Autant j'ai été agréablement surprise par la solidarité internationale et la couverture médiatique à la suite de l'explosion dans le port de Beyrouth, autant j'ai été choquée par l'apathie internationale et le manque de reportages sur les inondations catastrophiques survenues récemment au Soudan. Un demi-million de personnes ont été touchées, et plus de 100 000 maisons partiellement ou totalement détruites. Une grande partie de ces personnes ont probablement perdu tout ce qu'elles possédaient, et pourtant cette catastrophe a été noyée dans le flux des informations, sans attirer l’attention des médias. Le monde devrait se tenir aux côtés du Soudan de la même manière qu’il s'est tenu aux côtés du Liban en détresse.
Le problème des inondations au Soudan est récurrent et nécessite une solution durable. Le pays connaît des inondations presque chaque année, mais cette fois, elles sont catastrophiques en raison de la quantité de pluie sans précédent qui est tombée en Éthiopie, la source du Nil Bleu. On dit que les précipitations sont les plus élevées que le pays ait connues depuis 100 ans. La catastrophe s’explique en partie par des facteurs naturels, mais aussi par un manque de planification urbaine. Les deux affluents du Nil, le Nil Bleu en Éthiopie et le Nil Blanc en Ouganda, se rejoignent à Khartoum. Plus d'un kilomètre le long des rives du Nil dans la capitale a été remblayé pour élargir les rues et permettre la construction de grands bâtiments.
Cela a réduit le lit de la rivière, diminuant sa capacité à absorber à un débit d'eau supplémentaire. Les structures résidentielles construites le long du Nil ont également bloqué les canaux naturels que le fleuve crée pour évacuer le débit d’eau excédentaire.
Les agriculteurs soudanais ont tendance à s'installer sur les rives du fleuve, car les inondations recouvrent la terre de limon, la rendant fertile et plane. Mais les bidonvilles construits à proximité du lit de la rivière exposent leurs habitants aux conséquences des inondations. Comme le dit un dicton soudanais : « La crue n’oublie jamais son chemin », ce qui signifie que les eaux de la crue reviendront toujours et couvriront les mêmes zones que par le passé. Par conséquent, tous les deux ou trois ans, l'histoire se répète, un nombre important de personnes perdant leurs maisons et leurs biens à cause des inondations. Les bidonvilles augmentent également de jour en jour, en raison de la croissance démographique, ce qui signifie que de plus en plus de personnes seront menacées à l'avenir.
Des solutions sont possibles, mais la volonté politique manque
Néanmoins, les problèmes que pose la géographie peuvent être résolus par l'ingéniosité humaine, à condition qu’il existe une gouvernance et une planification adéquates. Les Pays-Bas, dont le nom signifie littéralement « pays inférieur », ont su contourner le problème de leur faible élévation en mettant en place des pompes qui rejettent le surplus d'eau, celle-ci allant ensuite dans les canaux et finalement vers la mer. Le Soudan peut résoudre son problème si une décision politique est prise pour mettre en place un système de contrôle et de gestion des crues. En réalité, le problème des crues peut même être transformé en atout.
Le gouvernement actuel, semblable au gouvernement libanais, ne fait pas preuve d'une capacité de réaction rapide et efficace face à la catastrophe.
Selon le Dr Issam Bashour, professeur et spécialiste des sols à l'Université américaine de Beyrouth, trois mesures sont nécessaires pour résoudre ce problème récurrent : « Vous commencez par planter de la végétation pour retenir plus d'eau ; la végétation absorbe l'eau et réduit l'érosion du sol et l'effet de glissement de terrain. La deuxième mesure consiste à aménager les flancs des collines pour ralentir les écoulements. Et la troisième mesure consiste à construire des canaux de contrôle des crues pour détourner les débordements de l'eau ». Il ajoute également que « le Soudan est un pays riche avec une terre fertile, mais qui souffre d'un manque de planification et d'une mauvaise gestion de l'environnement ». Les canaux de contrôle des inondations pourraient augmenter les zones d'agriculture irriguée. Ils pourraient également être reliés à des lacs de stockage d'eau, qui pourraient être utilisés en période de sécheresse.
Les solutions techniques sont simples et directes ; le problème réside dans la volonté politique. Sous le régime d’Omar al-Bashir, qui a duré près de 30 ans, le pays s’est décomposé en raison de la corruption, tout en souffrant d’un isolement international en raison de son inscription sur la liste des pays parrainant le terrorisme.
Le gouvernement actuel, à l'instar du gouvernement libanais, ne fait toutefois pas preuve d’une capacité de réaction rapide et efficace face à la catastrophe. La différence entre les deux pays réside dans la réponse internationale. La catastrophe du Soudan est loin d'être terminée. Les inondations pourraient durer jusqu'en octobre, affectant considérablement l'approvisionnement en eau potable dans le pays. Ces inondations ne se limiteront pas à la destruction des maisons de centaines de milliers de Soudanais – elles entraîneront des maladies liées au manque d'eau potable et l'insécurité alimentaire dans les mois à venir. Par conséquent, la catastrophe aura un effet grave sur le peuple soudanais ; pourtant, le monde hésite à prendre des mesures adéquates.
Pour essayer de comprendre ce comportement, j'ai parlé à un ancien journaliste soudanais résidant à Dubaï, Omar Al-Omar. Voilà ce qu’il m'a dit : « La communauté internationale ou la diaspora soudanaise ont essayé d'aider par le passé, pour constater que leur aide avait été détournée au profit du gouvernement corrompu. Cela a stoppé net leurs initiatives. En outre, le gouvernement actuel a déclaré le Soudan comme un pays en détresse, mais n'a pas réussi à collaborer correctement avec la communauté internationale pour mettre en place des secours. »
Le fait est que la communauté internationale ne devrait pas attendre l’engagement du gouvernement soudanais. Elle ne devrait pas laisser le peuple soudanais payer le prix des réticences de son gouvernement. Elle devrait agir maintenant et aider ce pays sinistré. Outre une aide d’urgene, la communauté internationale devrait apporter une solution durable, et organiser un système de gestion des inondations qui soulagerait une fois pour toutes le peuple soudanais de ce problème.
Dr. Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, et travaille en particulier sur les groupes de pression. Elle est cofondatrice du Research Center for Cooperation and Peace Building (RCCP,) une ONG libanaise axée sur la diplomation parallèle (Track II). Elle est également chercheuse affiliée au Issam Fares Institute for Public Policy and International Affairs (Institut Issam Fares de politiques publiques et d'affaires internationales - IFI) de l’Université américaine de Beyrouth.
NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com