PARIS : Pour les franco-libanais résidant au Liban, le traitement qui leur est infligé de la part des banques françaises est l’équivalent d’une double peine.
Ils se retrouvent comme tous les citoyens libanais dépouillés de leurs dépôts bancaires au Liban, en raison de la crise financière que traverse le pays depuis 2019.
Ils sont par ailleurs persona non-grata auprès des banques françaises, qui procèdent brutalement et unilatéralement à la clôture de leurs comptes.
Les méthodes varient d’une banque à l’autre, les prétextes aussi, mais le résultat est le même.
Ils se retrouvent tous entravés dans la gestion de leur budget et leurs dépenses au quotidien.
Parmi ceux là, Antoine F, franco-libanais, qui ne souhaite pas révéler son identité, raconte à Arab News en français avoir détenu un compte auprès d’une banque française depuis 1984.
A l’époque, la banque lui avait même accordé un crédit pour l’achat d’un luxueux appartement, dans le 16e arrondissement de Paris.
Dix ans plus tard, il décide de retourner avec sa famille au Liban, il liquide ses biens en France mais garde son compte bancaire qui devient un compte non-résident.
Ce compte est resté inactif jusqu’en 2016, date à laquelle il commence à toucher sa retraite versée par virements bancaires effectués sur ce même compte.
Tout se passait normalement jusqu’au jour où il reçoit une lettre recommandée, l’informant que son compte a été fermé sur décision de la direction générale.
Cette décision inattendue et non justifiée le plonge dans la perplexité.
Les nombreux courriers qu’il a adressé à sa banque pour avoir une explication sont restés sans réponse, alors il appelle la banque qui lui explique que la fermeture de son compte est dû au fait qu’il est un homme politique.
Effectivement Antoine F était à un moment donné, député au parlement libanais, mais pour autant, l’argument lui a paru surprenant.
« Le montant de ma retraite n’était pas onéreux, et aucune autre somme pouvant justifier la suspicion de la banque, ne transitait sur mon compte » affirme-t-il.
Mona A, elle est franco-libanaise et réside au Liban, elle a fait un tollé lorsqu’elle a appris que sa banque en France allait fermer son compte.
Il s’est pourtant résigné à recevoir sa retraite mensuelle sur un compte libanais, et se retrouve à la merci des aléas d’un système bancaire sinistré, qui ne l’autorise à disposer de ses revenus qu’au compte-goutte.
Nicolas F, s’est vu lui aussi notifié une décision de fermeture de son compte en France.
Il est vrai qu’il n’est pas naturalisé français, et qu’il réside au Liban, mais il est propriétaire d’un appartement à Paris.
Son compte français lui était nécessaire pour régler son impôt foncier ainsi que les charges de sa propriété, mais impossible de faire entendre raison à sa banque.
Depuis quelques mois, la fille de Nicolas est installée à Paris, où elle poursuit ses études universitaires, et son compte parisien aurait pu servir à financer le séjour de cette dernière, si celui-ci existait encore, soutient-il à regret.
« Tracfin »
Mona A, elle est franco-libanaise et réside au Liban, elle a fait un tollé lorsqu’elle a appris que sa banque en France allait fermer son compte.
De passage à Paris, elle insiste pouf rencontrer le directeur de la banque, et en bonne femme d’affaires elle parvient à le convaincre de garder le compte ouvert.
Mais à chaque fois qu’elle essaye de transférer de l’argent de son compte français sur son compte libanais, l’opération s’avère impossible.
Aucune explication logique ne lui est fournie par sa banque en France, alors elle se débrouille comme elle peut.
A chaque fois qu’elle a besoin d’argent, elle vire la somme requise sur le compte de son neveu français, qui s’arrange pour la lui envoyer, par l’intermédiaire d’un tiers, à Beyrouth.
Comme Mona, Antoine et Nicolas, nombreux sont les Libanais qui ont subi ce que le secrétaire d’Etat chargé des français de l’étranger Jean-Baptiste le Moine qualifie de « débancarisation ».
Pour s’épargner tout tracas, les établissements bancaires préfèrent recourir à la fermeture arbitraire des comptes des non-résidents, pour éviter de compter parmi leur clientèle des personnes pouvant recycler au profit du Hezbollah, l’argent en provenance de l’Iran.
De son côté, le ministre de l’économie Bruno le Maire, mène depuis quelques mois des discussions avec la fédération bancaire française dans le but de résoudre ce dossier.
Les établissements bancaires estiment de leur côté que les comptes détenus par des personnes établies à l’étranger génèrent des risques pour eux.
Il semblerait que les mesures de fermetures de compte, prises indépendamment d’une demande de l’Etat français, soit dictée par la crainte des banques d’être visées par les services de « Tracfin », organisme français chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent.
Qu’est-ce que le Tracfin ?
Selon le site internet du ministère français de l’Economie, Tracfin est un service administratif de traitement du renseignement financier qui dispose d’une large autonomie et d’une indépendance opérationnelle pour mener à bien ses missions.
Le service a pour mission de recueillir, analyser et exploiter tout renseignement propre à établir l’origine ou la destination des sommes ou la nature des opérations ayant fait l’objet d’une déclaration de soupçon ou d’une information reçue des professionnels déclarants, des organismes publics chargés d’une mission de service public, de l’autorité judiciaire, des juridictions financières, des autorités de contrôle et des cellules de renseignement étrangères.
Lorsque ses investigations mettent en évidence des faits susceptibles de relever du blanchiment, Tracfin saisit le procureur de la République par une note d’information, celui-ci est également informé lorsque les investigations conduisent à mettre en évidence un crime ou un délit.
Ces mêmes banques préfèrent recourir à la fermeture des comptes des ressortissants fiscalisés au Liban, par crainte qu’ils aient des liens avec le parti chiite le Hezbollah ou avec l’Iran.
D’ailleurs en 2016, « Tracfin » avait identifié entre 150 et 200 individus décrits comme étant des « banquiers » de l’Etat islamique - Daesh, se trouvant au Liban et en Turquie.
Alors pour s’épargner tout tracas, les établissements bancaires préfèrent recourir à la fermeture arbitraire des comptes des non-résidents, pour éviter de compter parmi leur clientèle des personnes pouvant recycler au profit du Hezbollah, l’argent en provenance de l’Iran.
L’affaire n’est pas récente, mais elle est devenue particulièrement pénalisante au regard de la situation financière et bancaire désastreuse au Liban.