LONDRES: Il y a un peu plus d'un an, Mira Majzoub a été contactée par le vidéaste Mansour Rachid. Il avait une idée. Il voulait réaliser un film d'elle dansant sur un morceau de musique particulier dans un certain endroit. Cet endroit serait l'ancienne fabrique de soie à Damour, au Liban. La musique serait «Ouverture II - Alf Leila Wa Leila» d'Ibrahim Maalouf.
«Nous discutions de savoir si ce serait de la chorégraphie ou de l’improvisation, et j'ai décidé de le faire comme une improvisation, parce que c'était un processus évolutif, donc je voulais que ce soit très authentique», explique Majzoub. «En fait, nous n'avons pas pris plus de deux ou trois prises, juste pour que ce soit authentique et pour que je décrive où j'étais à ce moment-là. Pour que ce soit sincère.»
Le résultat final était une transposition fascinante de l'identité culturelle complexe de la musique. Majzoub, qui s’est récemment inscrite à l'ACTS/Ecole de danse contemporaine de Paris, et qui est un membre relativement nouveau du Beirut Contemporary Ballet, a une fluidité intense tout en étant joyeuse dans ses mouvements. C'est peut-être pour cette raison que son interprétation a contribué à ouvrir une rare fenêtre sur le monde de la danse contemporaine - un monde autant incompris que sous-estimé.
Pour Majzoub, la danse contemporaine, axée sur l'improvisation et la flexibilité, lui a permis d’aller au plus profond d’elle-même, de dévoiler tout un sens, et de faire face à des conditions extrêmes. «Parfois, je passe plus d'une heure à répéter le même mouvement, ou à répéter le même concept encore et encore parce que je découvre plus de sentiments, je découvre comment mon corps se déplace d'une certaine manière, et ce processus n'est pas seulement du bonheur, ce n'est pas seulement de la joie, cela me fait en quelque sorte aller d'un endroit à un autre», dit-elle. «C'est comme faire un pas de plus, creuser à l'intérieur la façon dont mon corps et mon cerveau se connectent l’un à l’autre pour créer.»
La danse l'a également aidée à s'adapter à la tourmente qui a submergé le Liban. Le lendemain de l'explosion au port de Beyrouth l'année dernière, elle est allée dans sa chambre, a fermé la porte et a commencé à bouger ses bras de haut en bas d'une certaine manière. Il n'y avait pas de musique, juste ce mouvement articulé, et une forme irrégulière de respiration.
«J'ai réalisé quelque chose», dit-elle. «Que même dans les bons ou les mauvais moments, même après une explosion ou lors d'un mariage, je serais en mouvement. C'est la première chose vers laquelle j'irais. La première chose vers laquelle mon corps irait. Pour la première fois, mon esprit était serein lorsque je faisais cette petite chose dans ma chambre. La danse est un outil pour m'adapter, la danse est un outil pour que je sois mentalement stable, et je suis heureuse d'avoir appris à gérer cela. Comment utiliser cette chose que je possède.»
Il en va presque certainement de même pour l'artiste du mouvement, interprète et chorégraphe Sarah Brahim, dont le travail couvre des thèmes tels que la disparition, l'identité, la race et la migration. L'identité est importante, en grande partie à cause de ses propres antécédents complexes - une combinaison de cultures américaine et saoudienne.
«Dès mon plus jeune âge, j'ai toujours été confrontée à des questions d'incompréhension – ‘D'où venez-vous?’ étant la plus habituelle, puis les questions s'enchaînaient à partir de là», dit-elle. «Cela provient des deux cultures auxquelles j'appartiens. Tant de personnes ont des expériences et des histoires transculturelles. Donc, travailler sur ce sujet donne l'impression que je suis capable de créer un espace où ceux d'entre nous qui ont l'impression de ne pas avoir d’appartenance ou un endroit qui est «chez eux» peuvent exister et sont les bienvenus.»
Pour Brahim, donner vie à un projet commence par un sentiment d'urgence personnel – un sentiment ou une idée qui «engloutit mon esprit et mon corps.»
«Cela commence par un noyau, toujours quelque chose que j’estime être important, invisible, et devrait être amplifié», explique-t-elle. Certains projets, tels que «Roofless», ont été développés à partir de recherches en cours sur la relation entre le corps humain et l'architecture. D'autres, comme «Body Land/Back to Dust», ont nécessité neuf mois de mouvements, de recherche et d'écriture sur la façon dont son corps supportait la douleur et le chagrin. Ce dernier projet, réalisé lors d'une résidence à la Performance Works NorthWest, traite spécifiquement des mains, et il est devenu le germe de son travail actuel.
«J'utilise constamment l'improvisation structurée comme outil, car elle me permet de développer un matériel solide, mais aussi de me surprendre et de faire dans le même temps des expériences», confie Brahim, qui a étudié au San Francisco Conservatory of Dance et qui a été diplômée de la London Contemporary Dance School en 2016. «J'utilise cette approche avec les nombreux médiums avec lesquels je travaille, parce qu’il est important pour moi de capter un sentiment ou une expérience spécifique, et qu’ils soient ressentis par les autres. Être ouverte au médium qui fonctionne pour communiquer et être suffisamment ouverte pour écouter profondément d'où viennent les choses me permet de rester ancrée dans ce que je fais, quel que soit le sujet ou la présentation.»
Brahim, qui travaille actuellement sur de nombreux projets, dont une représentation et quelques expositions, souhaite associer son expérience à la performance artistique. Cela signifie créer des sculptures et des installations qui existent en elles-mêmes mais qui font également partie intégrante de l'expérimentation et de la performance artistique.
Les raisons pour lesquelles elle danse ont cependant été redéfinies depuis le début de la pandémie. Comme beaucoup d'autres, elle trouvait important de tout reconsidérer dans sa vie et de réévaluer ce qui était vraiment important. «L'art et le mouvement m'ont sauvée, ainsi que tant d'autres, tout au long de cette période difficile, et ce n'était pas seulement les entraînements ou les médias», dit-elle. «J'ai regardé les communautés qui font partie de ma vie et les belles façons dont elles se réunissaient et offraient du temps, des conversations, des cours gratuits, de l'espace, et j'ai réalisé à quel point les gens faisant partie de ma vie étaient incroyables, et qu’ils s'étaient tous épanouis en poursuivant une carrière dans un travail créatif.
«Pour moi, il s'agit des gens. Ce que nous faisons, c'est remettre en question et pousser nos expériences encore plus loin avec chaque projet, et je trouve cela fascinant. Il n'y a rien d'autre que je préfère faire. Lorsque je regarde une représentation magnifique, que j'entends ou que je vois quelque chose qui résonne en moi, cette sensation de lumière et d'interconnexion est irremplaçable.»
C'est également vrai pour Hamza Damra, qui a grandi à Balata dans la banlieue de Naplouse. A l'origine breakdancer, pour lui la danse était, et reste toujours, une façon de réagir aux sentiments générés par l'environnement dans lequel il a grandi. «La danse m'a appris la signification de ces sentiments», dit-il simplement.
L'année dernière, il a reçu un financement de l’Arab Fund for Arts and Culture -AFAC- (Fonds arabe pour les arts et la culture) pour «Me and I», un projet centré sur son expérience de vie entre la Palestine et la France. Le projet étant encore en préparation, Hamza Damra a choisi des mouvements colériques et tranchants pour représenter le temps passé en France (contrairement à la paix et la liberté qu'il y éprouve), et des mouvements plus fluides pour la Palestine, «malgré la situation difficile, les émotions instables, les incertitudes.»
«J'ai créé un langage du mouvement qui a été extrait de mes propres circonstances», explique-t-il. «Des circonstances que j’ai vécues et que je traverse encore.»
Malgré sa vitalité et son à-propos — et les innombrables bienfaits qu'en retirent ses interprètes — la danse contemporaine reste incomprise dans la région, parfois profondément. L'AFAC et la Sharjah Art Foundation, ainsi que d’autres fondations peuvent soutenir des représentations, mais celles-ci sont souvent considérées comme inaccessibles ou même réservées à l’élite. Il est peu probable que cette perception change sans que l'accent soit davantage mis sur sa valeur culturelle.
«Je pense que la performance artistique contemporaine dans son ensemble peut être sous-estimée partout dans le monde», affirme Brahim. «Donc moins engagée, documentée et médiatisée. La performance artistique est assez difficile à commercialiser ou (monétiser) par rapport à d'autres domaines créatifs, et c'est exactement ce qui la rend spéciale, vivante, temporelle, mais c’est aussi probablement pourquoi elle suscite moins d'intérêt. Mon travail a spécifiquement trouvé refuge dans des secteurs comme la musique, le design, le cinéma et l'art contemporain. À l'avenir, j'espère qu'il y aura de la place pour que toutes les formes d'expression soient moins rigides dans leur définition et plus intégrées dans leur forme.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com