KABOUL : Les talibans se sont emparés samedi soir de Mazar-i-Sharif, accroissant encore leur emprise sur le pays et menaçant Kaboul, où Joe Biden a décidé de renforcer le dispositif militaire américain.
Le président afghan Ashraf Ghani a promis de poursuivre le combat contre les insurgés qui continuent à se rapprocher de la capitale presque encerclée, où les habitants ne cachent pas leur angoisse de l'avenir.
Face à l'effondrement de l'armée afghane, le président américain Joe Biden a porté à 5 000 soldats le déploiement militaire à l'aéroport de Kaboul pour évacuer les diplomates américains et les civils afghans ayant coopéré avec les Etats-Unis qui craignent pour leur vie, menaçant des talibans de réponse "rapide et forte" en cas d'attaque contre des intérêts américains.
Les talibans "paradent sur leurs véhicules et leurs motos, tirant en l'air pour célébrer" la prise de la ville, a raconté samedi soir un habitant de Mazar-i-Sharif, Atiqullah Ghayor, qui vit près de la célèbre mosquée bleue.
Il a précisé que les talibans étaient entrés "sans vraiment rencontrer de résistance" dans la quatrième ville la plus peuplée du pays (500.000 habitants), après le retrait des forces afghanes.
D'autres habitants ont fait des récits similaires et les talibans ont revendiqué la prise de la ville, capitale de la province de Balkh et carrefour commercial, dont les faubourgs étaient encore le théâtre d'intenses combats samedi matin.
"Les combattants (talibans) se sont emparés de Mazar-i-Sharif. Tous les bâtiments officiels (...) sont sous leur contrôle", ont affirmé les talibans dans un communiqué.
Le maréchal Abdul Rashid Dostom, ancien vice-président afghan, et Atta Mohammad Nur, ex-gouverneur de Balkh, qui avaient pris la tête de forces locales de résistance aux talibans à Mazar-i-Sharif, ont trouvé refuge en Ouzbékistan voisin, selon un proche du second, précisant que leurs forces s'étaient elles retirées à une soixantaine de km de la ville.
"La remobilisation de nos forces de sécurité et de défense est notre priorité numéro un et d'importantes mesures sont prises à cet effet", avait assuré à la mi-journée, le président Ghani dans une adresse télévisée.
Il n'a fait aucune allusion à une possible démission, réclamée par certains, mais a précisé avoir entamé des "consultations" au sein du gouvernement, avec des responsables politiques et les partenaires internationaux, pour trouver "une solution politique dans laquelle la paix et la stabilité" seront préservées.
"Ces consultations avancent rapidement et nous ferons part de leur résultat à nos compatriotes très vite", a-t-il ajouté.
Dans la soirée, le palais présidentiel a précisé qu'"une délégation sera prochainement constituée par le gouvernement et prête à négocier".
«Inquiet pour l'avenir»
La situation militaire est critique pour le pouvoir en place. En à peine plus d'une semaine, les talibans ont pris le contrôle de presque tout le nord, l'ouest et le sud de l'Afghanistan et sont arrivés aux portes de Kaboul.
Samedi, ils avaient déjà pris la province de Kunar, dans l'Est, et pourraient bientôt approcher de Kaboul par le nord, le sud et l'est.
Outre Kaboul, Jalalabad, la grande ville de l'est de 280 000 habitants, est la seule ville majeure encore contrôlée par le gouvernement.
Au sein des habitants de Kaboul et les dizaines de milliers de personnes qui ont fui leur foyer ces dernières semaines pour se réfugier dans la capitale, la peur prédomine.
"Je pleure jour et nuit quand je vois que les talibans forcent des jeunes filles à épouser leurs combattants", a confié Muzhda, 35 ans, une femme célibataire arrivée avec ses deux sœurs, de la province de Parwan, un peu plus au nord.
"J'ai refusé des propositions de mariage par le passé (...) Si les talibans viennent et me forcent à les épouser, je me suiciderai", prévient-elle.
Dawood Hotak, 28 ans, un commerçant de Kaboul, est aussi "inquiet pour l'avenir" de ses jeunes sœurs et ne sait pas "ce qui va leur arriver".
Les rues de la capitale étaient normalement animées samedi, mais de longues queues étaient observées à la sortie des banques, et certains hommes ont indiqué à l'AFP avoir commencé se laisser pousser la barbe, en prévision d'une arrivée prochaine des talibans.
Beaucoup d'Afghans - les femmes en particulier -, habitués à la liberté acquises ces 20 dernières années, craignent un retour au pouvoir des talibans.
Lorsqu'ils dirigeaient le pays, entre 1996 et 2001, avant d'être chassés il y a 20 ans par une coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, les talibans avaient imposé leur version ultra-rigoriste de la loi islamique.
Les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin et de travailler, et les filles d'aller à l'école. Les femmes accusées de crimes comme l'adultère étaient fouettées et lapidées.
Marines américains
Un ballet d'hélicoptères a survolé samedi Kaboul, entre l'aéroport et le l'ambassade américaine, gigantesque complexe situé dans la "zone verte" ultrafortifiée, au centre de la capitale.
Les premiers contingents de Marines sont arrivés pour sécuriser les évacuations du personnel diplomatique, ainsi que d'Afghans ayant travaillé pour les Etats-Unis et craignant des représailles des talibans.
Le Pentagone évalue à quelque 30 000 le nombre de personnes à évacuer au total.
L'ambassade américaine a ordonné à son personnel de détruire les documents sensibles et symboles américains qui pourraient être utilisés par les talibans "à des fins de propagande".
Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à partir.
Plusieurs pays - Pays-Bas, Finlande, Suède, Italie, République Tchèque et Espagne - ont annoncé vendredi réduire au strict minimum leur présence, ainsi que des programmes de rapatriement de leurs employés afghans. L'Allemagne va aussi réduire son personnel diplomatique "au minimum absolu".
D'autres, dont la Norvège, et le Danemark, ont fermé provisoirement leur ambassade.
Les talibans ont lancé leur offensive en mai, quand le président américain Joe Biden a confirmé le retrait des dernières troupes étrangères du pays, censé être achevé d'ici le 31 août.
Joe Biden a depuis affirmé ne pas regretter sa décision, même si la rapidité avec laquelle l'armée afghane s'est désintégrée a surpris et déçu les Américains, qui ont dépensé plus de 1 000 milliards de dollars pour la former et l'équiper.
"Une année ou cinq années de plus de présence militaire américaine n'auraient fait aucune différence, quand l'armée afghane ne peut ou ne veut pas défendre son propre pays", a-t-il noté dans un communiqué.
"Je suis le quatrième président à mener une présence militaire américaine en Afghanistan --deux Républicains, deux démocrates", a-t-il ajouté. "Je ne lèguerai pas cette guerre à un cinquième".