PARIS: À huit mois de l’élection présidentielle, la rentrée politique du président français, Emmanuel Macron, apparaît agitée. Elle sera marquée par une contestation de la stratégie sanitaire de l’exécutif qui s’annonce particulièrement «musclée» avec l’arrivée de la quatrième vague de Covid-19.
Au-delà de cette polémique sur la politique sanitaire, l’incapacité du président Macron à faire passer les réformes qu’il avait promises réduit sa marge de manœuvre et a pour effet de radicaliser une partie des contestataires dans le contexte d’un paysage politique éclaté.
Au début de l’été, malgré la défaite de son parti (La République en marche, ou LREM) aux élections régionales au mois de juin dernier, Emmanuel Macron avait pourtant créé la surprise: sa cote de popularité a grimpé.
Khattar Abou Diab
En de telles circonstances, la campagne électorale pourrait se caractériser par l’absence des thématiques classiques, la gestion de la crise et la méthode de la gouvernance s’invitant aux premières loges.
Au début de l’été, malgré la défaite de son parti (La République en marche, ou LREM) aux élections régionales au mois de juin dernier, Emmanuel Macron avait pourtant créé la surprise: sa cote de popularité a grimpé, malgré une période critique de l’épidémie. En effet, la réouverture du pays et le calendrier vaccinal ont permis de redorer le blason du président français.
Abstention massive
S’appuyant sur les réactions de l’opinion publique pendant cette époque pré-électorale, François Miquet-Marty, responsable de l'institut de sondages Viavoice, affirme que l’abstention massive constatée lors des élections régionales trouve ses racines dans une certaine apathie des Français qui remonterait au début de l’année 2000. L'épidémie de coronavirus que connaît le pays – comme le monde entier – depuis vingt mois ne saurait donc être utilisée par le gouvernement comme un argument pour expliquer les réticences des électeurs.
Pour les observateurs de la vie politique, c’est ailleurs qu’il convient de chercher la cause de cette réticence: dans le fait que peu d'offres politiques répondent aux aspirations des Français, bien que ces derniers soient toujours politisés. L’entourage de Macron minimise l’impact de cette désertion des urnes, estimant qu’elle s’est manifestée à l’occasion d’une échéance locale. Il mise sur le regain d’intérêt des Français devant un scrutin national – l’élection présidentielle. Nul doute que l'identité de candidats pèsera dans leurs choix.
Toutefois, les signes avant-coureurs d’une nouvelle vague d’épidémie causée par le variant Delta ont obligé le président français à intervenir au beau milieu de ses vacances d’été afin d’annoncer des mesures drastiques destinées à contenir la propagation du virus. Il n’en fallait pas davantage pour que le plan de vaccination et le passe sanitaire deviennent aussitôt l’objet d’un bras de fer entre le gouvernement et une minorité contestataire.
220 manifestations
Le samedi 21 août à l’approche de la rentrée et pour le sixième week-end consécutif, les opposants au passe sanitaire et à la vaccination ont tenté d’accroître la pression sur le gouvernement. Un peu partout dans le pays, 220 manifestations ont rassemblé 175 000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur.
On reproche au locataire de l’Élysée de cultiver la verticalité dans sa pratique du pouvoir et dans son rapport aux Français
Khattar Abou Diab
Malgré une baisse sensible du nombre de manifestants, la contestation a maintenu une certaine ampleur, portant haut certaines revendications, comme à Marseille, où les manifestants se sont réunis devant l’institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses dirigé par Didier Raoult. Ils ont en effet appris que ce fameux microbiologiste, considéré comme le héraut de l’antisystème médical et politique par ceux qui tiennent un discours complotiste à propos de la Covid-19, ne serait pas reconduit à la tête de l’institut.
Dans la cité phocéenne, les manifestants ont entonné La Marseillaise. Entre les drapeaux français, tout le long du cortège, des militants du parti d’extrême droit Les Patriotes (présidé par Florian Phillipot) portent des panneaux où l’on peut lire: «Touche pas à Raoult». Cet exemple illustre à la fois la politisation de la manifestation et le fait qu’Emmanuel Macron et le gouvernement français se trouvent plus que jamais dans le collimateur des contestataires.
Signes encourageants
Les dernières statistiques montrent que, le 23 août, la couverture vaccinale a dépassé 71% en France. Elles confirment le grand succès du plan de l’exécutif. En outre, en dépit des manifestations, les Français semblent plébisciter le passe sanitaire: selon un sondage Elabe relatif à l’épidémie de Covid-19 réalisé sur les Français, il serait approuvé par 64% à 77% d’entre eux selon les lieux. Ces chiffres sont en hausse depuis le mois de juillet. Malgré ces signes encourageants pour l’exécutif, le président se positionne seul face à la rue. Au fil du temps, cette politique qui se caractérise par une présence sur le devant de la scène «par le haut» pourrait se révéler dangereuse.
De fait, on reproche au locataire de l’Élysée de cultiver la verticalité dans sa pratique du pouvoir et dans son rapport aux Français. Selon ses détracteurs, c’est Emmanuel Macron qui a lui-même instauré ce face-à-face avec le peuple qui s’exprime notamment lors des manifestations.
Emmanuel Macron voit donc sa politique sanitaire contestée dans la rue. Bien que le Conseil constitutionnel ait validé dans les grandes lignes le passe sanitaire, les «antivax» et les «antipasse» ne désarment pas et signent même, en plein été, une performance.
Dans les faits, Emmanuel Macron se trouve souvent surexposé. Il aurait pu apprécier la mise en scène des confrontations avec les contestataires, comme celle qui a eu lieu récemment avec les «antipasse». C’est aussi un moyen pour lui de s’affirmer comme l’homme de la raison et du progrès devant des forces «obscurantistes.
Khattar Abou Diab
Les contestations contre le pouvoir ne constituent pas une nouveauté dans l’histoire de la Cinquième République. En effet, chaque président a connu son lot de cortèges. Toutefois, ceux qui défilent depuis le début du présent quinquennat sont inédits: ils ont commencé avec le phénomène des «Gilets jaunes» chaque samedi et se sont poursuivis avec la mobilisation contre le passe sanitaire, toujours chaque samedi, et pendant la saison estivale.
De surcroît, ces cortèges contre la politique présidentielle et contre le président apparaissent singuliers dans la mesure où ils se sont développés de manière spontanée, sans chef – avant que des leaders des extrêmes ne les rejoignent. Par ailleurs, ils s’inscrivent dans le temps: le mouvement contre les retraites s’est ainsi déroulé sur une plus longue période que les manifestations de 1995.
Peu de concurrents
Cette situation ne semble pas perturber outre mesure un président que l’on a surnommé «Jupiter». Il est vrai que l’on voit peu de concurrents issus de l’establishment susceptibles de le menacer sérieusement lors de la prochaine échéance présidentielle. Toutefois, cette idée n’est pas partagée Jérôme Fourquet, directeur du département «opinion et stratégies d’entreprise» de l’Ifop (Institut français d’opinion publique, NDLR): «Macron n’est pas le premier président impopulaire; pourtant, pour la première fois peut-être, cette impopularité ne se matérialise pas seulement dans les sondages, mais aussi dans la rue, de manière récurrente», observe le politologue.
Malgré le poids de l’épidémie, on perçoit également un phénomène rare: le pays connaît un état de tension permanente depuis la prise de fonction de Macron, en 2017.
Cet état des lieux n’est pas le fruit du hasard. Il pourrait résulter de l’image du président que se fait une partie de l’opinion publique qui fustige sa posture bonapartiste. Dans les faits, Emmanuel Macron se trouve souvent surexposé. Il aurait pu apprécier la mise en scène des confrontations avec les contestataires, comme celle qui a eu lieu récemment avec les «antipasse». C’est aussi un moyen pour lui de s’affirmer comme l’homme de la raison et du progrès devant des forces «obscurantistes» et des «antivax» souvent tenus pour radicaux et violents – des gens à qui l’on reproche de «tout confondre» et de mettre en danger la démocratie.