VARSOVIE : Affaibli par l'éclatement de la coalition au pouvoir, le gouvernement conservateur-nationaliste polonais tente de renforcer son pouvoir même au prix d'un isolement international croissant et d'accusations de musèlement des médias indépendants.
"Aujourd'hui, la Pologne se retrouve très isolée à l'international", explique le politologue Marcin Zaborowski.
"Elle est depuis plusieurs années en conflit avec l'UE (sur l'état de droit, ndlr), alors que les relations avec les Etats-Unis se sont refroidies après l'élection de Joe Biden, les conservateurs à Varsovie ayant soutenu Donald Trump".
"Avec ce qui s'est passé il y a quelques jours, ces relations seront très problématiques", ajoute-t-il.
Au lendemain de la sortie de la coalition dirigée par Droit et Justice (PiS) d'un petit parti, Entente, qui a coûté aux conservateurs la majorité parlementaire, PiS a toutefois réussi à faire passer, grâce à quelques voix d'un petit parti, allié du moment, deux lois qui ont provoqué la colère des Etats-Unis, son allié historique le plus important.
Les conservateurs ont approuvé mercredi une loi empêchant de facto la restitution de la plupart des biens confisqués après la Seconde Guerre mondiale, dont ceux des Juifs, ainsi qu'une loi sur les médias qui pourrait forcer le groupe américain Discovery à vendre la majeure partie de sa participation dans le réseau de télévision privé polonais TVN, souvent critique envers le gouvernement conservateur.
Les deux projets de loi avaient déjà été critiqués par Washington avant leur passage à la Diète (chambre basse).
Après les votes, les Etats-Unis, par la voix du chef de la diplomatie Antony Blinken, se sont dits "profondément préoccupés".
M. Blinken a demandé au président polonais Andrzej Duda de ne pas signer la loi sur les restitutions et a estimé que la loi sur les médias "affaiblirait fortement l'environnement médiatique" en Pologne, ajoutant que les deux textes allaient "à l'encontre des principes et valeurs que les nations modernes et démocratiques défendent".
'Amis idéologiques'
"Sous PiS (parti Droit et Justice, au pouvoir), la politique étrangère est depuis toujours victime de la politique intérieure", estime Anna Materska-Sosnowska, politologue de l'Université de Varsovie, "Et le but suprême de PiS c'est de se maintenir au pouvoir".
Pour cela, PiS, arrivé au pouvoir en 2015, "est prêt à sacrifier la sécurité du pays et les bonnes relations avec les Etats-Unis", confirme Marcin Zaborowski, directeur à l'institut Globsec, une ONG slovaque spécialisé dans les questions de sécurité.
"Les élections législatives auront lieu au plus tard en 2023 et PiS est convaincu que sans TVN regardé surtout dans les grandes villes où il perd traditionellement, il n'arrivera pas à se maintenir au pouvoir", ajoute-t-il.
PiS contrôle déjà la télévision publique TVP, devenue un média de propagande gouvernementale, et une grande partie de la presse régionale.
Le président de PiS Jaroslaw Kaczynski pense que son parti "devrait avoir 50-60% de voix, mais n'en a que 30%. Il rend responsable de cette situation l'opposition, l'étranger et les médias, surtout ceux qui sont indépendants", a déclaré au quotidien Rzeczpospolita l'ancien président polonais Aleksander Kwasniewski. "Viktor Orban le faisait déjà en Hongrie", a-t-il ajouté.
Jaroslaw Gowin, chef du parti Entente et ex-vice-Premier ministre, dont la démission a provoqué l'éclatement de la coalition, a quant à lui qualifié la loi sur les médias "de profondement antipolonaise" à cause de son effet sur les relations avec Washington.
Selon Marcin Zaborowski, pour PiS, la politique étrangère se limite à des bonnes relations avec des amis idéologiques, des gouvernements qui sont non-libéraux et qui remettent en question les règles de la démocratie libérale.
"Je pense que ce n'est qu'une question de temps que PiS commence à entretenir de bonnes relations avec la Russie de Vladimir Poutine", ajoute-t-il.