ADDIS ABEBA : Le 4 novembre 2020, la planète avait les yeux rivés sur l'élection présidentielle américaine. En Ethiopie, le Premier ministre Abiy Ahmed lançait une opération militaire dans la région septentrionale du Tigré, qui allait marquer le début d'une guerre dévastatrice.
L'intervention rapide et ciblée promise par le prix Nobel de la paix 2019 s'est transformée en un conflit durable, qui s'est étendu jusqu'à menacer la capitale Addis Abeba.
Quelle est l'origine du conflit ?
Selon Abiy Ahmed, cette opération visait à arrêter les dirigeants du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), le parti dirigeant la région qui a gouverné de fait l'Ethiopie durant les trois décennies précédant l'arrivée au pouvoir de M. Abiy en 2018.
Le Premier ministre accusait le TPLF d'avoir attaqué deux bases militaires au Tigré, ce que le TPLF a démenti.
Cette intervention marquait l'apogée de mois de tensions durant lesquels les dirigeants du TPLF avaient ouvertement défié l'autorité du gouvernement fédéral.
Abiy Ahmed a proclamé la victoire le 28 novembre après la prise de la capitale régionale Mekele.
Mais en juin, le TPLF a lancé une contre-offensive et reconquis l'essentiel du Tigré. L'armée éthiopienne s'est alors retirée et le gouvernement a déclaré un "cessez-le-feu humanitaire".
Ces huit premiers mois du conflit ont été marqués par des exactions (massacres, viols, torture...) commises par "toutes les parties", selon une enquête conjointe de l'ONU et de la Commission éthiopienne des droits de l'homme, qui estiment que certaines "peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité".
Où en sont les combats ?
Le TPLF a poursuivi son offensive dans les régions voisines de l'Afar et de l'Amhara pour empêcher, affirme-t-il, les troupes éthiopiennes de se regrouper et briser ce que l'ONU a décrit comme un "blocus de facto" du Tigré.
Ces dernières semaines, les combats se sont concentrés en Amhara, où les rebelles ont revendiqué la prise de deux villes stratégiques, Dessie et Kombolcha, situées à 400 kilomètres au nord d'Addis Abeba.
L'Armée de libération oromo (OLA), groupe rebelle allié au TPLF, a annoncé s'être emparée de localités plus au sud, à environ 320 kilomètres de la capitale, où le TPLF l'a rejointe.
Le TPLF n'exclut pas de marcher sur Addis Abeba. Un porte-parole de l'OLA a estimé mercredi qu'atteindre la ville était "une question de mois, si ce n'est de semaines".
Les communications sont coupées dans une grande partie du nord de l'Ethiopie et l'accès des journalistes y est restreint, rendant les positions sur le terrain difficiles à vérifier.
Le gouvernement, tout en démentant une avancée rebelle, a décrété mardi l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire. Les autorités d'Addis Abeba ont appelé les habitants à s'organiser pour défendre la ville.
Quelle est la situation humanitaire ?
Plus de 400.000 personnes ont "franchi le seuil de la famine" au Tigré, déclarait en juillet un haut responsable de l'ONU.
Depuis, les conditions n'ont fait que se détériorer.
Les services de base tels que banques, électricité et télécommunications "ne sont pas fournis par le gouvernement", affirmait en septembre un porte-parole du département d'Etat américain, évoquant des "signes d'un état de siège".
Le gouvernement et le TPLF s'accusent mutuellement d'entraver l'acheminement de l'aide et d'affamer la population.
L'ONU estime qu'une centaine de camions d'aide devraient atteindre quotidiennement le Tigré, mais aucun n'y est parvenu depuis le 18 octobre.
L'AFP a pu confirmer, sur la base de documents internes et d'organisations humanitaires sur place, que la faim a provoqué des décès au Tigré.
La propagation des combats a déplacé des centaines de milliers de civils, étendant la détresse humanitaire au-delà du Tigré.
Quels espoirs de paix ?
Depuis un an, les puissances occidentales, l'ONU et l'Union africaine appellent à des négociations et un cessez-le-feu.
Abiy Ahmed a refusé toute médiation dans ce qu'il considère comme une affaire interne éthiopienne. Le TPLF, qui a juré la perte d'Abiy, n'a pas totalement exclu la possibilité de négociations, se disant prêt à "discuter avec le diable" pour assurer la sécurité du Tigré.
Mais "il est difficile d'imaginer ces protagonistes s'asseoir autour d'une table et discuter", souligne William Davison, analyste à l'International Crisis Group: "Aussi déprimant que cela puisse être, ça semble de plus en plus se jouer sur le champ de bataille."
Même si des négociations se concrétisaient, "il serait illusoire de penser que les choses vont revenir à la +normale+ après tant de sang versé et de destruction", estime Awet Weldemichael, expert en sécurité de la Corne de l'Afrique à l'Université Queen's (Canada).