PARIS : «Une première»: c’est en ces termes enthousiastes que Noor Soussi, directrice des ventes du département Moyen-Orient de Bonhams, évoque cet événement.
Il s’agit de la première vente aux enchères d’œuvres modernes arabes organisée en France par la célèbre maison londonienne. Elle aura lieu le 18 octobre 2021.
Intitulée «Machrek-Maghreb», elle réunit quarante-quatre lots d’artistes parmi les plus célèbres du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, qui proviennent directement de leurs ateliers. En effet, chaque créateur a confié l’une de ses œuvres, choisie par la donation Claude et France Lemand. La moitié du produit de la vente sera reversée aux artistes, et l’autre moitié servira à aider l’exposition Lumières du Liban, actuellement présentée à l’Institut du monde arabe (IMA) et soutenue par le fonds Claude et France Lemand-IMA. Ce dernier pourra donc persévérer dans la mission qu’il s’est fixée en 2018, quand le couple Lemand a fait une donation de 1 300 œuvres au musée de l’IMA, qu’ils contribuent par ailleurs à enrichir à l’occasion de chaque exposition (plus de 1 650 œuvres au 30 juin 2021). Il s'agit de la plus importante donation de l'histoire de l'institution. Depuis, à Paris, les Lemand et l'IMA travaillent de concert à la valorisation européenne et internationale de ces artistes. «Cette vente permettra d’enrichir la collection de l’IMA, d’organiser des expositions, d’entreprendre des travaux de recherche et de publier des catalogues d'exposition au sein de l’Institut du monde arabe», déclare Claude Lemand à Arab News en français.
«Défricheurs de talents»
Galeriste, collectionneur, mécène et donateur, Claude Lemand fonde sa galerie à Paris en 1988. Il propose des œuvres créées par des artistes issus de quatre continents et du monde arabe qui, comme lui, se sont installés en Occident. Au fil des années, sa femme France et lui ont réuni une collection d'œuvres exceptionnelle et participent grandement à l'essor du marché de l'art du Moyen-Orient. Jack Lang, parrain de cette vente caritative, déclare d’ailleurs à leur sujet: «Défricheurs de talents, ils ont été de ceux qui, parmi les premiers, ont cru dans la créativité des artistes contemporains du monde arabe. Ils s’illustrent aussi par leur générosité.»
Lien culturel fort
À travers cette vente, la maison Bonhams met justement en avant le lien culturel fort qui unit les arts du monde arabe et la France: «Comme nous l'avons souligné à l’occasion de cette vente, de nombreux centres d'art arabe se trouvent sur la côte méditerranéenne: Beyrouth, Alexandrie et Casablanca. Il y a donc une forte influence méditerranéenne dans l'art que nous exposons. Par ailleurs, de nombreux artistes ont vécu ou étudié à Paris, et c’est encore le cas aujourd’hui pour certains d’entre eux, ce qui donne une double importance à la vente», indique la directrice des ventes du département Moyen-Orient de Bonhams.
Parmi les œuvres proposées à la vente figure notamment un tableau de Chafik Abboud intitulé Composition (1966). Ce peintre né au Liban en 1926 est l'un des artistes arabes les plus emblématiques du XXe siècle. Installé à Paris en 1947, il retourne régulièrement dans son pays natal. Il joue un rôle majeur dans la vie culturelle et artistique de Beyrouth. L’œuvre en question appartenait à Mme Éliane Kaufholz, germaniste et traductrice d'Adorno, de Karl Kraus et de Thomas Bernhard. Amie très chère d'Abboud, elle a joué un rôle prépondérant dans sa vie.
Père du modernisme marocain
Un tableau signé Mohamed Melehi, tragiquement décédé de la Covid-19 en 2021, qui a pour titre Beyrouth (2020), fera également partie de la vente. Cet artiste est considéré à juste titre comme le père du modernisme marocain. Peu de temps avant sa mort, il a fait don de cette œuvre monumentale pour qu’elle soit vendue au profit de l'IMA. Il s’agit sans doute de sa dernière œuvre et «il est particulièrement poignant que le produit de cette vente aille vers des programmes culturels et des expositions de l'IMA qui assureront l'héritage durable d'artistes comme Melehi», confie Noor Soussi.
Une composition d’Ayman Baalbaki, Sans titre (2016), fait également partie du catalogue de la vente. «C’est l'artiste libanais contemporain vivant le plus important et le plus reconnu», précise l’experte de Bonhams. «Son œuvre, monumentale, est profondément personnelle; elle représente un bâtiment de Beyrouth ravagé par la guerre. L’ensemble du travail de ce créateur constitue un témoignage esthétiquement irrésistible du pouvoir destructeur du conflit – une destruction dont la genèse, bien que physique, infiltre, cicatrise et déforme la conscience collective de ses victimes.» Exécuté à une échelle qui rend compte à la fois de l'énormité architecturale du bâtiment représenté et de l’ampleur des dommages subis, le tableau mis en vente présente l’image saisissante d'une ville dont le paysage urbain a été anéanti et mutilé par la guerre. Les scènes que Baalbaki parvient à saisir dans ses tableaux sont dramatiques mais, souvent, des arrière-plans nourris de textiles floraux apportent volontairement une touche de douceur et d’espoir.
Dans cette vente, les femmes ne sont pas en reste. Samia Halaby est l'une des artistes les plus en vue et les plus établies de la région. Elle a commencé sa carrière artistique dans les années 1960 et vit à New York depuis près de cinquante ans. Ses peintures abstraites colorées, saisissantes, sont très influencées par la nature et par les monuments architecturaux et la géométrie islamiques. Elles tissent des liens profonds entre l'art occidental et l’esthétique arabo-musulmane.
Jeune génération féminine
La jeune génération féminine est également très représentée. Zena Assi, née en 1974, propose A Storm is brewing my beautiful refugees («Une tempête se prépare, mes magnifiques réfugiés», 2021). Diplômée de l’Académie libanaise des beaux-arts, elle a travaillé plusieurs années pour l’agence de publicité Saatchi & Saatchi de Beyrouth. Elle se consacre à la peinture depuis 2005. Son champ d’inspiration la conduit à observer la société sans visée politique particulière. L’artiste travaille, notamment, sur la thématique de la construction et de la déconstruction des surfaces urbaines, dont Beyrouth offre un exemple frappant. Son travail a été salué par de nombreuses récompenses, entre autres par le Prix spécial du jury au Salon d’automne du musée Sursock (en 2009 à Beyrouth) et par le Sunny Dupree Family Award for a Woman Artist lors de l’exposition estivale de la Royal Academy of Arts (l’année dernière à Londres). Ses œuvres ont été exposées un peu partout dans le monde (Liban, Royaume-Uni, Dubaï, Abu Dhabi, France, États-Unis, Égypte, Bahreïn, Koweït, Biennale de Venise) et sont conservées dans des collections publiques et privées internationales.
«La Ville Lumière constitue une partie très importante de la stratégie de notre entreprise pour l'avenir. Plutôt que d’effectuer une simple vente annuelle [d’œuvres d’art], nous allons utiliser notre bureau de Paris afin de construire des projets intéressants chaque fois que l'occasion se présente», précise Noor Soussi.
«Partenariats locaux»
«Et, même si les ventes aux enchères du monde arabe ne vont pas forcément s’inscrire dans un calendrier de ventes régulières comme celles qui ont lieu à Londres, nous tenons à rester actifs dans le secteur Maghreb-Machrek en France. Nous allons donc développer nos partenariats locaux, réaliser des ventes aux enchères thématiques, sélectionner des projets intéressants issus du monde arabe et préparer des expositions», conclut la directrice du département Moyen-Orient de l’une des plus prestigieuses maisons de vente aux enchères du monde.
EXPOSITION
Jeudi 14 et vendredi 15 octobre de 10h à 18h.
Samedi 16 octobre de 11h00 à 17h.
Dimanche 17 octobre de 12h à 17h.
Lundi 18 octobre à partir de 10h.
VENTE
Lundi 18 octobre à 15h00.