KABOUL: Des milliers de personnes continuent jeudi à essayer d'accéder à l'aéroport de Kaboul, les Etats-Unis reprochant aux talibans d'en entraver l'accès pour les Afghans qui souhaitent quitter leur pays.
Coincée entre les postes de contrôle tenus par les talibans et la clôture de barbelés posée par l'armée américaine à l'aéroport, la seule porte de sortie de l'Afghanistan, une immense foule de civils afghans attend toujours dans l'espoir de trouver un vol pour fuir au loin.
Les images lundi d'une marée humaine se précipitant sur le tarmac de l'aéroport ou de ces personnes s'accrochant désespérément au fuselage d'un avion avaient choqué le monde.
Ces Afghans cherchent à échapper au nouveau régime des talibans, qui ont pris le contrôle de tout le pays dimanche, hormis une poche de résistance dans la vallée du Panchir, au nord-est de Kaboul, après une campagne militaire expéditive de dix jours.
Près des ambassades aussi, ils sont nombreux à prier d'être évacués. Beaucoup ont déjà des visas pour un pays étranger, mais ils ne peuvent entrer dans les enceintes diplomatiques.
"J'ai parlé avec mon ami qui est sur place. Il a une lettre des Espagnols assurant qu'il peut partir avec eux, mais quand il essaie de gagner la porte on le menace de lui tirer dessus", raconte à l'AFP un homme qui a demandé à rester anonyme.
"Les Espagnols lui ont dit que s'il parvenait à entrer, tout irait bien pour lui, mais il n'y arrive pas", ajoute-t-il.
Tous se souviennent encore du précédent régime taliban, entre 1996 et 2001, et de son bilan catastrophique en matière de respect des droits humains, et n'ont aucune confiance dans les multiples assurances données ces derniers jours par ces islamistes.
Mardi, un porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, avait assuré qu'ils avaient appris de leur premier exercice du pouvoir, avant d'en être chassés en 2001 par une coalition menée par les Etats-Unis, et qu'il y aurait de "nombreuses différences" dans leur manière d'administrer leur pays.
Ils avaient alors imposé une version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes ne pouvaient ni travailler ni étudier, et voleurs et meurtriers encouraient de terribles châtiments.
Signaux d'ouverture
Les talibans ont promis de ne pas chercher à se venger et dit même avoir gracié les anciens responsables gouvernementaux. Mais pour nombre d'Afghans comme pour la communauté internationale, la méfiance reste de mise.
Signe de l'angoisse qui étreint les habitants de Kaboul, les affiches et photos de femmes qui ornaient les vitrines des magasins y sont masquées, quand elles n'ont pas déjà été vandalisées.
Si les talibans laissent bien les citoyens américains accéder à l'aéroport de Kaboul, il semble qu'ils "empêchent les Afghans qui souhaitent quitter leur pays d'atteindre l'aéroport", où les complexes opérations d'évacuation se poursuivent laborieusement, a déploré Mme Wendy Sherman, le numéro deux du département d'État américain.
Les Etats-Unis attendent d'eux qu'"ils permettent à tous les citoyens américains, tous les ressortissants de pays tiers et tous les Afghans de partir s'ils le souhaitent, de façon sûre et sans être harcelés", a-t-elle ajouté.
Les Etats-Unis ont envoyé 6 000 militaires pour sécuriser l'aéroport de Kaboul et faire partir quelque 30 000 Américains et civils afghans ayant travaillé pour eux et craignant pour leur vie.
L'armée américaine a déjà évacué plus de 3 200 personnes, notamment du personnel américain, et près de 2 000 réfugiés afghans. D'autres pays occidentaux, dont l'Espagne, la France et le Royaume-Uni, ont aussi procédé à des évacuations.
Très critiqué aux Etats-Unis et à l'étranger pour sa gestion du retrait des troupes américaines après 20 ans de guerre, jugé précipité, le président Joe Biden a estimé mercredi qu'une certaine forme de "chaos" était de toute manière inévitable.
Se présentant comme plus modérés, les talibans semblent recevoir un accueil international moins hostile qu'il y a deux décennies.
La Chine, la Russie, la Turquie et l'Iran leur ont émis des signaux d'ouverture. Mais les pays occidentaux, l'Allemagne, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni notamment, sont plus réticents et attendent de juger "sur les actes".
Consultations politiques
Les talibans, dont le cofondateur et numéro deux, le mollah Abdul Ghani Baradar, est rentré mardi en Afghanistan, ont mené des consultations politiques mercredi à Kaboul avec d'éminentes personnalités afghanes.
Ils ont diffusé des images montrant l'ancien président afghan Hamid Karzai avec Anas Haqqani. Celui-ci participait aux négociations avec le gouvernement afghan à Doha, qui n'ont jamais débouché sur une issue quelconque.
Mais il est surtout le frère cadet de Sirajuddin Haqqani, le chef du réseau éponyme, qualifié de terroriste par Washington, qui a aussi le statut de numéro deux au sein des talibans.
Ces derniers ont également rencontré l'ancien vice-président Abdullah Abdullah, selon le groupe de surveillance des sites islamistes SITE.
Ces négociations ont été bien accueillies par l'ex-président Ashraf Ghani, qui s'est enfui dimanche pour les Émirats arabes unis. "Je souhaite le succès de ce processus", a-t-il déclaré dans un message vidéo posté sur Facebook, affirmant être "en pourparlers pour retourner en Afghanistan".
Mais les Etats-Unis ont estimé que M. Ghani, qui avait succédé en 2014 à Hamid Karzai, n'est "plus une personne qui compte en Afghanistan".
Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a dit jeudi espérer que ces négociations puisse déboucher sur un "gouvernement représentatif" en Afghanistan.
Il a aussi souligné que les talibans ne contrôlaient pas l'intégralité du territoire afghan, une résistance tentant de s'organiser dans la vallée du Panchir, avec l'ancien vice-président Amrullah Saleh et Ahmad Massoud, le fils du commandant Ahmed Shah Massoud, assassiné en 2001 par Al-Qaïda.
Ce dernier a d'ailleurs appelé Washington à le soutenir en lui fournissant armes et munitions, dans une tribune publiée mercredi par le quotidien Washington Post.
Certains analystes s'inquiètent que ce qui se passe en Afghanistan n'inspire les jihadistes du monde entier. Le groupe Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) a ainsi félicité les talibans et s'est engagé à poursuivre le jihad.