PARIS: Le 14 novembre 2015, la France se réveille assommée par une nuit de terreur qui a fauché 130 vies. Le claquement des kalachnikovs des djihadistes s'est tu mais une partie du commando court toujours.
Les enquêteurs ont engagé une course contre la montre. "Cinq jours très intenses", se souvient François Molins, procureur de Paris au moment des attentats.
Lors de leur expédition meurtrière, les djihadistes ont laissé des traces disséminées comme autant de pièces d'un puzzle qu'il faut rassembler. Les propos tenus par les deux preneurs d'otages du Bataclan aux policiers orientent tout de suite les enquêteurs sur la piste du groupe Etat islamique (EI).
La traque commence par les téléphones et les voitures des assaillants.
A 21h01 vendredi, un membre du commando du Stade de France, Bilal Hadfi, est identifié par la vidéosurveillance "avec un téléphone portable à l'oreille", explique François Molins. Sur ce créneau d'un quart d'heure, tous les appels qui ont borné sont identifiés. Environ 15 000 communications, au bas mot.
L'enquête montrera que Bilal Hadfi échangeait avec le chef du commando, Abdelhamid Abaaoud.
Autre indice, la Polo retrouvée devant la salle de concert. Elle a été louée en Belgique le 9 novembre par un certain Salah Abdeslam.
Le parquet l'apprend le samedi 14 en début d'après-midi: ce Franco-Marocain de 26 ans a été contrôlé le matin même par les gendarmes près de Cambrai, en route pour la Belgique. Connu des services belges, il n'était pourtant pas visé par un mandat d'arrêt international et a pu poursuivre son chemin.
Deux dans la nature
La Seat utilisée par les tireurs des terrasses est, elle, retrouvée à Montreuil. Louée par le frère de Salah Abdeslam, Brahim, en Belgique, elle contient trois fusils d'assaut, 17 chargeurs pour la plupart vides et des couteaux.
Empreintes et prélèvements révèlent que ses derniers occupants étaient Brahim Abdeslam, qui s'est fait exploser au Comptoir Voltaire, Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh.
"On sait rapidement qu'il reste deux survivants du commando des terrasses dans la nature", résume François Molins.
Très vite, le profil des assaillants se précise. Ils étaient dix: trois au Stade de France, trois au sein du commando des terrasses et trois au Bataclan. Plus Salah Abdeslam.
Ce dernier a déposé le commando du Stade de France, avant d'abandonner sa Clio dans le XVIIIe arrondissement et son gilet explosif défectueux à Montrouge, au sud de Paris. Pourquoi ? C'est un mystère que ni l'enquête, ni l'intéressé, muet, n'ont éclairci.
Sept jihadistes sont morts pendant l'opération. Leur identification est difficile, les corps de ceux qui se sont fait exploser sont déchiquetés.
La revendication de "Daesh" (EI) tombe le samedi matin. Dans un enregistrement audio, Fabien Clain, une figure du jihad français, justifie depuis la Syrie les attentats, son frère Jean-Michel entonnant des chants religieux en fond sonore.
"La France et ceux qui suivent sa voie doivent savoir qu'ils restent les principales cibles de l'Etat Islamique (...) Cette attaque n'est que le début de la tempête et un avertissement", menace le Toulousain.
L'assaut
La France annonce sa riposte le lundi 16. Devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le président François Hollande s'exprime sans détour: "la France est en guerre", dit-il, mais "l'ennemi (…) n'est pas hors d'atteinte". Le fief de l'EI, Raqqa, est bombardé.
Une heure avant ce discours, l'enquête a pris un tournant majeur.
Peu avant 15h00, un appel anonyme livre aux policiers la localisation d'Abdelhamid Abaaoud. Bob crème, chaussures orange, bombers kaki, le cerveau présumé des attentats et tireur des terrasses se cache dans un buisson à Aubervilliers, le long de l'autoroute A86.
"C'est trop beau pour être vrai", pense alors François Molins. La surveillance de l'endroit confirme l'information.
Les enquêteurs établissent qu'Abdelhamid Abaaoud a contacté sa cousine Hasna Aït Boulahcen pour trouver un appartement.
Au centre-ville de Saint-Denis, la planque appartient à un petit délinquant, Jawad Bendaoud. Le mardi 17 au soir, les enquêteurs y "logent" (localisent) au troisième étage Abdelhamid Abaaoud, le troisième tireur des terrasses Chakib Akrouh et Hasna Aït Boulahcen.
Le Raid donne l'assaut à 04h20. Le plan: faire exploser la porte de l'appartement puis "neutraliser" les suspects.
Mais "le dispositif mis en place ne fonctionne pas", se souvient Jean-Michel Fauvergue, alors patron de l'unité d'élite de la police. "Un explosif placé sur la porte n'explose pas et n'ouvre pas cette porte".
1 200 munitions
L'effet de surprise s'envole. "Nous étions dans un couloir étroit, donc si les mecs se collaient à la paroi, on pétait ensemble. C'est ça, la réalité de Saint-Denis", raconte M. Fauvergue, devenu député LREM.
L'assaut est d'une rare violence. Les policiers tirent 1 200 munitions et 50 grenades offensives. Les locataires de l'appartement ripostent avec un pistolet semi-automatique et trois grenades.
"Laissez-moi sortir s'il vous plaît", supplie Hasna Aït Boulahcen.
Chakib Akrouh déclenche sa ceinture d'explosifs, tuant au passage Abdelhamid Abaaoud. Aït Boulahcen meurt asphyxiée.
Les policiers d'élite mettent fin à l'assaut. Il est 11h20.
"C'était la guerre", décrit Zaklina Kojic, qui habitait en face de l'appartement visé par le Raid. "On ne voyait rien mais on entendait tout: des balles, des balles". Avec son mari, son fils de 5 ans et sa belle-mère qui les a rejoints dans la chambre à quatre pattes, ils restent allongés sur le sol pendant tout l'assaut.
Elle et sa famille sont enfin évacuées. "Il y avait des balles partout, on ne voyait plus l'escalier".
Cinq policiers sont blessés, cinq habitants placés en garde à vue et le quartier est traumatisé.
La fin de l'assaut offre une brève respiration aux autorités. "Une étape a été franchie", se dit alors le ministre de l'Intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve, mais "le travail est loin d'être terminé". "Je n'ai pas le sentiment du devoir accompli ou du travail effectué mais le sentiment d'une course contre la montre qui se poursuit".
Salah Abdeslam, unique membre encore en vie des commandos du 13-Novembre est en fuite. Finalement arrêté en mars 2016 en Belgique, il est le seul assaillant à comparaître devant la cour d'assises spéciale à partir du 8 septembre.