SVOBODNY : Svobodny, ville isolée de l'Extrême-Orient russe, végétait dans un état de délabrement avancé depuis la chute de l'Union soviétique jusqu'à l'arrivée de méga-projets tournés vers la Chine voisine, qui promettent de transformer la ville.
Dans le centre, des enfants se pressent autour d'un petit skate-park, seule attraction de la vaste et grise place Lénine. Autour, les chaussées sont défoncées, les murs croulants et décrépis.
Seuls 6% des rues ont des trottoirs, 16% des espaces publics sont éclairés, les inondations fréquentes lorsqu'il pleut et la couleur de l'eau du robinet tire souvent sur le rouge-brun.
Des installations sportives soviétiques restaurées et des rues éventrées par les travaux témoignent cependant des débuts d'un gigantesque projet de transformation urbaine d'ici 2030.
Le maire, Vladimir Konstantinov, croit dur comme fer que Svobodny --Libre en russe -- peut désormais devenir « une des plus belles villes d'Extrême-Orient », « confortable, avec de beaux trottoirs ».
Car à 150 km du fleuve Amour, marquant la frontière avec la Chine, cette cité se situe dans une région tout entière tournée vers son voisin oriental dans le cadre de la stratégie russe de « pivot vers l'Est », accentuée depuis la crispation en 2014 des relations avec l'Occident.
Deux gigantesques usines sont en construction à 15 km du centre de la ville: une de Gazprom pour le traitement du gaz, reliée au nouveau gazoduc russo-chinois Power of Siberia, et l'autre, un site pétrochimique de Sibur fabriquant des polymères, ces granules utilisés pour fabriquer des produits en plastique, surtout pour le marché chinois.
Le quotidien des 54.000 habitants en sera bouleversé: son économie doit être multipliée par 32 et quelque 13.000 nouvelles personnes doivent s'y installer à terme.
Pendant la construction des fabriques, jusqu'à 40.000 ouvriers viendront sur place. Un choc pour une ville qui a perdu un tiers de sa population depuis 1989.
Plus de 50 milliards de roubles (568 millions d'euros au taux actuel) - somme colossale pour une municipalité russe - sont dédiés à sa transformation, fruit d'un partenariat entre Gazprom, Sibur, l'Etat, la région, la ville et une agence d'urbanisme moscovite branchée, Strelka.
Ce ne sera pas la première mutation pour Svobodny, dont l'évolution a suivi le cours mouvementé de l'histoire russe.
Une vieille histoire
Fondée à la fin du 19ème siècle autour de mines d'or, Svobodny accueille ensuite de 1932 à 1953 le Bamlag, goulag où des centaines de milliers de prisonniers construisirent la ligne ferroviaire Baïkal-Amour et un tronçon du transsibérien.
Puis Svobodny fleurit grâce aux usines militaires et de pièces automobiles. Celles-ci seront englouties par le chaos post-soviétique des années 90 et leurs ruines se dressent aujourd'hui près du centre.
Ilia Koutiriov, habitant de 34 ans, relève que la ville aux loisirs limités et aux coupures d'électricité et d'eau fréquentes a déjà commencé à changer.
« Je trouve désormais un café à emporter le matin », se réjouit le jeune homme, installé ici depuis deux ans, dans le cadre des chantiers des nouvelles usines,
Selon une enquête réalisée en ligne, les habitants veulent eux que la reconstruction, d'ici 2030, permette d'y ancrer les jeunes.
Ils demandent « des espaces publics pour les jeunes, la population vieillissante est très préoccupée par la fuite de la jeunesse », indique Semyon Moskalik, 29 ans, directeur du projet à Strelka.
La surface des logements disponible doit presque doubler, la ville doit être approvisionnée en eau propre et le chauffage au charbon et au mazout doit céder la place au gaz.
Sous les vidéos léchées du projet sur internet, les commentaires de riverains dubitatifs se multiplient cependant, accusant les autorités d'être des « rêveurs » dans le meilleur de cas. D'autres estiment qu'ils sont des « menteurs » ou qu'ils cherchent à se « remplir les poches ».
« C'est typique de tous les projets russes de développement urbain, les gens ne croient pas qu'ils se réaliseront. Le contraste semble trop grand entre la réalité et les images que nous leur montrons », tempère Semyon Moskalik.
Le maire reconnaît que certains habitants sont sur la défensive, mais il est convaincu que la plupart comprennent « que s'il n'y avait pas ces deux usines, la ville se retrouverait dans une situation très difficile ».