PARIS : La France, sur le point de franchir le seuil des 50 millions de primo-vaccinés, figure dans le peloton de tête européen et mondial de la vaccination contre le Covid-19. Une performance inimaginable huit mois plus tôt, au démarrage d'une campagne aussi inédite que mouvementée.
Rien ne s'est passé comme prévu. Le vaccin Pfizer/BioNTech était au pied du sapin, grâce au feu vert de l'Union européenne obtenu le 21 décembre, et ne restait qu'à décliner le plan en cinq "phases" savamment élaboré par les autorités sanitaires. Mais en pleine trêve des confiseurs, les réjouissances ont vite pris un goût amer.
Retard à l'allumage
"Prête pour l'épreuve", Mauricette, 78 ans, reçoit devant les caméras la première injection officielle le 27 décembre dans un Ehpad de Sevran, en Seine-Saint-Denis. La priorité aux plus "vulnérables", dans le département le plus pauvre de l'Hexagone: toutes les cases sont cochées.
Mais l'intendance ne suit pas: trois jours plus tard, le pays ne dénombre que 138 personnes vaccinées, contre plus de 8.000 en Italie et près de 80.000 en Allemagne, qui ont pourtant démarré en même temps. Partis un peu plus tôt, Israël et le Royaume-Uni dépassent les 600.000, les Etats-Unis le million.
Un retard à l'allumage lourd de conséquences. Les critiques fusent, le gouvernement consent à avancer la vaccination des soignants de plus de 50 ans. Trop peu, trop tard. La polémique enfle, les oppositions se déchaînent, Emmanuel Macron exige d'"accélérer" et mi-janvier, la campagne est élargie à tous les plus de 75 ans.
L'impatience des aînés est à son comble. Dès l'ouverture des réservations, c'est la ruée: le premier jour, ils sont plus de 500.000 à prendre rendez-vous pour leurs deux doses. Les centres de vaccination poussent comme des champignons. Mais Pfizer est à la traîne sur ses
Espoir déchu
L'exécutif mise alors gros sur le vaccin AstraZeneca, approuvé début février pour les moins de 65 ans. Olivier Véran paye de sa personne pour donner l'exemple et battre le rappel: "à partir de maintenant, il va falloir que ça dépote", lance le ministre de la Santé.
Mais les débuts sont une nouvelle fois poussifs, car les soignants - toujours prioritaires - et les malades "à risque" boudent ce sérum aux effets secondaires plus fréquents.
Les médecins libéraux ne se précipitent pas non plus pour commander les flacons qui leur sont réservés. Un mal pour un bien, car le laboratoire britannique livre lui aussi moins de doses que promis.
Afin d'écluser les stocks, l'âge limite pour l'AstraZeneca est relevé à 75 ans début mars et les pharmacies s'apprêtent à l'injecter à tour de bras.
Et soudain, tout s'arrête. Quelques caillots sanguins suspects jettent le doute dans toute l'Europe. Un à un, les voisins de la France suspendent l'utilisation du vaccin incriminé. Emmanuel Macron suit le mouvement, en même temps que l'Allemagne et l'Italie.
Quatre jours plus tard, l'interdit est levé mais l'élan est brisé. La volte-face des autorités, qui destinent désormais l'AstraZeneca aux plus de 55 ans, n'arrange rien à l'affaire. Les livraisons erratiques aux médecins et pharmaciens achèvent de plomber ce remède déchu.
Ouvrir les vannes
Le gouvernement a de toute façon encore changé son fusil d'épaule. Tant pis pour la proximité, l'heure est aux "vaccinodromes" géants pour atteindre les objectifs fixés: 10 millions de premières injections mi-avril, 20 millions mi-mai, 30 millions avant l'été.
Réduit à imposer un troisième confinement fin mars, le chef de l'Etat annonce un élargissement par étapes de la vaccination, sur le même calendrier, aux plus de 60, puis 50 ans et enfin à l'ensemble des adultes.
Cette fois-ci, Pfizer est au rendez-vous. Les doses coulent à flots, la campagne décolle enfin: le cap des 2 millions d'injections hebdomadaires est passé début avril, celui des 3 millions début mai.
L'agenda est à nouveau bousculé, pour ouvrir les vannes à tous les malades chroniques de plus de 18 ans, puis à tous ceux qui parviennent à dégoter une dose "la veille pour le lendemain". Enfin, le 31 mai, la vaccination est ouverte à tous les majeurs, sans restriction.
Le mois de juin passe sur un nuage, avec plus de 4 millions de piqûres chaque semaine. La cible des 30 millions est atteinte avec quelques jours d'avance et les ados de 12 à 17 ans sont à leur tour autorisés à se faire vacciner.
L'épidémie reflue, les vacances approchent et le gouvernement entrevoit un été en pente douce, juste assez pour viser le seuil des 40 millions fin août.
L'arme du pass
C'était sans compter sur le variant Delta, qui se répand sans laisser de répit. Pendant ce temps, la vaccination pique dangereusement du nez: le rythme des premières injections fond de moitié en juin, les prises de rendez-vous suivent la même pente.
L'exécutif durcit le ton, surtout avec les soignants récalcitrants, pour qui l'obligation vaccinale apparaît inéluctable.
Un choix confirmé le 12 juillet par Emmanuel Macron, qui dégaine par la même occasion une arme de vaccination massive: le pass sanitaire, qu'il faudra bientôt présenter au cinéma, au restaurant ou dans le TGV, entre autres.
L'effet est immédiat, plus d'un million de personnes réservent leurs doses le soir même, davantage encore le lendemain. Dopée par la contrainte, la campagne enregistre un pic à près de 5 millions d'injections la semaine suivante.
Mais le regain est de courte durée et la cadence retombe à un plancher hebdomadaire de 3 millions dans la torpeur aoûtienne. Probablement suffisant pour atteindre la barre des 50 millions de primo-vaccinés avant la mi-septembre, mais après ?
Il reste de larges trous dans la raquette parmi les publics vulnérables, en particulier chez les plus de 80 ans et les malades chroniques. Les priorités de la rentrée sont pourtant à l'opposé: vaccination dans les collèges et lycées, troisième dose pour les plus de 65 ans. Le film est loin d'être terminé.
50 millions de vaccinés, et après ?
La France s'apprête à passer le cap des 50 millions de primo-vaccinés contre le Covid-19, mais des lacunes restent à combler parmi les publics "vulnérables", alors que le gouvernement met l'accent sur les ados et la 3e dose.
Trous dans la raquette
Une dose, c'est bien, deux c'est mieux. Si le nombre de premières injections est devenu l'indicateur clé de la campagne vaccinale, celui des "schémas complets" a au moins autant d'importance.
Il reste ainsi plus de 4 millions de personnes qui doivent encore recevoir une deuxième dose pour bénéficier d'une protection maximale contre les formes graves du Covid.
Au-delà de ce public acquis à la cause, un peu moins de 10 millions n'ont pas franchi le pas, dont 720.000 chez les plus de 75 ans, pourtant éligibles à la vaccination depuis le 18 janvier.
Environ 15% des malades chroniques (cancer, diabète, obésité, hypertension) sont dans le même cas, selon le dernier décompte de l'Assurance maladie arrêté au 22 août.
Au total, "2 millions de Français âgés et malades" sont "la priorité des priorités", a affirmé Olivier Véran la semaine dernière.
Le ministre de la Santé mise notamment sur un nouveau "système de convocation", via un courrier leur proposant "un lieu et une date pour venir se faire vacciner", avec un bon de transport, sans obligation de s'y rendre.
Confronté aux limites des dispositifs d'"aller vers" (vaccination à domicile, barnums éphémères, appels par la Sécu), il compte aussi sur la "mobilisation" des médecins libéraux et des maires pour atteindre ceux qui sont passés entre les mailles du filet.
Gros réservoirs
Après un début d'été en fanfare, la campagne de vaccination est retombée à un plancher de 3 millions d'injections hebdomadaires. Le ministère de la Santé espère depuis plusieurs semaines "un rebond à l'approche de la rentrée" et lorgne surtout vers les jeunes.
Car c'est dans cette population que subsistent "les plus gros réservoirs de personnes à vacciner": 2,5 millions chez les 18-34 ans et 2 millions chez les 12-17 ans.
Les ados sont particulièrement ciblés, dans ou aux abords des collèges et lycées. Le gouvernement prévoit d'envoyer des "équipes mobiles" dans certains établissements et de transporter des groupes d'élèves volontaires vers les centres de vaccination.
En parallèle, une "campagne de rappel" vient de débuter, qui concerne potentiellement 18 millions de personnes de plus de 65 ans ou "à très haut risque de forme grave". Cette troisième dose pourra leur être administrée six mois après la deuxième.
Compte tenu des stocks et des livraisons attendues, plus de 12 millions de rappels seront possibles d'ici la fin de l'année, selon le ministère de la Santé. De quoi maintenir la cadence plusieurs mois.