Bachar Al-Assad ressemblent, selon Khaldi, à un moment de bascule irréel : « On ne savait pas si c’était la fin d’une époque ou le début d’une autre tragédie », confie-t-il.
Dans les villes « libérées », les scènes oscillent entre euphorie et sidération ; la population découvre, sans y croire encore, la possibilité de parler librement, de respirer autrement.

Il raconte ces familles qui, pendant quarante ans, n’avaient jamais osé prononcer le mot « moukhabarat » (services secrets en arabe), ne serait-ce qu’à voix basse chez elles.
Et brusquement, les voilà qui se mettent à raconter : les disparitions, les tortures, les humiliations, et la peur devenue routine.
Des parents ressortent des photos d’adolescents morts sous la torture, des certificats de décès maquillés, des lettres écrites depuis la prison mais jamais envoyées.

Parmi les scènes les plus marquantes, Khaldi se souvient d’une vieille dame de Homs qui, voyant les portraits d’Assad retirés des bâtiments officiels, murmure : « On peut respirer ? Est-ce que c’est vrai ? »
Ce qui l’a le plus frappé, c’est « ce sentiment presque physique d’un poids qui tombe. C’est ce que j’ai le plus entendu », affirme-t-il.

Mais ce soulagement intense laisse rapidement place à une inquiétude plus sourde : celle du vide. En quelques jours, l’État s’est évaporé : plus de police, plus d’électricité, plus d’école, plus de justice.
Les anciens bourreaux disparaissent dans la nature, mais les réseaux de corruption se reconstituent, et les premières milices locales émergent, prêtes à occuper le terrain déserté par les institutions.

Pourtant, au fil de ses déplacements, Khaldi est frappé par la force de résilience et d’auto-organisation de la population : « Les Syriens n’ont jamais cessé d’exister comme société, même quand l’État les avait réduits au silence », assure-t-il.
Dans les villages, des comités improvisés se forment et organisent la distribution alimentaire, la remise en marche d’une station d’eau, la sécurité ou la scolarisation d’urgence.

Un an après la chute du régime (le 8 décembre 2024), la Syrie tente de se relever lentement, mais elle demeure une mosaïque de composants hybrides.

Cette responsabilité populaire est, pour Khaldi, l’un des rares points lumineux du paysage syrien, la preuve qu’une société peut exister en dehors de l’appareil répressif qui prétendait être l’État.

Un an après la chute du régime (le 8 décembre 2024), la Syrie tente de se relever lentement, mais elle demeure une mosaïque de composants hybrides, de milices rivales, de zones d’influence et d’ingérences étrangères. « Une mosaïque qui ne ressemble plus au pays d’avant », estime Khaldi.
Le territoire est éclaté entre forces locales, groupes armés (notamment les milices druzes à Soueida, au nord-est du pays), gouvernances provisoires ou structures étrangères. Les routes sont coupées, les administrations doublées ou contradictoires.

Avec des infrastructures détruites, une monnaie en chute libre et un secteur productif quasi paralysé, la survie quotidienne est devenue un exercice d’équilibriste.
Les Syriens ne nourrissent plus d’illusions sur l’arrivée immédiate d’un modèle démocratique idéal : il s’agit d’abord de survivre, de reconstruire, de retrouver un minimum de continuité.

Le traumatisme est profond, à cause des disparitions massives, de l’exil et des destructions psychologiques. Pourtant, affirme Khaldi, « jamais je n’ai entendu un Syrien regretter que la dictature soit tombée ».

De ses observations et des témoignages qu’il a collectés en arpentant le pays, Khaldi tire les priorités pour éviter que la Syrie ne devienne ni un conflit gelé ni un espace livré aux milices.
De son point de vue, la reconstruction politique ne peut se réduire à remplacer un gouvernement par un autre : il faut rebâtir les fondations, à savoir une justice indépendante, une police professionnelle et des administrations locales.

Des dizaines de groupes armés contrôlent aujourd’hui une partie du territoire, et une transition politique sérieuse est impensable sans un processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration, soutenu par une autorité légitime et par un cadre international solide.
Au-delà des aides internationales, la Syrie a besoin d’un cadre empêchant la capture des fonds par les anciens réseaux de corruption ou les factions armées.
Elle doit donner la priorité à la relance de l’agriculture, au rétablissement de l’électricité, des réseaux routiers et des petites industries, les seules capables à court terme de soutenir la vie quotidienne.

Le pays porte une blessure immense : celle des prisons secrètes, des fosses communes, des disparitions et des exactions documentées. « Sans justice, il n’y aura pas de paix durable », affirme Khaldi.
Il ne s’agit ni de vengeance ni de tribunaux-spectacle, mais de vérité et de reconnaissance, conditions indispensables à une réconciliation nationale.

De cet entretien se dégage une idée forte : malgré la faim, la peur, les ruines, malgré la fragmentation politique et l’ingérence étrangère, les Syriens n’ont pas renoncé à eux-mêmes.
Ils ouvrent des écoles improvisées, réparent des routes avec des moyens dérisoires, organisent l’entraide, résistent au chaos. « La Syrie n’est plus la Syrie d’avant, mais elle n’est pas condamnée pour autant », affirme Khaldi.
Son témoignage rappelle qu’un pays ne meurt pas quand un régime tombe ; il meurt lorsque plus personne ne croit possible de le reconstruire. Et les Syriens, eux, y croient encore.


Liban: Israël annonce des frappes dans le sud, appelle à des évacuations

L'armée israélienne a annoncé jeudi après-midi des frappes imminentes dans le sud du Liban contre ce qu'elle présente comme des infrastructures du mouvement islamiste Hezbollah, et a appelé à des évacuations dans deux villages de cette région. (AFP)
L'armée israélienne a annoncé jeudi après-midi des frappes imminentes dans le sud du Liban contre ce qu'elle présente comme des infrastructures du mouvement islamiste Hezbollah, et a appelé à des évacuations dans deux villages de cette région. (AFP)
Short Url
  • Les forces israéliennes vont "bientôt attaquer des infrastructures terroristes du Hezbollah à travers le sud du Liban afin de contrer ses tentatives illégales de rétablir ses activités dans la région"
  • Dans un "message urgent" en arabe, le colonel Adraee signale, cartes à l'appui, deux bâtiments dans les villages de Jbaa et Mahrouna, dont il appelle les riverains dans un rayon d'au moins 300 mètres à s'écarter

JERUSALEM: L'armée israélienne a annoncé jeudi après-midi des frappes imminentes dans le sud du Liban contre ce qu'elle présente comme des infrastructures du mouvement islamiste Hezbollah, et a appelé à des évacuations dans deux villages de cette région.

Cette annonce survient au lendemain d'une rencontre entre responsables civils libanais et israélien, lors d'une réunion de l'organisme de surveillance du cessez-le-feu entré en vigueur il y a un an, présentée comme de premières discussions directes depuis plus de 40 ans entre les deux pays toujours techniquement en état de guerre.

Les forces israéliennes vont "bientôt attaquer des infrastructures terroristes du Hezbollah à travers le sud du Liban afin de contrer ses tentatives illégales de rétablir ses activités dans la région", a annoncé le colonel Avichay Adraee, porte-parole de l'armée israélienne pour le public arabophone.

Dans un "message urgent" en arabe, le colonel Adraee signale, cartes à l'appui, deux bâtiments dans les villages de Jbaa et Mahrouna, dont il appelle les riverains dans un rayon d'au moins 300 mètres à s'écarter.

Accusant le Hezbollah de se réarmer dans le sud du pays et de violer ainsi les termes de la trêve entrée en vigueur fin novembre 2024, l'armée israélienne a multiplié depuis plusieurs semaines les frappes aériennes dans le sud du Liban mais a marqué une pause dans ses attaques pendant la visite du pape Léon XIV cette semaine.

Israël a même frappé jusque dans la banlieue de Beyrouth le 23 novembre pour y éliminer le chef militaire du Hezbollah, Haitham Ali Tabatabai.

Le Liban dénonce ces attaques comme des violations patentes du cessez-le-feu.

Mais Israël, qui peut compter sur l'aval tacite des Etats-Unis pour ces frappes, affirme qu'il ne fait qu'appliquer la trêve en empêchant le Hezbollah, allié de la République islamique d'Iran, ennemie d'Israël, "de se reconstruire et de se réarmer".

Tout en déclarant que les discussions directes de mercredi avec le Liban s'étaient déroulées dans "une atmosphère positive", le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a rappelé mercredi soir que le désarmement du Hezbollah restait une exigence "incontournable" pour son pays.