BUENOS AIRES, Argentine: Ultra-résistant, ultra-stable et ultra-conducteur, le graphène promet de révolutionner l'industrie aérospatiale, énergétique et médicale. Mais en raison de sa nouveauté et de ses immenses potentialités, ce nanomatériau fait aussi l'objet dans le monde d'innombrables messages de désinformation de la part des antivaccins.
Qu'es-ce que le graphène ?
Souvent qualifié de "matériau miracle", le graphène est parmi les plus légers découverts à ce jour. Composé de carbone, il a été identifié en 1947, mais isolé seulement en 2004 par le Néerlandais Andre Geim et le Russo-Britannique Konstantin Novoselov, ce qui leur a valu en 2010 le prix Nobel de physique.
Ce matériau possède des propriétés chimiques et physiques uniques, ce qui en fait un "des plus prometteurs pour les technologies du futur", explique à l'AFP le chercheur argentin Marcelo Mariscal, spécialiste des nanotechnologies.
Le graphène fait l'objet de recherches pour la fabrication de capteurs de très haute sensibilité, de dispositifs électroniques souples, notamment pour les voitures, avions, satellites. Il stocke très facilement l'énergie, ce qui en fait un matériau de choix pour les batteries de voitures.
Il pourrait aussi avoir des débouchés dans la construction et la médecine, notamment comme vecteur pour les thérapies géniques, la médecine moléculaire et les vaccins.
Quel lien avec les vaccins anticovid ?
Comme cela a déjà été le cas avec les technologies de la 5G et des micropuces, le graphène fait l'objet de nombreuses théories du complot de type "cheval de Troie". Selon ces théories, des gouvernements ou des personnalités chercheraient à "contrôler" à distance les personnes grâce à de matérieux injectés par le biais de vaccins contre le Covid-19, ou suivre leurs déplacements par GPS.
Ces rumeurs ont surgi au printemps 2021 après que le Canada a retiré du marché des masques médicaux contenant du graphène en raison de possibles risques pour la santé.
Un mois plus tard, alors que les campagnes de vaccination anticovid battent leur plein en Europe, aux Etats-Unis et progressent en Amérique latine et ailleurs dans le monde, des utilisateurs des réseaux sociaux accusent le vaccin de les avoir "magnétisés".
Les vidéos traversent les frontières afin de "démontrer" que les vaccins anticovid contiennent des ingrédients "secrets" et nocifs, dont du graphène, afin notamment de "contrôler la volonté" des gens grâce à des propriétés magnétiques.
D'autres affirment que de l'oxyde de graphène, un dérivé, est présent dans les vaccins et "altère le champ électromagnétique" des personnes, pouvant occasionner leur décès.
Que sait-on ?
Aucun des vaccins anticovid homologués par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dont la composition est publique, ne contient du graphène ou de l'oxyde de graphène.
Ni le graphène, ni l'oxyde de graphène n'ont de propriété magnétiques naturelles, indiquent les scientifiques interrogés par l'AFP.
"Il n'est magnétique que dans des conditions de laboratoire très spécifiques (...) dans les conditions naturelles il perd ses propriétés magnétiques", souligne Diego Peña du Centre de recherche en chimie biologique et matériaux moléculaires d'Espagne.
Le graphène et l'oxyde de graphène font aussi l'objet de recherches à des fins biomédicales, mais "il s'agit d'études modèles dans des phases de science fondamentale, qui sont encore loin d'une application", explique Marcelo Mariscal.
Concernant les masques vendus au Canada, leur vente a d'ailleurs repris après qu'une étude a montré que "les particules de graphène (...) ne sont pas libérées par ces masques en quantités susceptibles de provoquer des effets néfastes sur les poumons".
Pour Marcelo Mariscal, "toutes les attentes de la presse et du marché vis-à-vis d'un matériau qui promet de révolutionner l'industrie - comme l'acier ou les matériaux polymères l'ont fait en leur temps - en font une cible" de choix pour les complotistes.
"Les recherches qui suscitent beaucoup d'espoir ont un problème : les gens veulent en voir les effets très rapidement", souligne Ester Vazquez Fernandez-Pacheco, de l'Institut régional de recherche scientifique appliquée (IRICA) de Castille et Mancha, en Espagne.
Or "tout développement technologique requiert de nombreuses années (...) et cette idée malheureusement ne se diffuse pas de manière efficace", souligne-t-elle.
"Le matériau est connu, tout le monde sait qu'il est réel, mais tout le monde ne peut pas comprendre comment on travaille avec", il est donc "très facile de faire croire des choses sans aucun fondement scientifique".