PARIS: Les relations franco-américaines connaissent une embellie depuis l’élection de Joe Biden, après la période mouvementée du mandat de Donald Trump. Ce nouveau climat positif entre Washington et Paris se reflète dans les approches sur certaines crises internationales, notamment au Moyen-Orient. Cette coordination pourrait-elle peser sur le dossier libanais, et d’autres dossiers délicats dans cette zone, où se rejoignent les intérêts des partenaires occidentaux?
Depuis juin dernier, les rencontres entre les deux parties se sont accélérées au plus haut niveau. Après la visite à Paris du secrétaire d'État américain, Antony Blinken, Joe Biden et Emmanuel Macron se sont rencontrés en marge du sommet du G7. Plus tard, Florence Parly, ministre français des Armées, s’est rendue à Washington, où a été signé un accord de coopération stratégique dans le domaine des opérations spéciales franco-américaines. Enfin, il y a quelques jours, c’est Jean-Yves Le Drian, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui s’est rendu aux États-Unis.
Ces nombreuses rencontres ont fait dire à un haut responsable américain que «Washington s'est appuyé sur son partenariat étroit avec la France depuis la fondation des États-Unis, car la France est le plus vieil ami et allié de l'Amérique».
Khattar Abou Diab
Ces nombreuses rencontres ont fait dire à un haut responsable américain que «Washington s'est appuyé sur son partenariat étroit avec la France depuis la fondation des États-Unis, car la France est le plus vieil ami et allié de l'Amérique».
Outre les éloges mutuels et l'accent mis sur l'adhésion aux mêmes valeurs – démocratie, droits de l'homme, État de droit, sécurité et prospérité – c’est le réalisme politique qui a probablement poussé le maître de la Maison Blanche à recevoir en premier la chancelière Angela Merkel, considérée comme la première dirigeante européenne. Si cet acte s’explique par une reconnaissance du rôle de Merkel, qui s'apprête à quitter ses responsabilités, il souligne surtout la priorité des relations avec l'Allemagne, malgré l'importance de la relation spéciale américano-britannique, et de la coopération militaire américano-française
Le soutien de l’administration Biden à Israël a été moins fort que par le passé, ce qui a élargi la marge de manœuvre de Paris pour agir sur le plan diplomatique, et aider à mettre fin aux hostilités.
Khattar Abou Diab
Malgré des approches différentes sur certains conflits mondiaux, et une vision différente des alliances et du système international en gestation, la diplomatie française semble certaine que «face à la cruauté du monde, aux conflits insolubles partout, à la compétition des puissances, et au refus des règles du jeu international», il n'y a pas d'alternative au partenariat et au travail commun avec Washington. Pour sa part, le francophone Antony Blinken a expliqué que «notre partenariat, notre destin commun avec les Français, est de plus en plus important, afin de poursuivre un merveilleux voyage à travers l'Histoire».
Cette nouvelle page entre Washington et Paris permet aux diplomaties respectives de surmonter les divergences de positions sur plusieurs dossiers du Moyen-Orient, comme l’atteste la guerre de Gaza en mai dernier. Le soutien de l’administration Biden à Israël a été moins fort que par le passé, ce qui a élargi la marge de manœuvre de Paris pour agir sur le plan diplomatique, et aider à mettre fin aux hostilités.
L’incontournable dossier nucléaire iranien
Quant au dossier nucléaire iranien, contrairement à ce qui était le cas sous la précédente administration, on peut parler de complémentarité et de concordance pour faciliter le retour de Washington à l'accord de 2015. Ce pari d’Emmanuel Macron, qui avait échoué à plusieurs reprises sous Trump à cause du refus du Guide iranien d’accepter des propositions de Paris, se heurte aux mêmes difficultés sous Biden.
Depuis la reprise des négociations de Vienne en avril dernier, la troïka européenne (Berlin, Londres et Paris) peine à faire émerger un compromis basé sur des efforts simultanés de Washington et de Téhéran. Même avant l’accès à la présidence de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, qui risque de menacer tout le processus, les ministres des Affaires étrangères de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, ont fait part dans un communiqué commun de leur «grande préoccupation, l’Iran poursuivant des activités de production ou de recherche et développement sur l’uranium métal, une étape-clé du développement d’une arme nucléaire».
Washington, de son côté, a haussé le ton, en appelant la République islamique «à mettre un terme à cette surenchère, à revenir à Vienne pour de réelles négociations, afin de terminer le travail entamé en avril».
Khattar Abou Diab
Cette mise en garde souligne l’obstination iranienne concernant les centrifugeuses développées et le niveau d’enrichissement de l’uranium. Ces deux violations de l’accord de 2015 incitent à s’interroger sur l’utilité du retour à un accord devenu «caduc», et qui expire en 2025. Sur ce point, les diplomaties américaine et française accordent leurs violons: elles sont d’accord pour adopter un nouveau texte freinant les velléités iraniennes de fabriquer une arme nucléaire.
Washington, de son côté, a haussé le ton, en appelant la République islamique «à mettre un terme à cette surenchère, à revenir à Vienne pour de réelles négociations, afin de terminer le travail entamé en avril». Ces pourparlers sont actuellement au point mort, mais ce gel ne remet pas en cause la similitude des points de vue entre Antony Blinken et Jean-Yves Le Drian, même s’il existe des différences dans les tactiques, ou les perceptions des intérêts.
Le test libanais
Depuis la visite de Blinken à Paris en juin dernier, une étroite coordination franco-américaine s'est imposée sur le dossier libanais. Dorénavant, l’administration Biden semble convaincue de la nécessité d’épauler la France pour stopper l’érosion économique et sociale du Liban, et encourager à la formation d’un nouveau gouvernement, après le renoncement récent du Premier ministre désigné, Saad Hariri. La coordination franco-américaine sera à l’épreuve au pays du Cèdre.
Les premiers signes ne sont pas encourageants. En effet, la France est exaspérée de voir que rien n'a bougé au Liban depuis l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, malgré deux visites de son président, et une action diplomatique intense. Paris a exigé une intervention américaine auprès du royaume saoudien pour aider à débloquer la situation. Mais une réunion tripartite franco-américano-saoudienne des ministres des Affaires étrangères en Italie, et une visite commune à Riyad des deux ambassadrices française et américaine au Liban, n’ont pas permis une percée, en raison du refus saoudien de se mêler de nouveau du dossier libanais, tant que «le Liban appartient à l’axe iranien». Selon une source politique libanaise, «concentrer ses efforts sur Riyad est inutile, si des pressions parallèles ne sont pas exercées contre la mainmise iranienne».
L’administration Biden semble convaincue de la nécessité d’épauler la France pour stopper l’érosion économique et sociale du Liban.
Khattar Abou Diab
En outre, la lettre commune adressée par Blinken et le Drian au président libanais, Michel Aoun, le jour même de la récusation de Saad Hariri, n’a pas produit les résultats escomptés. L’axe Aoun couvert par le Hezbollah et l’Iran, ose donc défier Washington et Paris. Dans ce contexte, on peut légitimement se demander si les futures sanctions européennes ou les mesures de pression contre les responsables libanais seront productives ou efficaces.
Les acteurs occidentaux conditionnent tout aide extérieure à la formation d’un gouvernement, et à la mise en place de réformes. Pour l’instant, ces démarches tournent en rond. Il est probable que le Hezbollah ait inscrit le Liban sur l’agenda régional, permettant à l’Iran de lier le pays du Cèdre, et d’autres dossiers, aux négociations de Vienne. Le parti chiite craignait en outre que le soutien accordé à Hariri ne soit que le paravent d’une «tutelle internationale». Ainsi, sans saisir toutes les véritables causes du blocage, la coordination franco-américaine risque de mettre en péril l’initiative française.