FRANCFORT : Des milliards injectés pour soutenir les entreprises et sauver des emplois : l'Allemagne d'Angela Merkel a dû faire sauter tous ses verrous budgétaires durant la crise du Covid-19, faisant d'un retour à la discipline l'un des débats explosifs de la campagne électorale.
Dans la dernière ligne droite avant les élections du 26 septembre, la question de l'endettement public est l'un des angles d'attaque favoris des conservateurs CDU/CSU, menacés d'une défaite historique face aux sociaux-démocrates (SPD).
Le candidat du centre-gauche, Olaf Scholz, s'annonce comme "le chancelier de la dette", accuse le ténor de la CSU bavaroise Markus Söder quand Friedrich Merz, chargé des questions économiques, compare le programme du SPD à des promesses de "bière gratuite" dont l'addition sera payée par les contribuables.
Quelque soit le vainqueur des législatives, le futur gouvernement sera placé devant un "choix difficile", prévient Patrick Artus, chef économiste chez Natixis : "changer les règles budgétaires" qui ne sont plus compatibles avec la réalité, ou "réduire fortement le déficit public".
Car l'Allemagne, où l'équilibre budgétaire a valeur constitutionnelle, a connu une révolution inimaginable avant le choc de la pandémie : un plan d'aide économique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, de plus de mille milliards d'euros, a été mis sur pied pour limiter l'impact de la récession.
En deux ans de crise sanitaire, le pays a contracté 370 milliards d'euros de nouvelles dettes, dont 240 en 2021, et l'endettement public est passé de 59,7% du PIB à près de 75% attendu cette année.
Dépenses « colossales » à financer
Alors qu'une partie des Européens a régulièrement réclamé aux Allemands, ces dernières années, un peu moins de rigidité budgétaire, le Covid a contraint Berlin à déroger au frein à l'endettement ("Schuldenbremse"), une règle inscrite dans la Constitution depuis 2009.
Elle interdit en temps normal au gouvernement d'emprunter plus de 0,35% de son PIB... sauf lors de "circonstances exceptionnelles" validées par le Parlement.
Au premier semestre 2021, le déficit public a dépassé les 80 milliards d'euro – soit 4,7% du PIB, là aussi loin du "Schwarze Null", l'objectif du "zero déficit" scrupuleusement respecté de 2014 et 2019.
Simple parenthèse ou changement de cap durable de la première économie européenne ?
La pression était déjà forte, avant la pandémie, pour que l'Allemagne délie les cordons de la bourse et comble son sous-investissement chronique en matière d'infrastructures.
Avec le retour de la croissance, l'UE risque de se diviser de nouveau entre partisans d'un assouplissement des règles et défenseurs d'un retour rapide à l'orthodoxie.
Mais l'urgence de financer le défi climatique et le virage numérique ne plaident pas pour un retour rapide à l'austérité.
Pour ces deux priorités, l'Allemagne va devoir "dépenser des sommes colossales dans les prochaines années", a récemment reconnu Angela Merkel.
Quelque "40 à 50 milliards d'investissements publics par an, soit 1 à 1,5% du PIB, seront nécessaires au cours des 10 prochaines années", abonde Marcel Fraztscher, président de l'institut de conjoncture berlinois DIW.
Pour résoudre l'équation budgétaire, "il faudrait revoir fondamentalement le frein à l'endettement (et aller) vers une règle nationale conforme à la norme européenne" qui tolère un déficit de 3% du PIB, affirme à l'AFP M. Fratzscher.
Quelle majorité ?
Le hic : ce changement devrait être approuvé par une majorité des deux-tiers au Parlement, ce qui semble "mission impossible lors de la prochaine législature", ajoute l'expert.
"Les partis au pouvoir devront trouver d'autres moyens pour contourner le frein à l'endettement", analyse-t-il.
Les équilibres au sein de la future coalition, qui pourrait compter trois forces politiques, seront déterminants.
Comme par le passé, la CDU-CSU continue de se présenter comme la garante de l'orthodoxie budgétaire.
Mais "il sera impossible de revenir au frein à l'endettement sans hausses massives d'impôts", rétorque M. Fratzscher - ce que les conservateurs ont exclu.
Les Verts, bien placés pour entrer dans un futur gouvernement, veulent supprimer le frein à l'endettement pour permettre une forte hausse des dépenses publiques et financer 50 milliards d'euros d'investissements par an jusqu'en 2030.
Olaf Scholz, ministre des Finances depuis 2018, est également ouvert à une augmentation des dépenses publiques, mais dans les limites permises par le cadre constitutionnel.