PARIS : L'organisation d'une résistance armée aux talibans dans la vallée du Panchir autour de deux figures emblématiques afghanes, l'ex-vice-président Amrullah Saleh et le fils du défunt commandant Massoud, pourrait certes faire du bruit, mais son issue serait incertaine, selon des experts interrogés par l'AFP.
Dans plusieurs textes publiés ces derniers jours, Ahmad Massoud a exhorté à la résistance du Panchir et demandé un soutien international, notamment des armes et des munitions aux Etats-Unis.
Amrullah Saleh a lui promis de résister et s'est retiré dans cette vallée.
Les deux hommes se sont affichés ensemble sur les réseaux sociaux, semblant poser la première pierre d'un mouvement de résistance.
L'ex-vice-président Abdullah Abdullah a posté vendredi sur Facebook des photos le montrant avec l'ex-président Hamid Karzaï (2001-2014) en discussion avec des notables du Panchir, quelques jours après que le duo ait rencontré des leaders talibans.
La vallée du Panchir, au nord-est de Kaboul n'est pas sous contrôle taliban, a relevé jeudi le ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il y a des combats.
"La résistance est pour l'instant verbale, parce que les talibans n'ont pas cherché à pénétrer le Panchir", estime Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur en 2021 du livre "Le gouvernement transnational de l'Afghanistan - Une si prévisible défaite".
En revanche, "ils encerclent le Panchir de toutes parts", relève Abdul Sayed, politologue à l'université de Lund, en Suède.
L'ONG italienne Emergency a signalé mercredi un "nombre croissant de blessés de guerre" dans son hôpital de la vallée du Panchir.
"Il n'y a pas de combats actuellement dans le Panchir, mais il y a peut-être eu quelques accrochages, sur la route de la vallée, dans la plaine de Chamali", explique, sous couvert d'anonymat, un Français qui a combattu dans le Panchir aux côtés du commandant Massoud à la fin des années 1990.
Pour Bill Roggio, du think tank américain FDD, le Panchir échappe aux talibans, "mais le statut de la province voisine du Parwan n'est pas clair. Il semble que les forces de Saleh auraient essayé d'y étendre leur contrôle depuis le Panchir".
"Les talibans ont construit leur victoire sur le blitzkrieg et la reddition; finalement ils sont arrivés sans beaucoup de violence", rappelle M. Dorronsoro. "Une attaque frontale avec tout le poids symbolique du Panchir aujourd'hui, ça irait contre leur volonté de se normaliser".
L'un vit dans le sillage de la légende de son père mais a peu de relais politiques, l'autre, profondément politique, a été aux manettes du pouvoir afghan pendant des années.
"Les relations entre Ahmad Massoud et Amrullah Saleh sont un peu compliquées. Dès le début il y a une dissonance entre les deux", analyse M. Dorronsoro. "Ahmad Massoud n'a pas de position officielle dans le régime, c'est quelqu'un qui n'a pas de soutien fort en Afghanistan hors du Panchir", selon le chercheur.
A l'instar de l'ancien combattant français, il estime que le fils Massoud vit dans le "fantasme paternel" et la "légende" du père.
"Il se sent porteur d'un héritage, il prend des habits du lionceau (son père était surnommé "le Lion du Panchir"). Il se dit: s'il faut que quelqu'un entre en résistance, c'est à moi de le faire", analyse l'ancien combattant.
M. Saleh "lui prétend être constitutionnellement le président afghan légitime après la fuite d'Ashraf Ghani", relève M. Sayed.
Quels sont les objectifs poursuivis ? "Négocier avec les talibans ou (...) une vraie résistance armée ?", s'interroge le chercheur français.
"Les intérêts des Panchiris sont actuellement défendus politiquement à Kaboul par (l'ancien chef du gouvernement) Abdullah Abdullah, qui négocie avec les talibans, et par les oncles de Massoud qui sont en train de négocier au Pakistan", pointe l'ancien combattant.
Il juge possible que "cette résistance soit une manière de peser sur les négociations à Kaboul pour que soient défendus les intérêts des Panchiris, et qu'à un moment donné, Abdullah ou la famille appelle Massoud et lui dise: C'est bon, tu peux arrêter, on a un bon accord".
Il estime que M. Saleh n'est pas dans la même logique car c'est un "ennemi personnel des talibans".
Gilles Dorronsoro n'exclut pas pour autant qu'il tente malgré tout de négocier avec les nouveaux maîtres du pays, "puisqu'il parle de processus de paix qui devrait être plus inclusif".
Militairement, "cela ne va nulle part", selon le chercheur français. "Les talibans n'ont qu'à verrouiller le Panchir et voilà, même pas besoin d'y pénétrer véritablement".
Massoud "a des jeunes, des véhicules, des hélicoptères, des munitions, ça fait des mois qu'il se prépare", estime de son côté l'ancien combattant français. Pour autant, il partage l'analyse du chercheur: "Ils ont les moyens de faire semblant", de se claquemurer dans la vallée, mais guère plus.
Reste à connaître la position d'éventuels parrains étrangers qui pourraient avoir intérêt à voir une résistance active, enthousiasmés par la légende Massoud ou opposés à la création dans la zone d'une théocratie fanatique.