SAINT-DENIS: C'est un soir de gala à Saint-Denis. Près de 70 000 supporteurs réunis pour un grand classique de football, France-Allemagne. Jusqu'à ce qu'une détonation secoue le Stade de France, coup d'envoi des attentats les plus meurtriers jamais commis en France.
En trois quarts d'heure, trois kamikazes font successivement exploser leur ceinture d'explosifs autour du stade, à dix kilomètres au nord de Paris. Ces premières attaques-suicides jamais perpétrées sur le sol français font un mort et 63 blessés.
Il est 21h00 passées ce vendredi 13 novembre 2015. Le match a commencé depuis quelques minutes et la brasserie L'Events, située en face de la porte D du stade, s'est vidée de ses clients partis dans les tribunes.
Une serveuse, Sarah Z., 21 ans, est sortie prendre les commande des salariés installés en terrasse pour dîner.
"J'ai vu le kamikaze, il était bizarre mais sans plus. Ce n'était pas comme dans les films, il n'avait pas une ceinture apparente et un truc à la main sur lequel il a appuyé", se souvient-elle.
Quant elle entend l'explosion, Sarah "ne comprend rien". "J'ai cru que c'était une bouteille de gaz. J'ai vu un morceau de bras, j'ai pensé que c'était le mien, qu'il avait été arraché".
Au milieu de "la fumée et des cris", elle court vers le stade où un policier la prend en charge. Elle est grièvement blessée: 18 impacts de boulons au niveau du visage et des jambes notamment.
Le client auquel elle venait de servir un café a, lui, été tué sur le coup par la déflagration et les projections d'écrous et de boulons. Manuel Dias, un chauffeur portugais de 63 ans, dont 45 passés en France, venait de déposer au stade des supporteurs venus de Reims.
«Comme une pâte à modeler»
Un passeport syrien sera retrouvé près du corps déchiqueté du kamikaze. Le document, volé, correspond à un soldat de l'armée du président Bachar al-Assad, mort depuis des mois. L'assaillant, qui s'est fondu parmi les réfugiés fuyant la guerre civile, a été contrôlé quelques semaines plus tôt sur l'île grecque de Leros.
A l'intérieur du Stade, le président François Hollande pense avoir entendu "un pétard". La rencontre continue.
Ce soir-là, Mohammed A. avait accepté de travailler comme vigile pour "dépanner un ami". "Je devais vérifier les billets porte H". "A un moment, je vois un jeune homme que j'avais refusé car il n'avait pas de billet. Il me regarde et quand je me retourne, ça explose. Mon flanc gauche est comme matraqué".
Son corps est criblé de boulons "numéro 10", précise-t-il. Ses vêtements et ses chaussures sont maculés "d'un mélange de tissu et de chair brûlée, comme de la pâte à modeler". Sa tête est recouverte d'un sang qui n'est pas le sien. Il est 21h20.
Près du corps de l'assaillant, qui porte un jogging rouge à l'effigie du Bayern Munich, un passeport syrien, lui aussi volé. Comme l'homme qui s'est fait exploser devant L'Events, le deuxième kamikaze a été contrôlé sur l'île grecque de Leros.
Quand il entend la deuxième détonation depuis sa tribune, François Hollande "n'a plus de doute". Un attentat est en cours.
"Ma préoccupation à ce moment-là, c'est que les spectateurs ne soient pas pris par un mouvement de panique", se remémore-t-il, "j'avais le souvenir d'un certain nombre de matches qui avaient dégénéré avec des dizaines de victimes".
Décision est donc prise de ne pas interrompre le match, ni d'évacuer le Stade de France.
Troisième explosion
Les joueurs français et allemands ont regagné leurs vestiaires pour la mi-temps lorsqu'un troisième homme qui errait étrangement autour du stade actionne sa ceinture explosive près d'une enseigne McDonald's d'une rue voisine. Il est 21h53.
Il est le seul à être tué par la déflagration, mais les secours recensent plus de 50 blessés autour de lui, dont sept en urgence absolue.
"L'explosion a certainement été la plus violente des trois: un des bras du kamikaze a été retrouvé à plusieurs dizaines de mètres", raconte un policier.
L'enquête établira que les trois hommes ont été déposés à proximité du Stade de France au moment du coup d'envoi du match, peut-être en retard sur l'horaire prévu, par une voiture conduite par Salah Abdeslam. Seul membre encore en vie des commandos, il sera jugé à partir du 8 septembre.
En arrivant une demi-heure plus tôt, les trois kamikazes auraient pu faire un carnage. "Seule certitude: ils n'avaient pas de billets", affirme un officier de police judiciaire ayant réalisé les constatations.
En épluchant leurs relevés téléphoniques, les enquêteurs apprendront qu'aussitôt après la deuxième explosion, le dernier des trois kamikazes, Bilal Hadfi, un Français de 20 ans résidant en Belgique, a échangé trente secondes avec le coordinateur des attentats, Abdelhamid Abaaoud.
Juste après, les premières rafales de kalachnikovs sont signalées sur les terrasses parisiennes.