PARIS : Des oppositions virulentes, un président agacé et un gouvernement sur la défensive: la polémique autour du sort des réfugiés afghans montre, selon les experts, à quel point le sujet est inflammable et compliqué pour Emmanuel Macron, à quelques mois de la présidentielle.
Après la prise de Kaboul par les talibans, le chef de l'État s'adresse directement aux Français à la télévision lundi soir. Point de départ d'une semaine agitée pour l'exécutif qui doit gérer l'évacuation de ses ressortissants et, très rapidement, répondre aux accusations de ne pas en faire assez pour les Afghans fuyant le nouveau régime. ;
Une phrase présidentielle enflamme le débat: "nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants", dit-il, après avoir assuré longuement au préalable que la France prendra toute sa part "pour protéger les plus menacés".
Les réactions, à gauche essentiellement, sont acerbes, voire violentes. "Macron fait honte à la France", fustige l'écologiste Eric Piolle, rival potentiel en 2022. La France insoumise se dit "sidérée". La maire PS de Lille Martine Aubry est "choquée" face au "manque d'empathie" du président.
De concert, la gauche accuse Macron de courir derrière la droite voire l'extrême droite qui appellent à "la plus grande fermeté" face à la "vague migratoire" à venir.
Emmanuel Macron s'agace de ces critiques: "On gagnera tous beaucoup d'énergie et de temps à ce que tous ceux qui passent leur journée à commenter prennent onze minutes de leur temps pour écouter ce que j'ai dit", assène-t-il le lendemain.
- "Débat hystérisé" -
Mercredi, le chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, s'émeut à son tour contre les oppositions qui le déclarent "naïf" pour avoir réclamé un gouvernement inclusif aux talibans.
Aux yeux du politologue Pascal Perrineau, cette tension traduit "une politique de l'émotion" alors que les images de désespoir à l'aéroport de Kaboul tournent en boucle à la télévision.
Chez les voisins européens aussi, la question de l'accueil de migrants est hautement délicate. En particulier en Allemagne, où la décision d'Angela Merkel d'ouvrir les portes aux Syriens en 2015 a durablement déstabilisé son camp.
En France, relève M. Perrineau, s'y ajoute la particularité qu'il y a "toujours l'ombre du RN qui est projetée sur ce débat" pour l'avoir "introduit" sous Jean-Marie Le Pen.
Pour Jérôme Sainte-Marie, président de PollingVox, "le débat sur l'immigration a été tellement hystérisé en France qu'on n'arrive plus à avoir un débat politique raisonnable. Vous avez les anti-migrants qui considèrent les pro-migrants comme des traîtres ou des naïfs, et vous avez les pro-migrants qui traitent ceux qui veulent un contrôle de l'immigration de gens sans-coeur."
Au sein de l'exécutif, on estime surtout que les critiques sont "injustes". "Nous sommes l'un des pays qui accueillent le plus d'Afghans", insistait l'Elysée dès mardi.
Depuis, Emmanuel Macron accueille chaque arrivée d'avion de réfugiés à Paris par un message de bienvenue sur les réseaux sociaux.
- Limite du "en même temps" -
Dans les faits, entre "ceux qui veulent accueillir tout le monde - ce qui n'est pas à la hauteur de nos capacités -" et "ceux qui ne veulent accueillir personne - ce qui n'est pas à la hauteur des nos valeurs", selon les mots du MoDem Patrick Mignola, la majorité veut défendre une position d'équilibre, humaine et responsable à la fois.
Mais pour Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences Po, "c'est la limite du +en même temps+" macronien.
"La question de son positionnement à droite ou à gauche est à chaque fois douloureuse. A chaque fois qu'il prend position dans un sens ou dans un autre, il fait des mécontents, suscite des inquiétudes et crée des crispations dans tout le spectre politique", ajoute l'expert qui juge ratée l'allocution du président puisque son propos sur les flux migratoires aura été "la seule chose qu'on a retenue".
"On voit les limites du +et de droite et de gauche+, mais aussi du +et président et candidat+", complète Pascal Perrineau.
Car si Emmanuel Macron n'a pas encore déclaré sa candidature, peu doutent qu'il postulera pour un nouveau mandat en avril 2022. Issu des rangs socialistes, le chef de l'Etat est accusé par ses critiques d'avoir opéré un glissement progressif vers la droite dont il continuerait à vouloir siphonner les voix.
Jérôme Sainte-Marie voit à cet égard dans l'allocution de lundi "un coup politique magistral". Le président "a dit exactement ce que les Français voulaient entendre", estime-t-il, renvoyant aux sondages où "les deux tiers des Français considèrent que l'immigration n'est pas une bonne chose pour le pays".