PEKIN: Qin Gang, nouvel ambassadeur de Chine à Washington, est considéré comme un "loup combattant", cette nouvelle race de diplomates qui ne mâchent pas leurs mots face à un Occident perçu comme systématiquement hostile à Pékin.
Alors que l'administration Biden n'a guère opéré de rapprochement avec la Chine après l'affrontement de l'ère Trump, sa nomination signale que le régime du président Xi Jinping entend rester ferme vis-à-vis du grand rival américain, selon des experts.
Arrivé mercredi aux Etats-Unis, il s'est efforcé d'apparaître conciliant, disant vouloir "bâtir des canaux de communication" avec ses hôtes et remettre la relation bilatérale "sur les rails".
A 55 ans, Qin Gang (prononcer: "Tchine Gang") est plus connu pour son expérience de la communication que pour sa maîtrise de la relation avec la première puissance mondiale.
Cet homme élégant, qui aime arborer une veste anthracite à col Mao, a été pendant plusieurs années l'un des porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
"A l'époque, il était surnommé 'Gang le guerrier'", se souvient Yun Sun, directrice du programme Chine au Centre Stimson à Washington. "Il avait l'habitude de répondre aux questions agressives des journalistes sur un ton tout aussi hostile".
Vice-ministre des Affaires étrangères depuis 2018, il y était chargé de l'Europe et de l'information, défendant sa vision d'une Chine qui n'aurait pas de leçons à recevoir de l'Occident et rappelant volontiers qu'elle en a été la victime lors des guerres de l'opium au XIXe siècle.
C'est lui qui s'est chargé en mars de convoquer les ambassadeurs européens pour protester contre les sanctions prises contre son pays à propos du traitement des musulmans ouïghours au Xinjiang (nord-ouest).
Interrogé peu avant sur le concept des "loups combattants", M. Qin assumait devant la presse le nouveau cours de la diplomatie chinoise face aux "calomnies sans fondement" venues selon lui des "loups féroces" de l'étranger.
Si l'image de la Chine est tombée ces dernières années à des niveaux jamais vus dans la plupart des pays occidentaux, c'est parce qu'Européens et Américains, notamment leurs médias, n'auraient jamais accepté le système politique chinois ni l'émergence économique du pays, expliquait-il fin 2020.
«Chef de la meute»
"Il est l'un des piliers de la diplomatie des loups combattants", résume l'analyste indépendant Hua Po, tandis qu'un connaisseur averti des arcanes du pouvoir voit même en lui "le chef de la meute", apprécié du président.
Ce natif de Tianjin (nord) a côtoyé Xi Jinping de par ses fonctions de chef du protocole avant 2018.
A Washington, son style risque de trancher avec celui de Cui Tiankai, un diplomate à l'ancienne qui y est resté ambassadeur huit ans.
"Sa nomination est un signe d'intransigeance adressé à Washington", analyse Mme Sun.
"Je ne serais pas surprise qu'il soit moins paisible que M. Cui et qu'il donne de la voix en public comme en privé", analyse-t-elle.
Un profil similaire à celui de Lu Shaye, ambassadeur de Chine à Paris, dont les sorties peu diplomatiques lui ont valu d'être convoqué au Quai d'Orsay, un sort rarissime pour un représentant de Pékin.
«Guerre de l'opinion»
Chargé de l'Europe au ministère des Affaires étrangères, Qin Gang a fait une partie de sa carrière à l'ambassade de Chine à Londres. Il maîtrise bien l'anglais.
"Il n'est pas spécialiste des Etats-Unis ni de l'Amérique du Nord", observe le sinologue Antoine Bondaz, de la Fondation pour la recherche stratégique à Paris.
"Mais c'est sûrement aujourd'hui un des diplomates chinois les plus expérimentés en matière de communication. Et c’est peut-être ce qui explique sa nomination", observe-t-il, pronostiquant que M. Qin va aux Etats-Unis pour faire "entendre la voix de la Chine" plutôt que pour négocier.
Hong Kong, Taïwan, Xinjiang, droits de l'Homme, commerce, technologies et origines du Covid: les sujets de confrontation ne manquent pas entre les deux premières puissances mondiales.
Lundi, lors de la première visite en Chine d'une haute responsable de la diplomatie américaine de l'ère Biden, Pékin a adressé un réquisitoire en règle à l'Amérique, l'accusant d'être entièrement responsable de la dégradation de la relation bilatérale.
Malgré ses investissements massifs dans ses médias en langues étrangères, le régime communiste souffre de ne pas convaincre l'opinion mondiale.
"La guerre de l'opinion publique entre la Chine et les Etats-Unis va devenir de plus en plus féroce", prédit Hua Po. "C'est pour cela que la Chine nomme un ambassadeur plus ferme et plus agressif, afin d'avoir enfin le droit à la parole".