GLASGOW : "Nous n'étions pas les bienvenus, mais ça a changé", disent-ils. Portés par l'argument climatique, les défenseurs de l'énergie nucléaire, à commencer par le patron de l'AIEA, gendarme mondial de l'atome, sont venus promouvoir ses mérites à la COP26 de Glasgow.
"Cette COP est peut-être la première où l'énergie nucléaire a une chaise à la table, où elle a été considérée et a pu échanger sans le fardeau idéologique qui existait avant", dit à l'AFP Rafael Mariano Grossi, le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Après les années post-Fukushima, qui ont vu les réticences croître et des pays se détourner, "le vent tourne", assure-t-il.
Argument principal, sur fond de climat déréglé: des émissions de CO2 très limitées, liées à l'extraction d'uranium et au béton des centrales.
"L'énergie nucléaire fait partie de la solution au réchauffement. Ce n'est pas la panacée, elle peut ne pas être pour tout le monde, mais elle fournit déjà plus de 25% de l'énergie propre. Sans elle, on n'y arrivera pas", assène M. Grossi.
Dès son arrivée à la tête de l'AIEA, le diplomate argentin a décidé de porter la cause.
"Ma première COP était à Madrid (COP25, fin 2019, ndlr). J'y suis allé malgré l'idée générale que le nucléaire n'y serait pas bienvenu. Aujourd'hui, non seulement il n'est pas malvenu, mais il intéresse beaucoup".
Réacteurs centenaires
A Glasgow, il a vu ministres et décideurs, participé à des conférences, expliqué que ces technologies peuvent remplacer des énergies fossiles ou aider à s'adapter (applications de la recherche nucléaire aux semences, moustiques etc.).
L'atome porte des risques majeurs: accident, sort irrésolu de déchets hautement radioactifs pendant des milliers d'années, coûts élevés. Autant d'arguments qui mobilisent sans relâche certaines ONG. Mais pour le patron de l'agence de l'ONU, les critiques ne tiennent pas.
"Il faut regarder les faits", dit-il. "En France c'est plus de 70% (de l'électricité), aux Etats-Unis 20%, en Russie pareil... Le nucléaire ne s'arrête jamais, il fournit une articulation avec d'autres sources, dont les renouvelables".
Pour lui, "les accidents sont rares, et quand vous regardez les statistiques en terme de conséquences, bien en-deçà de ce que génèrent d'autres sources d'énergie".
Mais de nouveaux réacteurs pourraient-ils être déployés assez vite pour le climat? "Il faut commencer par préserver la flotte existante", dit-il. Mais jusqu'à quand les prolonger?
"Nous voyons des centrales prévues pour 60 ans avec les normes les plus strictes appliquées par les régulateurs nationaux et supervisées par l'AIEA. Quoi de plus efficient qu'un équipement qui vous approvisionne pendant près de 100 ans? Quand je dis 100, c'est un peu une provocation, mais peut-être pas car cela pourrait bien être le cas. Regardez Beznau, la doyenne, en Suisse, lancée dans les années 1960: une machine très solide. Et nous en avons beaucoup. C'est une question de rigueur sur la sécurité. Car personne ne veut d'accident".
Dans les travées de la COP26, des militants de "Nuclear for climate" - certains, professionnels du secteur - se font entendre. "Parlons nucléaire!" invite sur son tee-shirt bleu Callum Thomas, un Britannique au rang d'observateur des négociations au titre du Japan Atomic Industrial Forum: "Beaucoup voient les prix du gaz quadrupler, et regardent la faisabilité du nucléaire".
Pour tout le monde ?
Le monde est tellement en retard sur ses objectifs climatiques et la transition énergétique à mettre en place pour éliminer les hydrocarbures, que les arguments peuvent faire mouche.
Certains scientifiques le prônent. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) prend tout ce qui est bas-carbone. Dans la plupart des scénarios du Giec (les experts climats de l'ONU) pour limiter le réchauffement à +1,5°C, la part du nucléaire a crû; mais les experts climat de l'ONU soulignent aussi qu'un déploiement "peut être contraint par des préférences sociétales".
Les pays de fait sont divisés. Auckland et l'Allemagne disent non, la Pologne compte dessus face au charbon, l'Inde discute avec le français EDF pour la plus grande centrale au monde, la Chine compte le plus grand nombre de réacteurs, et l'UE bataille sur sa liste des investissements jugés "durables". Nombre d'institutions ne financent pas non plus les projets nucléaires, comme la Banque mondiale, à laquelle M. Grossi a récemment rendu visite.
Au vu des coûts et capacités nécessaires, tout le monde peut-il en outre y prétendre? "Oui", répond le diplomate. A la COP, "des pays en développement en particulier sont venus nous demander de les aider".
"Les pays voient dans les petites unités une alternative intéressante, qui va dans les centaines de millions (de dollars) et pas les milliards", souligne le patron de l'AIEA, qui propose aussi des "programmes par étape" pour accompagner les nouveaux arrivants.
Canada ou encore Etats-Unis développent de petits réacteurs, dits SMR ("small modular reactors"). Seule la Russie pour l'instant a mis en service une centrale flottante utilisant cette technologie.