PARIS: Avec la rentrée et la crainte d'une flambée de la Covid-19 dans les écoles sous l'effet du très contagieux variant Delta, la vaccination des plus jeunes, décriée par les anti-vax sous le slogan "#TouchezPasAuxEnfants", revient sur le devant de la scène. Tour d'horizon des questions qui se posent.
La rentrée pourrait-elle faire exploser les contaminations?
Un rebond de l'épidémie dans les classes d'âge plus basses est jugé inévitable par les experts. "Il y aura un brassage, on va remettre en contact des individus qui ne s'étaient pas vus et venant d'endroits différents" notamment de zones touristiques où le virus a beaucoup circulé, souligne, l'épidémiologiste Mircea Sofonea.
Même si le taux de vaccination en France est désormais élevé (plus de 70% de primo-vaccinés), "il reste une population vulnérable", explique l'épidémiologiste Antoine Flahault, citant les moins de 12 ans et la petite moitié des 12-17 ans pas encore vaccinés. "Une fois infectés ils trouveront facilement chez leurs proches les 5% de population (à risque) qui suffisent à faire une vague", note-t-il. Selon Arnaud Fontanet de l'Institut Pasteur, les modèles de son centre de recherche prévoient que "la moitié des nouvelles infections auront lieu chez les enfants à partir de l'automne".
Il faut, selon les experts, arrêter de croire que les enfants transmettent moins la Covid-19 que les adultes: "avec un variant deux à trois fois plus transmissible, les enfants sont maintenant aussi contagieux que l'étaient les adultes avec les souches précédentes", souligne le pédiatre et infectiologue Robert Cohen.
Capteurs de CO2 dans les classes, ventilation accrue et filtrage de l'air, auto-tests pour un dépistage intensifié du virus, port du masque dès 6 ans, tous ces experts réclament un protocole ultra-renforcé pour les enfants non vaccinables. Et la vaccination d'un maximum d'enseignants, de parents et du personnel scolaire au contact des enfants.
Quels avantages à une intensification de la vaccination des ados ?
Les 12-17 ans sont couverts (en première dose) pour 58% d'entre eux au 23 août, selon le ministère de la Santé. "Un chiffre très encourageant", estime M. Cohen, président du Conseil national professionnel de pédiatrie, qui reçoit ces jours-ci "énormément d'appels de parents décidés à vacciner leurs enfants" avant la rentrée.
"Il faut amplifier la campagne. C'est un vrai sujet sanitaire, il faut les vacciner pour limiter la circulation du virus", a-t-on indiqué mardi au ministère de la Santé, lors du briefing hebdomadaire sur la vaccination.
Dès septembre des campagnes sont programmées en milieu scolaire. Avec l'objectif aussi, selon le ministère de la Santé, d'amener au vaccin "les enfants de familles réticentes ou hésitantes", notamment dans les milieux populaires.
Pour Antoine Flahault, on aurait pu "rendre obligatoire la vaccination des ados" parce que c'est "la période où on a le plus d'interactions sociales" avec le risque de former un "très grand foyer de contamination".
L'équilibre bénéfice-risque pour les enfants a-t-il été modifié ?
À la mi-juin, les pédiatres ne recommandaient pas la vaccination des plus jeunes. "Nous étions très mitigés et préconisions de se concentrer sur les adultes, mais Delta a changé la donne", a souligné M. Cohen, disant redouter que la Covid-19 ne se transforme en "une maladie pédiatrique", si le virus ne circule que chez les non vaccinés, donc surtout les enfants.
"Mathématiquement, il y aura davantage d'enfants infectés, avec le risque d'être hospitalisés ou de faire des formes graves", estime l'infectiologue, alors que depuis le début de l'épidémie, la France a déploré moins d'une dizaine de décès d'enfants pour 5.000 hospitalisations et 700 passages en réanimation.
Jugeant aussi que "la sévérité de la Covid-19 n'est pas à négliger" chez les enfants, Mircea Sofonea a cité des estimations parlant de "5 à 20%" de Covid longs, susceptibles de toucher aussi les enfants, avec des symptômes "pouvant affecter leur qualité de vie (ou avoir) un retentissement cognitif". L'expert a évoqué aussi le risque de "réactivation du virus d'Epstein-Barr, responsable entre autres de la mononucléose, habituellement à l'état latent".
"Une étude britannique évalue de 4 à 8% la proportion d'enfants ayant développé un Covid long", ajoute M. Flahault.
Pour Mircea Sofonea, avec une contagiosité plus forte de Delta et une virulence plus élevée selon des études canadiennes et écossaises, il y a clairement plus de bénéfices qu'auparavant à vacciner également les plus jeunes.
Un manque de recul sur les effets indésirables chez les ados ?
Le "seul effet indésirable connu" qui touche surtout les jeunes garçons (une chance sur 15 à 20.000) est le risque de myocardite (inflammation de la membrane entourant le coeur), un effet "rare, très surveillé" et qui se soigne facilement, selon M. Cohen.
Quant au manque de recul supposé, Mircea Sofonea a rappelé que "plus de 2,5 milliards de personnes ont été vaccinées" en première dose sur la planète depuis décembre 2020, "avec toutes les physiologies possibles, les terrains les plus dégradés. S'il avait un potentiel toxique à retard, de premiers signaux auraient été déjà perçus chez ces patients". "On a un très bon vaccin, particulièrement bien toléré et efficace, déjà injecté à des millions d'adolescents, on n'a pas d'expérience aussi importante pour d'autres vaccins", abonde M. Flahault.
Dire que les vaccins à ARN messager seraient dangereux pour les plus jeunes est également une contre-vérité, souligne l'infectiologue Cohen. "Cette histoire d'ARN messager c'est quasiment moyenâgeux: dans n'importe quelle infection virale, le virus entre dans la cellule, exprime son ARN messager – son matériel génétique – qui produit des protéines, exactement comme un vaccin", explique-t-il.
"On vaccine avec seulement une fraction du génome viral qui finit par disparaître très rapidement", complète M. Sofonea, contrairement par exemple au vaccin contre la rubéole, basé sur un virus vivant atténué.
Qu'en est-il de la vaccination des moins de 12 ans ?
Selon le pédiatre Robert Cohen, la barre avait été mise à cet âge non pas par crainte d'un manque de maturité de l'organisme des enfants mais parce qu'"on s'était aperçu que même si les ados faisaient moins de formes graves, ils transmettaient plus la maladie que les plus petits".
Avec l'émergence de Delta, les laboratoires américains Pfizer et Moderna ont lancé pour les moins de 12 ans des études cliniques, actuellement en phase 2 et 3 (dosage et tolérance). Les premiers résultats sont attendus au plus tôt en fin de l'année et les autorisations d'utilisation, pas avant 2022.
Pour les plus petits, "on va être forcément plus exigeant car l'infection par Covid est moins dangereuse que pour l'adulte", a souligné Antoine Flahault qui y est favorable tout en jugeant que le plus urgent est de renforcer la prévention dans les écoles.