WASHINGTON : L'humeur était sombre lundi dans les couloirs du Pentagone, où les militaires américains assistaient, impuissants, aux scènes de chaos à l'aéroport de Kaboul, critiquant en privé la lenteur de l'administration de Joe Biden à évacuer les alliés afghans des Etats-Unis, qui craignent la vengeance des talibans.
Certains reprochent au département d'Etat, qui a la seule autorité d'accorder des visas aux anciens interprètes et autres auxiliaires de l'armée américaine et leur familles, d'avoir attendu plus de deux mois pour lancer le processus de délivrance des visas d'immigration aux Afghans craignant pour leur vie.
Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont montré des scènes de totale anarchie, comme ces centaines de personnes courant près d'un avion de transport militaire américain qui roule pour aller se mettre en position de décollage, pendant que certains tentent follement de s'accrocher à ses flancs ou à ses roues.
"Ça faisait des mois qu'on les prévenait" que c'était urgent, s'exclame un responsable militaire sous couvert de l'anonymat.
"Je ne suis pas en colère, je suis frustré", souffle un autre officier. "Le processus (de retrait) aurait pu être mené d'une façon tellement différente!"
Alors que Joe Biden a décidé dès la mi-avril que tous les soldats américains devaient avoir quitté l'Afghanistan avant le 11 septembre, le ministère américain des Affaires étrangères a attendu des mois avant de mettre sur pied une structure ad hoc pour s'occuper des alliés des Etats-Unis.
"Quand cette administration a identifié que la situation sécuritaire évoluait rapidement, nous avons lancé il y a plusieurs semaines de cela l'opération Allied Refuge", s'est défendu lundi lors d'un point presse le porte-parole du département d'Etat Ned Price, qui a qualifié l'opération d'"effort américain gargantuesque, non seulement pour traiter, statuer, et accorder les visas à ces Immigrants Spéciaux mais aussi pour les amener aux Etats-Unis avec une opération massive d'évacuation par les airs".
Moins critique à l'égard de l'administration, un autre responsable du Pentagone interrogé par l'AFP a souligné que les diplomates avaient essayé d'accélérer le processus de délivrance des visas d'immigration, mais il a noté que ce processus administratif était trop long et compliqué vu les circonstances.
L'administration Biden partait du principe que l'ambassade américaine à Kaboul resterait ouverte et que le gouvernement afghan garderait le contrôle du pays pendant des mois après le retrait américain, a-t-il rappelé.
«Profondément affectés»
Dès l'annonce de M. Biden, le Pentagone a fait savoir qu'il effectuait des préparatifs pour une évacuation en masse, mais à la mi-juin, le gouvernement ne jugeait toujours pas nécessaire une évacuation et privilégiait l'octroi de visas spéciaux, un processus qui peut prendre jusqu'à deux ans.
Et ce n'est que fin juin que la Maison Blanche a évoqué la possibilité d'évacuer les interprètes afghans avant la fin du retrait militaire des forces étrangères, et demandé l'aide du Pentagone.
Une "cellule de crise pour l'Afghanistan" a alors été mise sur pied pour organiser l'accueil sur des bases américaines de réfugiés afghans en attendant la délivrance de leur visa d'immigration.
Interrogé lundi au cours d'un point de presse sur le délai de près de trois mois entre l'annonce de M. Biden et la création de cette cellule de crise, son directeur Garry Reid a souligné que le Pentagone ne pouvait agir qu'en "soutien au département d'Etat".
"La cellule de crise a été créée en juillet, mais dès le printemps, le ministre (de la défense Lloyd Austin) évoquait les interprètes, les traducteurs et les obligations sacrées que nous avons envers eux", a souligné le porte-parole du Pentagone, John Kirby.
"Personne ici au Pentagone n'est heureux de voir les images que nous avons vues ces dernières 48 heures", a ajouté M. Kirby.
"Beaucoup d'entre nous ont passé du temps en Afghanistan ces dernières années et nous sommes profondément affectés par les évènements actuels", a renchéri au cours du même point presse le général Hank Taylor, responsable de la logistique à l'état-major américain.
"Mais ce sur quoi nous voulons nous focaliser, c'est l'évacuation la plus sûre possible des Américains et des Afghans", a-t-il ajouté.