MOSCOU: Sur un boulevard arboré de Moscou, les passants ne prêtent aucune attention aux représentants du parti au pouvoir Russie Unie, chasubles sur les épaules, tractant sans enthousiasme en vue des législatives des 17 au 19 septembre.
Fondé en 2001 pour épauler Vladimir Poutine, arrivé aux commandes un peu plus tôt, la formation est aujourd'hui, avec moins de 30% d'opinion favorable, très loin de la popularité de son maître à penser.
Mais tout porte à croire que Russie unie va largement remporter les élections cette semaine.
Le scrutin "vise à bâtir une majorité parlementaire à partir d'une minorité électorale", résume la politologue Ekaterina Schulman. Pour y parvenir, "l'électorat d'opposition ne doit pas se rendre" aux urnes.
Rien n'a été laissé au hasard. L'opposition anti-Kremlin a été bannie du vote, le mouvement de l'opposant incarcéré Alexeï Navalny ayant été interdit pour "extrémisme", tout comme l'ensemble de ses sites internet.
"Ces élections sont une fiction. Le culot et l'absence de scrupule dont ont fait preuve les autorités pour régler ses comptes avec l'opposition est choquante", s'emporte dès lors auprès de l'AFP Anton Kossitsine, une électeur moscovite de 26 ans.
Une réalité persiste cependant, et le Kremlin en est bien conscient: "Tout ce qu'il y a d'impopulaire (dans le pays) est associé à Russie Unie", note l'analyste indépendant Valéri Soloveï.
Corruption et bureaucrates
Parmi les sujets inquiétant les Russes et affectant directement le parti du Kremlin: la corruption des élites ainsi que la chute des revenus réels de la population qui s'est aggravée avec la pandémie de coronavirus.
Alexeï Navalny, la bête noire du Kremlin, a justement gagné son audience en mettant le doigt sur ces sujets et cette inégalité des trains de vie. C'est ainsi qu'il a surnommé Russie Unie, non sans un certain succès, "le parti des escrocs et des voleurs".
Mme Schulman relève en outre que la formation du Kremlin est avant tout considéré comme l'écurie "des bureaucrates et des fonctionnaires".
Face à ces écueils, Vladimir Poutine a lancé dans la bataille électorale ses ministres les plus populaires, celui de la Défense Sergueï Choïgou et le chef de diplomatie, Sergueï Lavrov.
Afin de rajeunir son image, le parti a aussi recruté des personnalités nouvelles, issues de milieux associatifs, de la télévision ou du sport.
Le président russe a par exemple commandé au docteur Denis Protsenko d'être candidat aux législatives, après son refus initial.
Ce médecin, à la réputation d'homme intègre, a été le visage de la lutte contre la pandémie de Covid-19, et doit désormais porter la promesse de modernisation d'un système de santé mis à mal par les coupes budgétaires des vingt dernières années.
Autre manoeuvre de Vladimir Poutine, l'annonce à moins d'un mois des élections d'une aide financière de 10 000 roubles (116 euros environ) aux retraités.
«Moindre mal»
Cette catégorie cruciale de l'électorat représente quelque 42 millions de personnes, or une reforme impopulaire des retraites contribue depuis 2018 à miner la popularité de Russie Unie.
Selon Tatiana Stanovaïa, du centre d'analyse R.Politik, ces versements sont efficaces, d'autant que de nombreux Russes, notamment les plus âgés, considèrent le parti au pouvoir "comme un moindre mal".
"Il y a une absence de choix (aux élections) associée à une grande peur d'une déstabilisation du pays", dit-elle.
Une frange toujours importante de la population craint le retour au chaos ayant suivi la chute de l'URSS il y a 30 ans et considère Poutine et les siens comme un rempart.
"Nous, on se souvient des années 1990, la jeunesse qui est d'humeur à protester elle ne les a pas vécues (...) elle n'a pas de point de comparaison", relève Nina Ianova, retraitée moscovite de 67 ans.
Enfin, les autorités sont suspectées aussi de préparer des fraudes là où c'est nécessaire, la présence d'observateurs électoraux indépendants, locaux et internationaux, étant limitée.
"Le format de ces élections crée un terreau favorable aux falsifications", résume Mme Stanovaïa.