PARIS : Rebond économique spectaculaire, aléas climatiques, infrastructures à l'arrêt... Juste avant l'entrée dans l'hiver, le monde est plongé dans une crise énergétique qui préoccupe de Londres à Pékin.
Le gaz s'envole
La tension entre boom de la demande de gaz (qui sert aussi dans des centrales électriques) et offre limitée fait s'envoler les prix, après des années de recul.
La demande de gaz a été soutenue tout 2021 par la reprise post-Covid, après un hiver long et froid en Asie et en Amérique du nord, suivi d'une canicule en Asie et de sécheresse au Brésil. La Chine, le Japon, la Corée ont été de gros consommateurs.
L'offre a, elle, été affectée par des difficultés de maintenance sur des installations de gaz liquifié (GNL).
En Europe, les stocks de gaz ont ainsi en partie fondu, tandis que l'éolien était moins disponible ces dernières semaines pour des raisons climatiques.
Et aux Etats-Unis, l'hydroélectricité a eu du mal à compenser par manque de pluies.
Cette flambée des cours du gaz profite aussi au pétrole, qui retrouve ses niveaux de 2014.
Electricité sous tension, regain du charbon
En Chine, des coupures de courant ont fait fermer des usines, poussant Pékin à relever la production de dizaines de mines de charbon pour alimenter ses centrales électriques.
L'Inde, qui importe du charbon d'Afrique du Sud ou d'Indonésie et en tire 70% de son électricité, craint aussi des coupures de courant, d'autant que la mousson a inondé ses propres mines.
Dans certains pays européens aussi, la hausse des prix du gaz a conduit des fournisseurs d'électricité à se tourner vers le charbon. "Une tendance qui aurait été encore plus prononcée sans la hausse du prix des quotas d'émissions de carbone sur le marché européen", note l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Conséquences sociales et industrielles
Cette hausse des prix des énergies fossiles a d'abord un impact social.
Les prix de l'électricité, qui en découlent en partie, ont atteint un sommet inédit depuis 10 ans en Europe, souvent au-delà de 100 euros le mégawattheure (MWh), selon l'AIE. En Allemagne, en Espagne, ils ont triplé voire quadruplé par rapport à 2019 et 2020.
Les Britanniques, dépendants du gaz, pourraient voir leur facture électrique bondir de 30% d'ici l'an prochain, selon le cabinet Cornwall Insight.
Et "les liens entre marchés du gaz et de l'électricité ne sont pas prêts de disparaître", prévient l'AIE, même si, "au fur et à mesure de la transition énergétique (vers des énergies décarbonées), la demande de gaz commencera à diminuer".
Les conséquences sont aussi économiques et industrielles. En Grande-Bretagne, en France... les entreprises énergivores s'alarment. La flambée des prix inquiète même pour l'approvisionnement en engrais, faisant grimper le prix des céréales.
"Le monde a connu d'autres crises" énergétiques, souligne Marc-Antoine Eyl-Mazzega, de l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Mais celle-ci est assez inédite, car elle concerne les métaux et les prix agricoles, de quoi nourrir une spirale inflationniste préoccupante".
Comment passer l'hiver ?
Y aura-t-il assez de gaz pour répondre à la demande cet hiver? Pour Massimo Di-Odoardo, vice-président du cabinet de conseil Wood Mackenzie, "le facteur clé sera la météo, pas seulement en Europe mais aussi en Asie et en Russie".
"Dans des conditions hivernales normales sur l'hémisphère nord, l'Europe n'aura pas de problème: les stocks atteindront 78% de leur capacité d'ici la fin octobre, une faiblesse record, et les importations de GNL seront limitées par la demande asiatique, mais un rebond de la production britannique et norvégienne et des exportations en provenance d'Algérie et d'Azerbaïdjan devraient accroître l'offre par rapport à cet été", estime-t-il.
L'hiver européen dépendra aussi du volume de l'offre russe, estime l'AIE: la Russie honore ses contrats de long terme tout en exportant moins qu'en 2019, elle "pourrait faire plus".
Après l'hiver...
Pour les experts, cette crise a une part conjoncturelle. Mais elle intervient au "moment clé" de la transition énergétique.
Pour M. Eyl-Mazzega, elle "fragilise cette transition, car on est toujours un pied dans le monde d'avant, et on ne tient le monde d'après que d'une main, encore insuffisamment engagés dans cette voie" et toujours mus par les énergies fossiles.
En Grande-Bretagne, le gouvernement vient d'annoncer un objectif de production électrique décarbonée en 2035, grâce aux renouvelables et à du nucléaire pour 20%.
"La situation présente rappelle aux gouvernements l'importance d'une énergie sûre et abordable, surtout pour les plus vulnérables", souligne Fatih Birol, le directeur de l'AIE, ajoutant que "des transitions bien gérées vers des énergies propres sont une solution, certainement pas le problème".